A l’approche des fêtes, de nombreux consommateurs passent par internet pour faire leurs achats. Attention, cette période est également propice à la fraude.
Dans ces moulages de bustes de plâtre, il reste encore des traces de ces vies disparues. Au château de Blois, du 21 septembre au 1er décembre 2024, il sera possible de découvrir ces archives d’une rareté exceptionnelle. Une soixantaine de visages aux yeux clos, comme autant de témoignages silencieux d’un crime contre l’humanité. Ces visages appartenaient à des êtres humains déportés d’Afrique et réduits en esclavage.
En 1846, l’ethnographe Eugène Huet de Froberville, dont la famille s’est installée et enrichie à l’Île Maurice, mène une étude sur “les races et les langues de l’Afrique de l’Est au sud de l'Equateur”. Dans le cadre de cette enquête, il fait fabriquer ces bustes. Pour cela, des hommes et des femmes maintenus en captivité depuis qu’ils ont été vendus en Afrique orientale doivent poser pendant des heures, dans des conditions d’une grande violence. En témoignent les cheveux et les cils, dont il reste encore des traces dans les moulages plus de 170 ans plus tard. Mais ce n’est pas leur ADN qui a permis de retrouver la trace de leurs descendants.
Au fond d’un grenier chez les descendants d’Eugène
Ses travaux ont conduit Froberville à interroger quelque 300 personnes déportées vers les îles de l’océan Indien. Ses observations et conclusions, il les note dans des carnets, d’innombrables carnets. Deux ans après la fabrication des moulures, l’esclavage est aboli en France, à l’initiative de Victor Schœlcher. Et puis le temps passe. Froberville, ses carnets et ses masques tombent dans l’oubli.
Jusqu’à ce qu’en 2018, une historienne, Karine Boyer-Rossol, déniche ces manuscrits au fond d’un vieux “grenier chez des descendants d’Eugène de Froberville”, comme elle l’explique dans un article universitaire publié sur OpenEditions.org. Quant aux moulures, elles ont aussi été remisées… au château de Blois où elles étaient conservées depuis la Seconde Guerre mondiale.
“Libres”, mais sous domination
Les onze calepins représentent plus de 1000 pages manuscrites. S’y ajoute un énorme dossier de synthèse auquel des croquis et des lettres sont adjoints : 1600 pages. L’historienne se met à l'œuvre pour les décrypter.
Elle retrace les parcours, recoupe les histoires. A Maurice, nombre des personnes interrogées ne sont plus à proprement parler en situation de servitude, mais les rapports de domination d’une “race” sur l’autre perdurent.
Et Froberville, “s’appropri(e) le discours à la fois abolitionniste et monogéniste qui se diffusait dans certains cercles libéraux et savants, et qui mobilisait la race pour justifier le maintien de rapports de domination”, écrit-elle.
Son projet ethnographique consiste notamment en un projet de “classification” qui repose sur des prises mesures, des dessins et ces fameuses moulures de visages. Dans ses carnets, il retranscrit des morceaux de musique, des récits, des histoires ainsi que les lieux dont sont originaires les déportés qu’il rencontre, ainsi que des dates. Et des noms.
Les déportés du “Lily”
Karine Boyer-Rossol parvient à identifier au moins 140 noms sur les 300 répertoriés par Froberville. Quasiment tous des hommes. Parmi eux, certains étaient arrivés à Maurice en 1840 à bord d’un bateau britannique, le “Lily”. L’historienne retrace les “noms et trajectoires” de 23 d’entre eux.
“Lily”, c’est le nom que l’on attribue à ces humains qui en portaient un autre avant d’être envoyés au bout du monde à bord du navire. Ainsi, Joao, l’un des hommes dont le visage moulé est présenté à Blois, est-il renommé “Dieko du Lily” une fois débarqué.
Plus de 170 ans plus tard, des descendants d’anciens esclaves, qui portent le nom de famille “Lily” ont visité l’exposition.