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Ses saillies n’ont pas manqué de retenir l’attention. Suite à sa déclaration de politique générale, le Premier ministre s’est adressé tour à tour aux principaux représentants des groupes politiques à l’Assemblée nationale. Chacun en a pris pour son grade, en particulier Gabriel Attal, son prédécesseur à Matignon, Mathilde Panot pour le groupe LFI, Eric Ciotti, ancien comparse des Républicains passé dans le camp du RN et André Chassaigne, député communiste du Puy-de-Dôme.
La phrase adressée au premier risque ainsi de s’inscrire parmi les “répliques” cultes dont sont friands les responsables politiques. « Monsieur Attal, je serai très attentif à vos propositions d’économies”, lance le Premier ministre, avant de laisser un temps en suspens et d’ajouter : “...pour faire face au déficit que j’ai trouvé en arrivant”. Il faut entendre l’ironie dans le ton de la voix. Cette mise au point on ne peut plus claire - le Premier ministre lance ainsi “Il faut que vous vous habituiez les uns et les autres à ce que je dise ce que je pense” - méritait bien une analyse sur le fond comme sur la forme. Stephen Bunard, expert en analyse gestuelle et comportementale et auteur du livre Vos gestes disent tout haut ce que vous pensez tout bas (ed. So Book), s’est attardé pour Planet.fr sur ces échanges truculents.
"Un air de chien battu"
Face à Gabriel Attal, le Premier ministre se montre très pince-sans-rire tandis que son prédécesseur semble ronger son frein. Comment interpréter cet “échange” de mots et de regards entre l’actuel occupant de Matignon et son prédécesseur ?
La réaction de Gabriel Attal est intéressante. Il penche la tête à droite, c’est le signe qu’il entre en vigilance. Le plus intéressant, c’est son faux sourire. Ses commissures des lèvres remontent et il gonfle les joues, mais l'agacement ne doit pas être montré. Il essaie de sourire sans y parvenir. Les paupières du bas s’affaissent. Cela donne un air de chien battu. Évidemment, l’applaudissement n’est qu’une forme de contenance pour ne pas se sentir ridiculisé et pour montrer que son cerveau reste en action, comme lorsque l’on dit “bravo, bravo”. Il accuse le coup.
On voit que Michel Barnier est content de ses effets, quand il dit “je serai attentif”, il y a des petits sourires.
Qu’en est-il des échanges avec les autres députés ?
Lorsqu’il dit à Mathilde Panot “vous avez trouvé que je cherchais à vous faire peur”, il se caresse le menton. Soit il doutait, soit il surjoue inconsciemment. Ensuite, il se laisse un peu embarquer. Il s’apprête à livrer une anecdote puis il se gratte le nez pour essayer de se couper et de se retenir de rire. C’est drôle, on a l’impression qu’il se laisse déborder par l’histoire qu’il a en tête. Je pense qu’il s’est freiné.
De son côté Mathilde Panot n’arrête pas de sourire. L e sourire est souvent le meilleur masqueur émotionnel. Elle a la tête à droite, en vigilance, et se tient dans une posture les mains croisées sous son menton, en signe factice d’attention et d’écoute. C’est une position dominante. Lorsqu’elle entend le chef du gouvernement dire “plus vous serez agressifs, plus je serai respectueux”, elle sort de cette position et sa bouche montre un faux sourire.
La phrase est courte, percutante et emploie une figure de style, l’antithèse entre “agressif” et “respectueux”. Michel Barnier renvoie ainsi ses opposants à leur côté boutefeu, à l’exploitation qu’il peuvent faire de l’émotionnel, du cerveau limbique tandis qu’il se positionne comme une personne calme, capable de sang-froid. C'est une façon de dire à ses détracteurs de gauche : ‘ne comptez pas sur moi pour aller sur les terrains émotionnels, polémiques, superficiels sur lequel vous voulez m'emmener.”
"Je vous laisse avec vos broutilles enfantines"
Ensuite, il passe un moment face à Eric Ciotti. Ce dernier penche sa tête sur l’axe latéral droit. Comme pour Gabriel Attal et Mathilde Panot, onest dans la vigilance. Ce qui est intéressant, c’est la bouche qui se tord vers la gauche qui traduit une espèce d’état de sidération, la personne se montre hésitante sur la manière dont elle va aborder la suite. On devine sa langue sur le côté : il semble se retenir de dire quelque chose d’un peu ‘vache’.
Quant à Michel Barnier, il se montre particulièrement cinglant puisqu’il dit : “Monsieur Ciotti, je vous connais bien. J’ai pas envie de faire des polémiques avec vous, et puis j’ai pas le temps”. Cela peut être pris comme une forme de mépris. Cela dit aussi : “j e vous laisse avec vos broutilles enfantines”. Il prend une fois de plus cette posture du Savoyard sur sa montagne, totalement consacré à sa tâche, celle de quelqu’un qui trace sa route. Un peu comme s’il disait “les chiens aboient, la caravane passe”.
Concernant André Chassaigne, cela ne joue pas sur le même registre. Le Premier ministre évoque le fait que ce dernier a écrit son texte à l’avance. Il veut montrer le côté dogmatique d'une certaine gauche un peu figée dans le temps. On sent aussi une espèce de connivence entre ‘vieux de la vieille”. Les deux rient. Dans l’ensemble, il y a un petit côté “Tontons Flingueurs”.
"C'est mon moment"
Comment qualifiez-vous tous ces traits d’humour ?
Il pratique des styles d'humour assez variés dans le registre de l'ironie. Derrière ces petites phrases cinglantes, il y a un message en contrepoint : “je resterai calme, je suis peut-être âgé mais je ne veux pas me comporter comme un apparatchik, je ne suis pas un homme d’appareil. Je veux utiliser mon temps précieux à bon escient. C’est aussi un humour de traits d’esprit, avec un côté satirique un peu voltairien.
Au fond, Michel Barnier semble s’amuser de la situation, comme s’il prenait une sorte de revanche…
C'est la révélation du septuagénaire désinhibé. Il fait oublier le côté “fadasse”, haut fonctionnaire européen qui lui a toujours été reproché. Un peu comme s’il disait “c’est mon moment”, donc autant en profiter et aller à contre-courant de tout ce qui a pu être dit, lu, entendu.