Ces Français qui ont fondé leur propre État… à l’intérieur de la Franceabacapress
Si Monaco et Andorre sont les plus connues, il existe pourtant d'autres principautés en France, beaucoup plus discrètes. Pour en savoir plus, nous avons rencontré Bruno Fuligni, auteur de "Royaumes d'aventure".
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Qui n’a jamais rêvé de fonder son propre royaume ? Un territoire sur lequel on règnerait en maître, et où on se laisserait aller à la folie des grandeurs. Ce rêve fou, certains l’ont plus que caressé en fondant à partir de rien un empire à l’autre bout du monde.

Des îles lointaines aux enclaves oubliées en passant par les empires éphémères, l’historien Bruno Fuligni s’est donné pour tâche de raconter les histoires – souvent rocambolesques – de ces créations d’États. Il vient de publier aux éditions des Arènes le livre Royaumes d’aventure, un atlas d’une quarantaine de cartes où sont répertoriées toutes les micronations passées et présentes.

"Ce qui était auparavant une curiosité est devenu un véritable phénomène"

En 1997 déjà, l’historien s’était intéressé à l’essor des petites monarchies et des principautés dans le monde (L’Etat c’est moi, aux éditions de Paris). Un sujet selon lui de plus en plus d’actualité. "En 20 ans, le nombre de créations de micronations a été croissant, indique Bruno Fuligni à Planet.fr. Ce qui était auparavant une curiosité est devenu un véritable phénomène. On estime ainsi que 500 000 personnes dans le monde détiennent actuellement un passeport issu de ces micronations."

La principauté d’Arbézie, un simple hôtel

En France, peu de gens le savent, mais des principautés se sont développées à l’ombre de Monaco et d’Andorre. Ainsi de la facétieuse principauté d’Arbézie, qui a la particularité d’être à cheval entre la France et la Suisse, au niveau du Jura. Sa création en 1863 est plus que folklorique : alors que la France et la Confédération helvétique décident de rectifier leur frontière, un certain Ponthus découvre que son champ est coupé en deux par la nouvelle délimitation. Peu échaudé, le jeune homme de 25 ans décide tout simplement de construire en quelques jours une maison sur la frontière !

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En 1921, l’établissement devenu hôtel tombe dans la famille Arbez. Pour la France, il est en territoire suisse, et pour les Suisses, il est en territoire français… Un casse-tête douanier qui permet à Max Arbez de faire de son enclave de seulement dix ares une principauté souveraine. Et le propriétaire de se faire appeler Max Ier d’Arbézie ! Aujourd’hui encore, l’hôtel-principauté, qui a son drapeau (un épicéa rouge sur fond jaune) et sa monnaie (la roupie), existe encore et a même son propre site.

La république du Saugeais à la frontière franco-suisse

A quelques kilomètres de la principauté d’Arbézie se trouve la république du Saugeais. Comme l’hôtel-principauté, la république est née après une boutade : en 1947, le préfet du Doubs, en visite à Montbenoît, déjeune à l’hôtel de l’Abbaye dont Georges Pourchet est le propriétaire. Un brin taquin, ce dernier demande au préfet un laissez-passer pour entrer dans son établissement. Le représentant de l’Etat, pour rire, lui rétorque : "À une République, il faut un président. Eh bien, je vous nomme président de la République libre du Saugeais."

Le préfet ne pensait sans doute pas que Georges Pourchet allait le prendre aux mots… Avec son épouse Gabrielle, le nouveau "président" instaure une république autoproclamée qui va se doter d’une armoirie, d’une devise ("Dieu, Famille, Partie et Amis"), de timbres, d’un billet de banque symbolique, de laissez-passer que contrôlent deux douaniers volontaires (voir photo), et même d’un hymne. Oui, la blague est allée assez loin… et dure depuis 70 ans ! Aujourd’hui, c’est la fille du président-fondateur qui est à la tête de cette république folklorique qui n’a d’ambitions que de promouvoir le tourisme et le terroir de la région.

Les 134 communes libres de France

Mais la France compte d’autres principautés tout aussi folkloriques et non reconnues par l’Etat français : la république indépendante de Figuerolles (Bouches-du-Rhône), la principauté d’Aigues-Mortes (Gard), et celle de Laàs-en-Béarn (Pyrénées-Atlantiques).

À côté de ces principautés, on peut encore citer les 134 communes françaises libres, regroupées dans une association afin de promouvoir le patrimoine architectural et culturel de leurs quartiers. Chaque année, les communes libres se réunissent pour des États généraux de leur association nationale. "Moins politiques que les autres micronations, les communes libres ont généralement un cadre associatif et des visées modestes, explique Bruno Fuligni dans son livre. Certaines s’apparentent à des confréries gastronomiques tandis que d’autres affichent une vocation fraternelle et sociale."

Ces Français partis fonder des empires au bout du monde

Si, en France, l’émergence d’une micronation se fait sur le ton de la plaisanterie et du marketing territorial, sur le plan international, les revendications politiques ne sont jamais loin. "Pour s’aventurer à créer son propre Etat, il faut soit avoir le goût de la liberté, de la plaisanterie, soit une volonté d’exercer le pouvoir et pourquoi pas de s’enrichir au passage, soit enfin avoir un projet politique", égrène Bruno Fuligni.

Dans son livre Royaumes d’aventure, l’historien nous raconte ainsi les périples de Français partis au bout du monde pour créer leur petit royaume, voire leur empire éphémère. Tel Antoine de Tounens, fils de paysan périgourdins, devenu en 1860 roi d’Araucanie-Patagonie (un territoire de plus de 700 000 km2 en Amérique du sud) sous le nom d’Orllie-Antoine Ier. En quête d’aventures, l’homme part en 1857 en Amérique latine sous le nom d’Orllie-Antoine avec des pesos à son effigie et un projet de constitution en 70 articles.

Là-bas, il s’allie à la cause des Indiens mapuches contre les Espagnols et les Incas. En 1860, le voilà devenu roi d’Araucanie-Patagonie... avant que les Chiliens ne le chassent en 1862. Un règne bref qui n’empêche pas que son trône compte encore aujourd’hui quelques légitimistes en France qui se chamaillent sur l’élection du futur roi en exil.

Parmi les nombreux aventuriers français partis conquérir des terres, citons enfin le cas de quelques soldats de la Grande Armée de Napoléon Bonaparte qui ont profité de la conquête du Far West aux États-Unis pour se créer un petit État. C’est en 1818, soit trois ans après Waterloo, qu’ils fondent cette petite enclave napoléonienne baptisée "État Marengo", du nom d’une victoire de l’Empereur. Bien sûr, les rues portent les noms des grandes victoires impériales !

"Aujourd’hui, on fait valoir ses droits sur un territoire depuis son canapé !"

Les Français ne sont bien entendus pas les seuls à être partis au bout du monde s’approprier de nouvelles terres. Dans son livre, Bruno Fuligni raconte l’histoire de nombreux autres monarchies ou empires fondés principalement par des Européens en quête d’exotisme et de pouvoir.

Des micronations qui, hier comme aujourd’hui, sont principalement situées dans des zones désertiques, difficiles d’accès, voire des îles. "Avec le réchauffement climatique, de nouvelles terres apparaissent, susceptibles d’être appropriées par n’importe qui", rajoute Bruno Fuligni, qui révèle que l’île Doumeïrah, sur la mer Rouge, est une terre toujours à prendre.

Les frontières où subsistent des contentieux entre États limitrophes sont aussi propices à la création de micronations. Ainsi, l’apparition en 2014 du royaume de Bir Tawil (ou du Soudan Nord), à la frontière soudano-égyptienne, a fait les gros titres de la presse. Il faut dire que l’histoire a tout d’un conte de fées. Un père américain, qui avait promis que sa fille serait une princesse, s’est engouffré dans la querelle géopolitique entre l’Égypte et le Soudan pour prendre possession à distance de la minuscule enclave non réclamée par les deux pays, et y fonder le royaume de Bir Tawil.  Le père s’est proclamé roi, et a fait de sa fille la princesse du royaume le jour de son anniversaire.

"À l’origine, les personnes qui prenaient possession de territoires à l’autre bout du monde étaient des aventuriers, des coloniaux qui, au lieu de conquérir le territoire pour leur pays, le faisaient pour eux", souligne Bruno Fuligni. Et l’historien d’ajouter : "Aujourd’hui, avec toutes les possibilités offertes par l’informatique et les moyens de communication, on fait valoir ses droits sur un territoire depuis son canapé !"