Pendant la période des fêtes de fin d’année, une nouvelle méthode de fraude particulièrement sournoise émerge : des faux conseillers bancaires qui utilisent WhatsApp pour tromper les Français.
Adolescente, Marie-Christine a passé trois ans dans un établissement tenu par la Congrégation du Bon Pasteur, aujourd'hui accusée de maltraitance envers ses pensionnaires. Plus de 50 ans après les faits vécus, des centaines d'anciennes élèves brisent le silence sur un site privé et dédié à leurs souvenirs communs. Punitions, violences verbales et physiques, soumission... Planet a recueilli le témoignage de Marie-Christine, qui a accepté de revenir sur ces dures années. La rédaction a choisi de vous livrer son récit tel qu'elle l'a recueilli. Attention, certains passages peuvent choquer.
"À l’âge de 15 ans, j’ai été envoyée dans un établissement du Bon Pasteur, celui d’Orléans, et je suis restée dans la structure jusqu’à mes 18 ans, trois ans avant ma majorité – qui était alors fixée à 21 ans. J’y ai été envoyée parce que mes parents ne m’élevaient pas, c’était ma grand-mère qui s’occupait de moi et elle était déjà très âgée : elle avait 75 ans à ma naissance et donc 90 ans à cette époque-là. Comme toutes les jeunes filles de mon âge, je voulais sortir, je ne voulais plus aller à l’école, je n’y faisais pas grand-chose d’ailleurs, mais je n’étais vraiment pas dans une grosse délinquance. Néanmoins, oui, j’ai fait l’école buissonnière le jeudi, car je voulais aller en ville avec mes copines.
Le juge des enfants a décidé que j'irai au Bon Pasteur, sans me rencontrer
Ma mère a alors prévenu le juge des enfants, mais ça je l’ai appris seulement quand j’ai demandé mon dossier, des décennies plus tard. C’est ce juge qui, sans m’avoir vue, a décidé que j’irai au Bon Pasteur. J’ai d’abord fait six mois à Angers, au centre d’observation obligatoire : c’était une sorte de gare de triage, où on arrivait toutes et où on était observées pendant six mois : notre comportement vis-à-vis des éducatrices et des filles des sections. Comme l’école était obligatoire jusqu’à 14 ans à cette époque, dès qu’on avait plus que 14 ans on était déscolarisée et c’était donc mon cas.
Après ces six mois d’observation, vu que j’étais originaire de Nantes, on m’a envoyée à Orléans, pour que je sois loin de ma famille et on m’a simplement dit que j’allais ‘travailler dans un pensionnat religieux’. Je n’oublierai jamais mon arrivée : j’ai entendu la porte s’ouvrir, j’ai vu un cloître avec un patio et j’ai tout de suite senti qu’il y avait quelque chose d’anormal, une ambiance que je n’explique pas, en réalité j’avais peur.
J’ai été accueillie par la mère supérieure, qui m’a envoyée dans une section et m’a coupé les cheveux très, très court. Je pense que c’était pour nous soumettre, parce que quand j’ai voulu parler avec une des filles on m’a répondu : ’Ici on ne parle pas, on se tait’. Je suis arrivée pour l’heure du coucher, on m’a dit de mettre mes mains et mes bras par-dessus les draps, mais évidemment je ne savais pas pourquoi à l’époque, et on devait dormir dans cette position. J’avais peur, mais c’était rien par rapport à ce que j’allais vivre pendant les deux prochaines années…"
Nos journées : prières huit fois par jour et travail non rémunéré
"Les journées étaient rythmées par la règle de la clôture. On se levait le matin et on faisait une prière au pied du lit, on faisait une toilette de chat, on s’habillait, on priait, on petit-déjeunait et on priait encore. Les filles qui avaient moins de 14 ans suivaient des cours et les autres, dont je faisais partie, travaillaient : buanderie, repassage, lessive. Ensuite on priait, on déjeunait, on priait, on assistait à la messe dans la journée, on avait la prière du soir avant de manger et puis une autre avant de se coucher.
Moi je travaillais à la couture, on cousait des empiècements de dentelle sur des combinaisons, mais il y en a aussi qui mettaient les boutons pression sur les culottes en plastique des bébés. On travaillait 11 heures par jour, sans rémunération. A ma sortie du pensionnat, après trois dans de travail, j'avais l'équivalent de deux euros en poche.
Quand on ne travaillait pas… On ne faisait rien. Une fois de temps en temps on avait la télévision dans une grande salle, mais les programmes étaient très très choisis, on n’avait pas de bibliothèque, on avait aucun livre, aucun magazine, rien. On pouvait écouter la radio quand on travaillait, mais s’il y avait une chanson un peu trop rock’n’roll, la soeur baissait pour pas qu’on écoute et tout ce qui venait des Etats-Unis était censuré par exemple. Si le travail était dur, ce n’était rien par rapport à ce qu’on subissait aussi de la part des sœurs…"
L'enfer du mitard et les violences quotidiennes
"Pour chaque nouvelle entrée, un examen gynécologique était réalisé afin de voir si on avait des maladies vénériennes, mais en réalité il avait comme but de voir si on était vierge ou non. Certaines ont été violées au cours de cet examen, qui se passait sans gant ni speculum et une sœur, au pied de la table d’examen, faisait des commentaires sur l’anatomie de certaines filles. Dans les établissements pour garçons, il n’y avait pas cet examen, soi-disant pour les maladies vénériennes.
La sœur qui s’occupait de notre section, sœur Angelina, était épouvantable, elle nous frappait. Un jour elle a attrapé une fille par les cheveux, lui a cogné la tête contre le lavabo, jusqu’à ce qu’une des nôtres ait le réflexe de dire : ‘Arrêtez ma sœur, vous allez la tuer !’. À ce moment-là, seulement, elle s’est arrêtée. Tous les jours il y avait des actes de violence morale, même de la part de la mère supérieure. Elle nous réunissait une fois par mois dans la grande salle, elle trônait à la place d’honneur et, de chaque côté, il y avait les sœurs. Si une des filles avait fait une bêtise, les faits étaient exposés devant tout le monde.
Il y avait un mitard : le lit était fixé au sol, ou c’était simplement une paillasse par terre, avec un saut pour faire les besoins et une trappe pour les repas. La durée d’enfermement était au bon vouloir des sœurs et certaines filles sont ressorties complètement folles : il n’y avait aucune sortie autorisée, il n’y avait rien, pas de papier, pas de livre, il n’y avait absolument rien. La fille était assise toute la journée dans le noir, les mains sur les genoux.
Je ne le savais pas à l’époque, mais j’étais droguée. Lorsque j’ai demandé à avoir mon dossier, on m’a envoyé un document sur les années passées à Orléans et j’ai retrouvé une ordonnance qui venait de l’hôpital d’Orléans et qui me prescrivait trois médicaments. J’en ai parlé à mon médecin et ça n’était pas anodin comme traitement : il y en avait un pour les troubles de l’humeur et deux autres à titre expérimental.
Mes parents n’étaient bien sûr pas au courant. J’ai reçu des lettres pendant mes années au pensionnat, mais tout le courrier était lu et, dans mon dossier, il y a des lettres que je n’ai jamais reçues. Il y en a par exemple une de ma mère qui demande ce qu’on va faire de moi, car la mère supérieure lui dit qu’elle ne sait pas quoi faire de moi. Je sais qu’il y a des filles à qui on a caché des visites de leurs parents et, pendant les parloirs, les sœurs étaient présentes, peut-être pour ne pas qu’on parle ? Ces moments avec les parents étaient un peu au mérite et certaines ont passé six mois sans voir leurs parents, par exemple.
Plus de 50 ans après, je n'ai rien oublié de ce qu'il s'est passé
"Plus de 50 ans ont passé, mais je n’ai pas oublié tout ce que j’ai vécu durant ces années au Bon Pasteur. C’est après la diffusion du film Magdalene Sisters que j’ai découvert le site des anciennes du Bon Pasteur. Là, j’ai commencé à comprendre ce que j’avais vécu car, tout ce qui se déroulait dans le film, je l’avais vécu moi aussi, je me suis reconnue dans tous les personnages. Moi qui n’avais jamais parlé de tout cela à mes proches, je l’ai fait après la diffusion du film : ce dernier a débloqué la parole chez beaucoup d’entre nous.
Aujourd’hui, on demande à être reconnues comme victimes, on veut qu’on nous demande pardon. La congrégation commence à reconnaître à demi-mot qu’il y a eu de la maltraitance, peut-être qu’il commence à y avoir une prise de conscience de ce qu’il s’est passé. Aujourd’hui je souffre de claustrophobie, je déteste le bruit des clefs, les portes fermées, l’odeur de l’encens. Je ne supporte aucun examen médical non plus.
Certaines des sœurs qui nous encadraient sont toujours en vie, mais on nous a toujours refusé de les rencontrer. Pourtant on avait promis d’aller les voir seulement si elles le désiraient et si elles étaient en état de nous répondre. Il n’était pas question de forcer la porte de quelqu’un de très âgé et qui n’a pas envie de communiquer. Une des sœurs est morte il y a quelques années déjà, elle s’était confiée aux autres en disant qu’elle avait regretté toute sa vie ce qu’elle nous avait fait subir… Mais on a eu cette information après sa mort et j’ai trouvé ça dommage, car quelqu’un qui se repend toute sa vie mérite quand même un pardon".