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Senior alcool médicamentsIllustrationIstock
Alcool, tabac, stupéfiants, jeux d'argent... Il n'y a pas que les jeunes, parfois adolescents, qui souffrent d'addictions. Les seniors aussi, dès 50 ans et plus. Sont-ils pris en charge différemment, leurs traitements sont-ils adaptés à leur âge, comment arrive-t-on à les en débarrasser ?
Sommaire

Les addictions sont un fléau dans notre Pays. Les Français seraient les premiers consommateurs de médicaments au monde, les premiers consommateurs de cannabis en Europe (et peut être plus, proportionnellement à la population), l'alcool tue environ 50 000 de nos compatriotes par an, le tabac environ 70 000 d'après le ministère de la Santé et Santé publique France.

Bientôt de nouveaux types d'addictions en France ?

Même si l'on boit moins et que l'on fume moins (prix des cigarettes oblige, ou contrebande non comptabilisée ?) depuis plusieurs années, les chiffres sont là. Heureusement, nous ne sommes pas encore touchés par les ravages des opioïdes comme en Amérique du Nord, où ils ont fait des centaines de milliers de morts. Mais d'autres substances, comme les drogues de synthèse, le protoxyde d'azote chez les jeunes et surtout la cocaïne, sont en train de submerger l'Hexagone. Les jeunes justement, qui sont une cible privilégiée, ne sont pas les seuls à être concernés.

Seniors : des addictions culturelles ?

Les seniors aussi, à partir de 50 ans et jusqu'à 65 ans, consultent des médecins, psychiatres ou pyschologues addictologues, même dans des proportions moindres, comme nous l'a appris le docteur Patrick Daimé, membre du conseil d'administration de l'association Addictions France, lors d'un entretien.

Planet.fr : Quelles addictions traite l'association ?

Dr Patrick Daimé : L'association les traite toutes : celles dues aux substances pyschoactives mais aussi les addictions dites "comportementales" comme le jeu pathologique, la dépendance aux écrans, etc.

Planet.fr : Concernant les seniors, quet type de patientèle rencontrez-vous ?

Dr Patrick Daimé :  Ils ont de 50 à 65 ans.  Leur principale pathologie est la consommation d'alcool. Les jeunes eux boivent moins souvent mais de façon plus intense, c'est le fameux binge drinking. Les plus de 50 ans vont eux avoir une consommation moin intensive, mais plus régulière. C'est la tendance à mettre la bouteille sur la table tous les jours, voire à chaque repas, par habitude. Il y a moins d'ivresse mais une consommation plus importante de fait.

Des addictions à l'alcool jusque dans les Ehpad

Planet : Et le fait de boire régulièrement mais sans tomber dans l'ivresse engendre à terme des pathologies graves ?

Dr Patrick Daimé : Des habitudes de consommation excessive tout au long d'une vie vont favoriser l'apparition de cancers, de maladies neurologiques, cardiovasculaires. Ce par effet cummulatif. Tandis que la pratique d'alcoolisation aiguë massive (comme le binge drinking) va plutôt entraîner des troubles du comportement, des comas éthyliques, des accidents, des accès de violence...

Planet.fr : C'est la consommation chronique qu'il faut traiter chez les seniors ?

Dr Patrick Daimé : En effet, ils vont souffrir de pathologies de consommation chronique. Même s'ils sont aussi susceptibles d'être en ivresse aiguë ou d'avoir des accidents.

Planet.fr : Les seniors sont-ils plus réticents à consuter ?

Dr Patrick Daimé : Non. Mais en revanche les gens de plus de 75 ans souvent, n'ont pas vraiment conscience de leur consommation. Or, 30 % des chutes chez les personnes âgées sont liées à l'alcool. Y compris à domicile. Sans parler des pertes cognitives quand ils prennent en plus des médicaments.  Parfois, des membres de la famille qui viennent les visiter sont effarés du nombre de bouteilles vides qu'ils trouvent dans le logement. Il nous arrive même d'être appelés à la rescousse pour traiter des personnes en Ehpad. L'alcoolisme en Ehpad, c'est pas toujours simple...

Sevrage total ou diminution de la consommation ?

Planet.fr :  Quelles solutions envisager pour stopper cette consommation ?

Dr Patrick Daimé : L'alcool pose des problèmes très spécifiques chez les personnes âgées de plus de 75 ans. Chez les quinquas ce qui est fondamental c'est de travailler sur la réduction des risques, dus à la consommation mais aussi au contexte. Il faut premièrement leur rappeler que l'alcool, c'est 30 % des morts sur les routes. Leur apprendre à ne pas prendre le volant, à gérer cette situation. Il y a également le problème des autres pathologies et comorbidités dont peut souffrir la personne. On va travailler aussi sur la réduction du risque dans ce domaine.

Planet.fr : De quelles pathologies et comorbidités parle-t-on ?

Dr Patrick Daimé : Les pathologies sont mutliples. Si on a déjà une cirrhose, qui peut d'ailleurs être virale au départ, c'est un facteur de comorbidité. Cela peut être une hépatite B ou une hépatite C pour lesquelles la surconsomation d'alcool va entraîner une cirrhose alcoolique. L'alcool va aussi diminuer l'efficacité des traitements antiviraux qui sont tout de même aujourd'hui très performants. S'il consomme, un épileptique augmente le risque de faire une crise.

Planet.fr : Prescrivez-vous des médicaments contre la prise d'alcool ?

Dr Patrick Daimé : Oui, mais ça fait partie d'une approche globale. L'approche addictologique se fait en trois dimensions. Il y a d'abord le produit, l'alcool, qui est en réalité une drogue légale en France, qui fait partie de la culture de notre pays et très disponible et très peu chère, même si elle est réglementée (mais le gouvernement fait peu d'efforts pour la prévention et les lobbies sont puissants). Le jugement d'autrui quand on boit sera toujours clément tant que l'on ne dérape pas.  La deuxième dimension, c'est la personne en elle-même. Avec son passé, son présent, son avenir, sa vulnérabilité, ses fragilités, ses capacités de résilience et la place de l'alcool au milieu. A quoi sert l'alcool dans sa vie, est-il convivial, festif, est-ce qu'il fait partie des habitudes alimentaires ? Il y aussi  la force psychoactive, psychotrope du produit.  Pourquoi je bois, est-ce que c'est mon "antidépresseur", un pseudo anxiolitique ou autre médicament ? Cela va déjà nous aider à connaître la personne et à mettre en place une prévention des risques et une prise en charge adaptée : elle ne sera pas la même pour quelqu'un qui boit à chaque repas, que pour quelqu'un qui déprime et ne va pas bien. La troisième dimension c'est l'entourage et l'environnement.  On va analyser la vie de couple s'il y en a une, si le conjoint ou la conjointe est aidant(e) ou non et a la même pathologie, les relations avec le reste de la famille, le travail. Mais aussi les loisirs, les activités physqiues, culturelles. On va s'inréresser à tout ce qui peut être source de satisfaction comme de problèmes ou de déceptions et donc d'aggravation de la situation.

Les seniors meilleurs élèves dans la lutte contre l'addiction ?

Planet.fr : Les seniors sont plus réceptifs que les jeunes à cette approche pour un sevrage ?

Dr Patrick Daimé : Vous parlez de sevrage mais ce n'est pas forcément l'objectif, l'abstinence pure et dure.  L'objectif c'est que la consommation d'alcool soit compatible avec la vie de la personne en tenant compte de ses particularités. Notre boulot c'est d'aider les gens à retrouver une gestion de leur consommation qui soit adaptée.  J'emploie souvent les termes de "raisonnable" et "raisonné" : deux doses standard les jours où l'on boit, c'est le côté raisonnable. Alcool zéro quand on conduit c'est le côté raisonné.

Planet.fr :  Est-ce que vous voyez d'autres patients pour d'autres pahologies comme l'addiction au tabac ou au jeu, ou c'est plus rare ?

Dr Patrick Daimé :  On voit de tout ! Mais la tendance est à la polyconsommation. Les gens cumulent les produits. Une étude sur les accidents de la route a montré que la prise simultanée d'alcool et de cannabis multipliait les risques. Le risque avec le cannabis seul existe mais est relativement faible comparativement. Cependant on voit aujourd'hui des quinquas qui continuent à fumer un joint ou deux le soir pour s'endormir, c'est courant.

Planet.fr : La méthode thérapeutique est la même avec la cigarette ?

Dr Patrick Daimé : L'approche tridimensionnelle évoquée s'applique à toutes les formes d'addictions. C'est le type de produit qui fait une différence. Le crack n'est pas l'équivalent d'un grand cru, qui peut toutefois aussi mener à la déchéance... Pour le jeu aussi elle s'applique, avec une approche un peu différente : il n'y a pas de risque sanitaire. Mais on peut se suicider quand même quand on a tout perdu, c'est un classique. Ce sont ces trois dimensions qui font entrer dans l'addiction mais qui permettent aussi d'en sortir.

Planet.fr : Il y a des prédispositions aux addictions ?

Dr Patrick Daimé : Oui bien sûr. La psychopathologie de la personne : troubles bipolaires, dépression, psychotraumatisme, tout cela peut entraîner des conduites addictives. Il faut les dépister et les traiter de manière adaptée pour pouvoir supprimer ce qui fait le lit de l'addiction.