TEMOIGNAGE Surveillante pénitentiaire, elle nous livre les secrets de la prison des femmesIstock
Pendant 37 ans, Marie-Annick Horel a exercé le difficile et méconnu métier de surveillante pénitentiaire, au Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. Aujourd'hui, elle revient sur son expérience dans un livre témoignage fleuve, "Au cœur de la prison des femmes", paru aux éditions du Tallandier. Sans tabou, et loin des clichés, elle raconte le quotidien des détenues, et les challenges de la vie en prison. Elle a accepté de nous partager son histoire et quelques confidences sur les détenues qu'elle a longuement fréquentées.
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De 1980 à 2017, Marie-Annick Horel, aujourd’hui retraitée, est surveillante, puis major, au Centre pénitentiaire pour femmes de Rennes. Elle s’occupe des dizaines de détenues qui brassent nuit et jour dans la prison, historiquement célèbre : c’est le seul établissement uniquement réservé aux femmes en France, où toutes les surveillantes sont également des femmes. Il accueille près de 300 détenues, condamnées pour la plupart à de très longues peines.

Bien plus qu'ouvrir et fermer des cellules

Ces femmes, qui ont commis l’indicible, Marie-Annick les as côtoyées de près pendant 37 ans. Elle sait tout de leur quotidien derrière les murs, et témoigne de leur difficultés à retrouver un peu d’humanité. Son rôle, c’est alors bien que d’ouvrir et de fermer des cellules. Marie-Annick Horel veut les comprendre, et les accompagner vers une vie meilleure.

Mais dans les couloirs du centre pénitentiaire, il se passe aussi des choses très sombres. Suicides, violence, détresse et manipulations… La vie en prison ne fait pas de cadeaux, ni aux détenues, ni aux surveillants.

Pour Enquêtes de vérité, Marie-Annick Horel a accepté de revenir sur sa carrière, sur les détenues qui l’ont marquée, et sur le traitement injuste que subit souvent le personnel pénitentiaire, incompris et victime des pires préjugés. Interview.

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Comment vous-êtes vous retrouvée à exercer ce métier, très jeune ?

Marie-Annick Horel : Au départ, on ne choisit pas vraiment le métier. Moi, je voulais être fonctionnaire. En 1980, j’avais passé plusieurs concours administratifs, notamment celui de l’hôpital psychiatrique Saint-Anne, que j’ai réussi. Et puis au même moment l’administration pénitentiaire effectuait un recrutement. Entre l’hôpital et la prison, j’ai été attirée par la prison, car c’était un monde que je ne connaissais pas du tout. Je suis d’une nature assez curieuse, alors je me suis dit : pourquoi pas essayer, si j’y arrive, tant mieux, sinon, je ferai marche arrière.

Je ne m’attendais certainement pas à faire une si longue carrière. Au début, je n’ai pas été très bien reçue : nos collègues ne savaient pas y faire avec le jeune personnel, et ils étaient très réfractaires au changement, à la jeunesse.

Quelles sont les qualités nécessaires pour exercer le métier de surveillante pénitentiaire ?

Marie-Annick Horel : Il faut être très forte au niveau psychologique. J’ai constaté dans ma carrière que des personnels déjà en souffrance perdaient pied facilement. Il faut être solide, ancré.

Une fois que vous avez cette force-là, il faut avoir un peu d’empathie, pas trop non plus, mais un peu, et il faut oublier qu’on a devant soi des gens qui ont commis des actes très graves. Le sang est souvent sur les mains de ses femmes là, il faut prendre de la distance avec ça, il faut se dire qu’on a des êtres humains en face de nous.

Il faut aimer les gens, tout simplement.

Danger, mal-être : le difficile métier de surveillant pénitentiaire

Ce métier a-t-il été difficile à concilier avec votre vie privée ?

Marie-Annick Horel : C’est très difficile, car vous être « hors contexte », vous travaillez souvent la nuit ou le week-end. Quand on veut avoir une vie sociale, ce n’est pas évident. On est en décalage avec les autres : j’ai perdu des amis car je n’étais plus dans la lignée. Là aussi, il faut avoir un mental, il ne faut pas avoir peur de la solitude.

En revanche, lorsque vous êtes dans la fonction, c’est l’inverse ; c’est un travail d’équipe. Il ne faut pas être isolée, il faut tout partager avec l’équipe : sinon, ça peut être très douloureux, et vous pouvez être à la merci de certaines détenues manipulatrices.

Avez-vous subi des violences, des traumatismes, des moments difficiles au cours de votre carrière ?

Marie-Annick Horel : Oui, j’ai notamment été agressée par une détenue, qui m’a violemment giflée, c’était au tout début de ma carrière et je n’y attendais pas du tout. J’ai aussi été confrontée à la mort, et ça, ça m’a terriblement heurtée, parce que pour moi, c’était un échec. Une détenue s’était suicidée dans sa cellule.  Mes collègues m’ont beaucoup aidé dans cette épreuve en m’expliquant que c’était son choix, que l’on n’aurait pas pu l’en empêcher, mais je vis vraiment le suicide en prison comme un échec.

Vous est-il arrivé d’avoir peur dans l’exercice de votre fonction ?

Marie-Annick Horel :  Bien sûr. J’ai lu peur, je n’ai pas honte de le dire. Il ne faut pas perdre de vue que les prisons aujourd’hui sont l’annexe de l’hôpital psychiatrique, il y a beaucoup de toxicomanes en manque, qui ont souvent des pathologies mentales en plus de ça, et ça peut faire très peur, car ce sont des personnes imprévisibles et incontrôlables.

Quand vous vous retrouvez face à des folles furieuses, et Dieu sait que ça m’est arrivé, vous n’êtes pas sereine, malgré notre formation qui nous apprend à gérer ces cas difficiles.

Mais heureusement, on peut toujours compter sur l’intervention rapide de nos collègues en cas de problème. La sécurité a toujours été une priorité dans l’établissement où j’ai exercé.

Mal-être, dépressions, suicides… Vous dites que le mal-être des surveillants pénitentiaires se rapproche de celui des policiers, mais que personne n’en parle. Pourquoi ce tabou et comment s’en défaire ?

Marie-Annick Horel : Ça fait partie de ma colère. J’ai beaucoup de respect pour les forces de l’ordre. Mais ce que je ne supporte pas, c’est qu’on oublie les surveillants.

On est malmenés autant que les policiers par des détenus qui font régner la loi de leur cité en prison, et on n’en parle pas, car ça arrange tout le monde. Le détenu est enfermé, logé, blanchi, nourri, alors pourquoi se soucierait-on de lui et du surveillant ? On met tout le monde dans le même panier et on oublie que nous sommes là pour faire respecter la loi, et que l’on participe à la sécurité du pays.

On ne parle que du surveillant qui n’a pas fait son boulot, quand il y a des histoires d’évasion par exemple : là, on le pointe du doigt. Le reste du temps, on est oubliés par les médias, les syndicats, par tout le monde.

Les pires détenues de France ?

En arrivant en prison, vous dites que vous vous attendiez à voir « des monstres ». En quoi les détenues vous ont surprise ? 

Marie-Annick Horel : Oui, avant de voir les détenues, je me disais « à quoi elles doivent ressembler, ça doit être des monstres, ça ne va pas être facile… ». Mais en fin de compte, ce sont des Mesdames tout-le-monde.

Il y a de tout derrière les barreaux : des femmes très jolies, éduquées, d’autres plus vilaines, des jeunes et des moins jeunes, de toutes les origines… C’est une micro-société.

Vous faites preuves de beaucoup d’empathie envers les détenues : vous les suivez et vous intéressez à leur parcours, vous essayez de comprendre… Tous les surveillants sont-ils ainsi ?

Marie-Annick Horel : Absolument pas. Je pense avoir eu beaucoup de chance, car j’ai travaillé dans un établissement où la bienveillance est ancrée. Au centre pénitentiaire pour femmes de Rennes, il n’y avait pas de surpopulation, donc on avait le temps, de discuter, d’observer. J’ai pu réaliser ma mission le mieux possible grâce aux moyens qu’on me donnait. S’il fallait juste ouvrir fermer les portes, je ne serai jamais restée aussi longtemps dans ce métier.

Ce qui m’intéressait, c’était d’essayer de comprendre comment ses femmes en étaient arrivées là, sans jamais les juger. Mon père m’a toujours dit « dans la vie, une étincelle peut parfois tout faire disjoncter », et j’ai vu à quel point c’était vrai en prison.

Quand vous recevez les détenues, il ne faut pas les bousculer, leur crier dessus. Elles ont commis des actes graves, elles viennent de passer des heures en garde à vue, on ne va pas en rajouter en couche : ça n’est pas notre travail.

Votre établissement a accueilli des détenues particulièrement médiatisées… Certaines vous ont-elles marquées ?

Marie-Annick Horel : Je me souviens avoir été très mal à l’aise avec Myriam Badaoui (ndlr : condamnée pour viols sur ces enfants dans l’affaire d’Outreau), car je ne pouvais m’empêcher de penser à ses victimes.

Monique Olivier, quant à elle, était une détenue lisse qui, en apparence, s’était coulée dans le moule de la prison. Mais les dessous de table n’étaient pas très jolis. C’est un personnage à elle toute seule, une femme très intelligente et très manipulatrice. Elle baladait le personnel pénitentiaire, en nous disant qu’elle se faisait constamment agressée lors de ses déplacements dans l’établissement. On devait alors diligenter des enquêtes. Au final, les caméras nous montraient qu’il n’en était rien. Elle nous faisait perdre beaucoup de temps. C’est une personne qui ne veut pas se faire oublier, malgré ce qu’elle peut dire.

Une autre détenue célèbre m’a beaucoup marqué, parce qu’elle m’a beaucoup fait rire : Simone Weber (ndlr ; condamnée en 1991 pour avoir découpé en morceaux son amant). Elle avait beaucoup d’humour, elle nous faisait des filouteries. C’était une petite dame bien élevée, avec beaucoup de culture… Quand on pense à ce qu’elle a fait ! Il y avait un individu qui lui écrivait chaque fois qu’il y avait une promotion sur les tronçonneuses. Bien sûr, on ne lui a jamais transmis les courriers…

« Tuer un enfant, ça laisse des traces »

Au cours de votre carrière, vous croisez beaucoup de femmes condamnées pour des infanticides… Quel est votre regard sur ces détenues ?

Marie-Annick Horel : Je n’ai jamais commencé la discussion en demandant à la détenue : « pourquoi vous êtes là ? », je la laissais venir vers moi et m’en parler d’elle-même. Parfois, la détenue s’effondrait. Tuer un enfant ça laisse des traces. Il y en a qui n’en parlent jamais mais qui ne parlent que d’elles, et remettent la faute sur l’autre, souvent le compagnon ou le mari. Et puis certaines femmes nous disent de but en blanc, j’ai tué mes enfants, vous recevez ça en pleine figure, surtout quand vous êtes vous-même une mère de famille. Mais jamais au grand jamais je ne me suis permise de dire à la personne en face « c’est honteux ce que vous avez fait ».

Je me souviens d’une jeune détenue qui avait jeté son enfant dans un puits. Je la reçois dans mon bureau à sa sortie de garde à vue. Elle me regarde, fatiguée, et elle me dit vous savez madame « je n’ai rien à vous dire ». Je lui demande alors son nom, son âge, son adresse, juste pour créer du lien. Elle me dit « non, je suis une criminelle j’ai tué mon fils de 18 mois, vous vous rendez compte, comment vous pouvez me parler, je suis un monstre ». Il y a eu un blanc. Et puis je l’ai écoutée, je l’ai laissée pleurer, je lui ai posé des questions sur elle, sur ces besoins. J’ai essayé de la rassurer car elle avait peur que les autres détenues se retournent contre elle ; j’ai cherché à lui trouver une codétenue de confiance.

Isolées, précaires, illettrées… Vous dressez le portrait de certaines détenues brisées par la vie.

Marie-Annick Horel :  Oui, si on le fait le ratio, il y a beaucoup plus de malheureuses que de Mesdames tout le monde en prison. Des filles ont connu des parcours très difficiles, dès le ventre de la mère parfois, elles ont été violentées, trimballées de foyer en foyer, avec des parents déviants… Ces femmes-là subissent l’abandon plusieurs fois, elles perdent confiance dans l’autre et ont plus confiance en elles. Et pour quitter le milieu familial, elles se mettent à fréquenter des délinquants, tombent dans la drogue… et elles reproduisent malgré elle cette vie.

On voit en prison des vies complètement disloquées, cabossées. C’est triste.

Vous parlez sans tabou de la sexualité des détenues en prison…

Marie-Annick Horel : Ouin la sexualité est présente, ça fait parfois des histoires, mais ça fait partie de la détention. On est larges d’esprit, on demande seulement aux détenues de ne pas s’afficher dans les lieux communs.

Ça arrive aussi entre détenues et surveillantes, même si c’est plus rare. Et ça crée beaucoup de problèmes. En 1998, la criminelle Valérie Subra avait réussi à détourner une de nos surveillantes, qui malheureusement avait des failles, une souffrance qui ne se voyait pas au grand jour. Valérie Subra, grande manipulatrice, en a profité ; ma collègue lui a donné un téléphone portable. Cette histoire nous a beaucoup affectés dans l’établissement, et j’aurai préféré ne pas la vivre.

« La prison vous colle à la peau »

Vous est-il arrivé de reprendre contact avec une détenue après sa libération ? Est-ce autorisé ?

Marie-Annick Horel : Je suis à la retraite, alors oui, je fais ce que je veux ! Il y a peu, une détenue m’a retrouvée et m’a contactée en me demandant si j’acceptais d’avoir des contacts avec elle. Elle n’habite pas dans ma région, mais nous nous sommes appelées. Elle avait besoin de me parler : elle est libre depuis 10 ans, elle a refait sa vie, et elle voulait me dire que ça allait bien. Son message était clair : la prison était difficile, mais elle avait fait de belles rencontres, dont je faisais partie. Chaque année, je reçois ses vœux. Je me dis que j’ai fait, que nous avons fait, avec toute l’équipe pénitentiaire, du bon travail.

Pour certaines, la réinsertion malheureusement ne fonctionne pas. Après avoir passé 20, 30 ans derrière les barreaux, ça vous colle à la peau, et vous n’arrivez pas à vous adapter à la vie « à l’extérieur ».

Les plus petites peines sont, elles, habituées de la récidive. J’ai connu une détenue lorsqu’elle avait 15 ans : aujourd’hui elle, elle en a 35 et elle est encore en prison, elle n’a fait que rentrer et sortir pendant toutes ses années. C’est affligeant.  

Que retenez-vous de votre carrière ? 

Marie-Annick Horel : C’était un beau métier. J’ai été contente de le faire, contente de travailler en prison. Ce qui m’a plu, le plus, c’est quand Robert Badinter a été nommé ministre de la Justice (en 1981). Plein de choses ont bougé et les détenues avaient plus de libertés : elles pouvaient s’habiller, regarder la TV… Même chose, quand les premières unités de vie familiale (UVF) ont vu le jour (en 2003). Les gens disaient : « ça va être des baisodromes », alors que c’était un moment fort pour des familles qui pouvaient enfin se retrouver dans des petits appartements, après des années sans contact.

Qu’est-ce qui doit changer en prison selon vous ?

Marie-Annick Horel : Le regard qu’on a sur le personnel de surveillance doit changer. On parle de nous en des termes péjoratifs, « matones », « gardes »… Il y a tellement d’incompréhension autour du métier de surveillant pénitentiaire que j’ai fini par éviter de dire ce que je faisais aux gens que je rencontrais. Je disais simplement que je travaillais pour le ministère de la Justice. Sinon, j’entendais des horreurs sur la peine de mort, les gens me donnaient leur avis sur les criminels, ou alors on me demandait comment je faisais pour faire ce métier qui avait l’air affreux…

Et puis, il faudrait réexaminer ponctuellement, au cas par cas, les situations de certaines détenues qui sortent du lot, en tenant compte des observations du personnel pénitentiaire. Car une erreur de parcours, ça arrive.

Au cœur de la prison des femmes, Marie-Annick Horel, 18,90 € aux éditions du Tallandier