De nouvelles règles d’indemnisation entreront en vigueur en avril 2025 et impacteront durement les plus âgés.
Henri Sterdyniak est économiste, directeur du département économie de la mondialisation de l’OFCE, organisme qu’il a co-fondé. Il a également co-fondé les Économistes Attérés et enseigne aujourd’hui l’économie à Sciences-Po. Il est spécialiste des questions de politique économique, budgétaire, monétaire, sociale et fiscale ; ainsi que des questions de macroéconomie.
Planet : Après l'intervention du président de la République, le début de la campagne pour l'investiture des Républicains et le récent amendement du Sénat au PLFSS 2022 , le report de l'âge de départ à la retraite s'est ré-invité dans le débat public. Faut-il vraiment le repousser selon vous ? Les Français ne travaillent-ils pas déjà assez longtemps ?
Henri Sterdyniak : Non, il n’est pas nécessaire de reporter l’âge de départ à la retraite dans l’immédiat. La question, me semble-t-il, n’est pas réellement d’actualité. La France fait encore face à un chômage de masse : on recense 2,4 millions d’inscrits à Pôle emploi, 2 millions de chômeurs découragés et 2 millions de travailleurs à temps partiel contraint qui ne demandent qu’à passer en CDI.
Non, les Français ne travaillent pas spécialement moins
Le problème aujourd’hui, c’est bien davantage l’intégration des jeunes dans l’entreprise. Reporter brutalement l’âge de départ à la retraite n’est pas une priorité. Cela reviendrait à renvoyer 1,5 million de personnes sur le marché du travail, ce dont nous n’avons pas besoin : ces travailleurs à l’approche de la retraite risquent de se retrouver au chômage ou alors de bloquer l’embauche de salariés plus jeunes, parce que leurs employeurs seraient obligés de les garder.
"Le débat sur l’âge de départ à la retraite sera peut-être plus pertinent dans quelques années" - Henri Sterdyniak
Les actifs en France ne travaillent pas moins que les autres. La productivité du travail de nos salariés est relativement forte et, encore une fois, le problème n’est pas là. La question de l’insertion des jeunes est intrinsèquement liée à celle de la disparition des emplois industriels et de la formation. Celle du report de l’âge de départ à la retraite est le corollaire d’un choix social que l’on peut remettre en question : celui d’avoir maintenu les Français dans l’idée que l’on peut liquider ses droits à l’âge relativement précoce de 62 ans. Dans le système actuel, c’est tout à fait possible, mais il est possible de continuer à travailler et, au global, c’est même plus intéressant financièrement.
A mon sens, il n’est pas prioritaire de revenir sur ce choix de société. Le débat sera peut-être plus pertinent dans quelques années.
Planet : La droite avance, parmi ses principaux arguments, la nécessité d'équilibrer le système. Y a-t-il une autre façon de faire ? En outre, elle parle aussi de la nécessité de travailler plus tant qu'on vit davantage. Cet argument est-il valable ?
Henri Sterdyniak : En l’état actuel des choses, le système de retraite français est à peu près à l'équilibre. Il le sera normalement en 2022 ou en 2023, quand la crise sera derrière nous. Dès lors, il n’y a pas d’urgence à court terme. Un autre choix politique garantit justement son équilibre, pour l’heure au moins : la baisse progressive du niveau des retraités. Aujourd’hui, il est globalement égal à celui des actifs. Dans 20 ans, il devrait être de 20% inférieur.
En outre, nous assistons à un phénomène de report mécanique de l’âge réel de départ à la retraite : la durée de cotisation nécessaire pour le taux plein augmente régulièrement tandis que les études s'allongent. L’entrée sur le marché du travail se fait plus tard. Une bonne partie des travailleurs sera donc contrainte de ne liquider ses droits qu’à 66 ans.
"Souhaite-t-on un système de retraite à l’équilibre où le départ à 62 ans est possible ou préfère-t-on le report ? C’est un choix de société" - Henri Sterdyniak
Une autre stratégie aurait été possible pour maintenir l’équilibre du système de retraite français, mais elle a été refusée par le gouvernement : il s’agit de la hausse des cotisations sociales. Leur augmentation permettrait théoriquement le maintien d’un système généreux, d’autant plus que si l’on se concentre sur les cotisations salariales, la compétitivité de nos entreprises ne serait pas affectée. Là encore, il s’agit d’un choix social qu’il faut soumettre à l'arbitrage des travailleurs. Souhaite-t-on d’un système à l’équilibre ou le départ à la retraite à 62 ans est possible où préfère-t-on le repousser mais ne pas augmenter les cotisations sociales ?
Retraite : reporter l’âge de départ n’est pas opportun quand le chômage est élevé
Alors que nous ne sommes pas en situation de plein emploi, il ne me semble pas opportun de forcer les gens à retarder leur cessation d’activité.
Gardons également à l’esprit que nous ne sommes pas tous égaux devant l’âge de départ à la retraite. Les professions intellectuelles ou de bureau peuvent facilement rester en emploi jusqu’à 67 ou 70 ans ; mais ce n’est pas le cas de tout le monde ! Certains métiers usent les travailleurs dès 60 ans. Il faut donc permettre la différenciation entre une carrière longue et pénible d’une carrière plus facile. Un report doit en tenir compte et ne pas pénaliser les parcours difficiles tout en avantageant les chemins professionnels moins ardus. Ce sont des critères de justice.
Un report brutal ne serait pas juste. Les dispositifs en place ont déjà lancé une dynamique qu’il n’est pas nécessaire d'accélérer.
Retraite : quelle réforme pour un système où il n’est plus nécessaire de repousser l’âge de départ ?
Planet : Viendra-t-il un jour où il ne sera plus nécessaire de repousser l'âge de départ dans notre système ? Comment le réformer pour y parvenir, selon vous ?
Henri Sterdyniak : Les gens vivent jusqu’à un certain âge. Or, quelque soit le système, il faut qu’il soit équilibré. Aujourd’hui, si l’on part à 62 ans on sait que l’espérance de vie à la retraite est de vingt ans environ. Nous devons donc être en mesure de garantir une pension de retraite satisfaisante sur l’ensemble de cette période.
"Il n’y a pas de système miracle permettant d’échapper à la hausse des cotisations, de l’âge de départ, ou de la baisse des pensions" - Henri Sterdyniak
L’espérance de vie, sauf catastrophe sanitaire périodique, continue globalement de croître dans nos sociétés. Concilier l’allongement de la vie et l’équilibre d’un système de retraite - qu’il s’agisse de répartition ou de capitalisation - implique mécaniquement de jouer sur un triptyque : le recul de l’âge de départ, la baisse des pensions ou la hausse des cotisations sociales. Il n’y pas de mesure ou système miracle qui permettrait d'échapper à cette réalité.