"J’en avais plus qu’assez de ces gens qui ne disent pas bonjour !"IllustrationAFP
La vie d'hôte de caisse n'a rien de simple. Elle est, de l'avis de certains concernés, déshumanisante et douloureuse. Entre le manque d'empathie de la clientèle et les tâches répétitives, il peut être très difficile de s'en sortir...
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"J’y allais la boule au ventre", explique la jeune femme. Des années durant, Sylvia* fut hôtesse de caisse — caissière donc. Après plusieurs hivers passés à scanner produit après produit, à lutter pour arracher un simple bonjour à nombre de ses clients et des mois à souffrir de douleurs engendrées par les tâches répétitives, elle a décidé de raconter son expérience. Elle décrit un travail difficile, déshumanisant, payé au lance-pierre (tout juste un smic). Les obstacles sont nombreux : manque de moyens, graves problème d’organisation, remarques désobligeantes… 

"J’ai été caissière un peu plus de quatre ans. Dans un premier temps, entre 2010 et 2013, j’ai travaillé trois ans pour Carrefour, dans le plus grand super-marché d’Europe, à l’époque. Puis, entre 2013 et 2016, j’ai enchaîné successivement plusieurs missions pour Intermarché. J’ai cherché à me réorienter, mais j’ai fini par revenir vers eux pour un CDD d’essai, puis finalement un CDI", détaille l’ancienne employée de caisse, qui a travaillé aussi bien dans des magasins urbains que dans des boutiques de campagnes, notamment aux alentours d’Orléans (Centre-Val de Loire).

"A la caisse, le travail devient très vite anxiogène", pointe-t-elle du doigt, évoquant des "horaires chaotiques changés au gré des responsables, sans aucune occasion pour se retourner", ainsi qu’une "organisation déplorable" et un "multitâche parfois abusif". Sans oublier, évidemment, ces clients qui s’offusquent quand un employé cherche à éviter des heures supplémentaires non payées en fermant boutique quelques minutes avant l’horaire officiel.

"L’humain, en tant que client, n’a aucune empathie" : une caissière témoigne

"L’humain, en tant que client, n’a aucune empathie", lâche-t-elle non sans un petit rire jaune, désabusé. "Évidemment, certains sont parfois aimables. Mais celles et ceux-là sont peu nombreux, et noyés dans le flot de personnes antipathiques qu’on retient davantage", nuance la jeune femme. 

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Un employé qui décide de fermer l’enseigne légèrement plus tôt est susceptible de provoquer le courroux d’une clientèle tardive. Mais ce n’est pas la seule raison qui poussent certains d’entre eux à s’agacer. "J’en avais plus qu’assez de ces gens qui ne disent pas bonjour ! D’autant plus qu’ils s’énervent et se sentent agressés quand tu le leur fais remarquer d’un deuxième salut dit un peu plus fort… Sans doute réalisent-ils qu’ils ne sont pas polis", se remémore, lasse, l’ancienne caissière. "On n’est pas des meubles !", s’offusque-t-elle encore.

Souvent, le client contribue considérablement à compliquer la journée. Ceux qui ne font pas montre d'agressivité n’hésitent généralement pas à lâcher un mot blessant. "Je me souviens de cette femme qui avait sermonné son enfant parce qu’il avait voulu ramasser une carte téléphonique qu’il avait fait tomber, devant ma caisse. ‘Laisse, lui a-t-elle dit avant de se tourner vers moi, elle est là pour ça’. Une autre m’avait pris en exemple à ne pas suivre pour son fils. ‘Si tu ne travailles pas à l’école, tu vas finir comme la dame !’, lui avait-elle assuré", raconte tristement Sylvia.

"Le travail en caisse est très déshumanisant. La plupart des gens nous ignorent comme si nous n’existions pas et une bonne partie des autres n’hésitent pas à nous dévaloriser. Ce sont les mêmes qui nous reprochent de ne pas sourire assez…", poursuit la jeune femme.

* Le prénom a été modifié

Une caissière témoigne : des conditions de travail complexes ?

"Chez Carrefour, qui avait bien plus de moyens que les Intermarchés pour lesquels j’ai travaillé, il aura fallu un an pour que le travail devienne véritablement pénible, indépendamment de l’attitude des clients. La véritable galère a commencé quand le magasin s’est débarrassé d’une bonne partie des employés", note Sylvia, qui est restée par absence d’alternative. "Pour Intermarché, j’aurais aimé ne pas rester plus de quatre mois seulement. Mais je n’avais pas le choix", déclare-t-elle. "J’avais postulé pour du travail de caisse, mais très rapidement j’ai commencé à passer mon temps en rayon, ce qui n’est pas du tout la même chose", souligne-t-elle. 

"En caisse, le travail consiste à garder son propre poste et de scanner les articles des clients. La mise en rayon, en revanche, il faut se rendre dans la réserve, récupérer les cartons livrés pour la rangée dont on est le gérant. Cela implique de manier la transpalette, mais aussi de venir ensuite en aide aux collègues, nettoyer et faire de l’étiquetage. Naturellement, il faut aussi passer les commandes pour pouvoir remplir le rayon avant de tomber en rupture de stock", précise l’ancienne caissière. Et elle d’ajouter : "Là où cela devient plus compliqué, c’est qu’il faut gérer plusieurs rayons, dont le nombre varie selon la taille du magasin".

En début de contrat, les jours se ressemblent. L’ancienne employée devait se rendre au "coffre", où elle récupérait son fond de caisse. Ses supérieurs lui faisaient alors un récapitulatif des promotions en cours. Puis le travail commence : il faut ensuite prendre le poste et le tenir jusqu’à la pause. "Parfois, on nous oubliait. Il fallait alors réclamer notre temps d’arrêt…", se souvient Sylvia. "En fin de journée, quand je faisais la fermeture, il fallait attendre le départ du dernier client pour pouvoir fermer, généralement en retard. Quand je ne fermais pas, il fallait attendre la relève et elle aussi était rarement à l’heure", précise l’ancienne caissière pour qui ces retards successifs ont cela de problématique qu’ils sont à la fois récurrents (parce que systémiques)… et rarement compensés.

"Chez Intermarchés, seules les heures supplémentaires programmées et prévues par les responsables étaient payées. Le délai nécessaire à la fermeture ne l’était jamais. Certains essayent de fermer un peu plus tôt pour anticiper mais, forcément, cela ne plaît pas beaucoup à la clientèle…", déplore Sylvia.

"Certaines collègues ont fini en maladie professionnelle" : une caissière témoigne

Pire, peut-être, que les problèmes d’organisation et une clientèle désobligeante, on trouve le travail en lui-même. Par essence, le travail d’hôte de caisse n’est pas bon pour la santé. Le site du ministère du Travail recense plusieurs risques : douleurs dorsales, lumbagos, effets extra auditifs, fatigue visuelle, inconfort, stress, charge mentale et troubles veineux ne sont que quelques-uns des dangers qui pèsent sur ces employés comme une épée de Damoclès.

En 2007, 37% des accidents du travail concernaient des manipulations et des manutentions manuelles. Les problèmes de dos, eux, représentaient 41% des accidents avec arrêts. 24% des travailleurs et des travailleuses souffrant de soucis avaient fait une chute et, d’une façon générale 25% des accidents du travail recensés en grande surface ont des conséquences sur la main de la victime.

"La caisse classique est tellement répétitive qu’on chope vite des douleurs aux coudes ou aux poignets. Il faut alterner entre la position debout et la position assise pour éviter autant que faire se peut d’avoir mal au dos", témoigne Sylvia, qui estime avoir eu de la chance. "Comme j’ai été très polyvalente (travail en rayon, en caisse, mais aussi en station service, etc), je n’ai pas été trop atteinte contrairement à certaines de mes collègues qui souffrent de grave séquelles. Elles ont fini en maladie professionnelle…", explique la jeune femme.

Et elle de conclure : "À titre personnel, j’ai gardé des douleurs pendant quelques mois au terme de mes contrats. Elles reviennent très vite, quand je dois répéter le même type de tâche mais rien d’aussi grave."