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La rumeur semble bien fondée. Le groupe Altice, détenu à 55 % par Patrick Drahi et propriétaire de l'opérateur SFR (et de son pendant low cost Red by SFR), souhaiterait délaisser ses activités télécom en France et ainsi vendre l'opérateur aux presque 20 millions d'abonnés. Si cette transaction s'annonce très complexe, les autres acteurs historiques seraient déjà sur les rangs, soit Bouygues Telecom, Iliad (Free) et même Orange.La situation est surveillée jusqu'au Moyen-Orient, où les groupes STC (Arabie Saoudite) et Etisalat (Émirats arabes unis) seraient intéressés par un investissement sur le marché européen, eux dont les moyens sont illimités.
D'après le quotidien Sud Ouest, Patrick Drahi espérerait récupérer 20 à 25 milliards d'euros dans l'opération. Une somme que les experts jugent surestimée même si SFR a recommencé à gagner des abonnés. Justement, que va-t-il se passer pour ces derniers ? Jean Redon, spécialiste des télécoms chez le comparateur en ligne Selectra, nous apporte plusieurs éléments de réponse.
Planet.fr : Pourquoi Altice veut vendre SFR alors que son parc d'abonnés est de près de 20 millions de Français ?
Jean Redon : La stratégie de SFR a été de s'endetter dans tous les domaines (télécoms, antennes, services médias, etc.) pour grandir.en générant du cash flow (flux de trésorerie, ndlr). Ce cash flow permettant de rembourser les créancier. Sauf qu'il n'a pas été si florissant que ça puisqu'ils ont perdu en un an presque 1,5 millions d'abonnés, ce qui est énorme. Leur dette tournerait aujourd'hui aux alentours de 24 à 25 milliards d'euros, mais est en cours de réduction et devrait passer sous les 15 milliards.
Planet.fr : Comment se débarrasser d'une entreprise avec une dette aussi colossale ?
Jean Redon : L'éventuelle cession pourrait n'être que partielle. Des actifs pourraient être cédés pour se séparer les différentes composantes de SFR, qui représente un seul élément de la planète Altice. Il a SFR l'opérateur avec son service commercial par exemple mais il y a aussi toute la partie technique avec les réseaux mobile et Internet qui est une autre section d'Altice. Ils songeraient ainsi à vendre leur réseau fibre pour générer des rentrées d'argent. Ils ne seraient plus propriétaires mais locataires de ce réseau tout en continuant de l'utiliser.
Planet.fr :C'est réellement un scénario possible ?
Jean Redon : Oui, vendre la partie télécoms morceau par morceau. Le réseau fibre donc mais aussi leur réseau d'antennes 4G/5g et ça pourrait aller jusqu'à une partie de leur clientèle : le parc clients de Red by SFR par exemple. De plus SFR est actuellement le seul opérateur en France à proposer deux types de fibre optique. La classique, celle qui arrive directement chez vous, "ultrasonique", et la fibre câblée, héritée de Numericable (fusionné avec SFR en 2014, ndlr). L'équivalent d'un câble coaxial pour la télévision. Il y avait une déperdition de la fibre mais cela permettait quand même d'atteindre 60 à 70 % des performances de la version qu'on connait aujourd'hui. Cela restait mieux que l'ADSL et SFR est l'unique propriétaire de cette technologie.
Planet.fr : Mais SFR a annoncé ne plus utiliser cette fibre câblée dès décembre 2025. Que feront ceux qui y sont abonnés.
Jean Redon : S'ils s'en séparaient effectivement cela obligerait les abonnés à se tourner vers un autre opérateur. La question sera de savoir si cet opérateur voudra continuer d'entretenir ce réseau voué à disparaître. Si ce n'est pas le cas ils n'auront d'autre choix.
Planet.fr : Et si la vente se fait intégralement, quelles conséquences pour les abonnés ?
Jean Redon : Cela aurait d'énormes conséquences car il n'y aura plus, à nouveau, que trois opérateurs sur le marché (Bouygues Telecom, Free et Orange, ndlr) au lieu de quatre. Si l'un d'entre eux rachetait SFR, il renforcerait considérablement ses positions dans l'oligopole (marché où un petit nombre de vendeurs ont le monopole de l'offre, les acheteurs étant nombreux, ndlr). Alors qu'avec quatre opérateurs le marché est saturé depuis plusieurs années, ce qui occasionne une guerre des prix systématique. C'est ce qu'ils font avec leurs marques low cost et leurs petits opérateurs encore plus low cost comme Prixtel ou La Poste Mobile qui leur permettent de se prendre des parts de marché les uns aux autres, et de proposer de tout petits prix aux seniors par exemple. Mais s'il n'y a plus que trois opérateurs dont un obtient dominant, il se dira qu'il pourra plus facilement augmenter ses prix face au manque de concurrence.
Planet : Si SFR disparaît, les abonnés changeront eux-mêmes d'opérateur, ou recevront un courrier leur indiquant qui reprend leur abonnement, avec le risque de voir augmenter leur forfait ?
Jean Redon : C'est tout l'enjeu d'une telle restructuration.Vais-je gagner ou perdre au change avec les offres proposées par le nouvel opérateur ? Mais si on regarde juste les prix on peut se dire que c'est plus cher, sans se rendre compte dans les contrats, parce que ce n'est pas assez mis en avant, qu'il y aura plus de services liés l'abonnement : un meilleur accompagnement client, des options gratuites, des offres de remboursement, un répéteur wifi fourni, un deuxième décodeur, des promotions sur les forfaits mobiles si on les couple avec la box...
Planet : Ce sera une forme de compensation ?
Jean Redon : Exactement. Il peut y avoir des éléments positifs.Mais il faudra de toute manière comparer les offres. Pour savoir notamment si l'on peut avoir exactement les mêmes prestations.Car il est possible que le nouvel opérateur ne soit pas en mesure de les fournir, en fonction de votre localisation par exemple. Par exemple s'il n'utilise pas la fameuse fibre câblée, le client aura le choix entre revenir à l'ADSL ou à passer par une box 4G/5G. Je ne pense pas que cela arrivera mais ça reste possible dans certaines zones du territoire. Pas dans les grandes villes.
Planet : Le plus simple n'est-il pas d'anticiper et de simplement changer d'opérateur pour l'abonné ?
Jean Redon : Il n'y a pas de raison particulière de quitter l'opérateur aujourd'hui, même si avoir le réflexe d'aller voir ce que fait la concurrence est toujours une bonne idée ! Cela permet de vérifier que le prix est compétitif et que les services sont vraiment appropriés à ses besoins. Et je pense que malheureusement, les personnes seniors se font souvent vendre des options dont elles n'ont pas besoin, voire dont elles ne savent pas à quoi elles servent... Un collègue me parlait de ses grands-parents qui voyaient sur leur facture des services de streaming dont ils ne se servaient pas qui venaient alourdir la facture de 5 ou 10 euros par mois. Cela n'a l'air de rien mais sur un an ou deux, ça représente pas mal d'argent. En comparant, ils pourraient se rabattre sur une offre adaptée.
Planet : Croyez-vous à l'intérêt pour SFR des Saoudiens par exemple ?
Jean Redon : Non pas vraiment. Mais par exemple si l'ARCEP, l'organisme régulateur des télécoms refuse le rachat par un opérateur français car cela risque de trop bouleverser le marché, il peut accepter que ce soit un fonds d'investissement étranger qui reprenne SFR. Le risque de monopole serait réduit, la marque continuerait d'exister. L'État peut avoir son mot à dire aussi comme la Commission européenne, toujours pour une question de monopole.
Planet : L'État peut avoir le dernier mot ?
Jean Redon : C'est intéressant de voir ce qu'il va en penser. En 2011-2012 avec l'apparition de Free Mobile, qui a chamboulé le marché avec ses offres pas chères, le gouvernement de l'époque était très satisfait car cela variait l'offre disponible et favorisait la concurrence. Peut-être que l'actuel ne verrait pas d'un très bon oeil le retour à trois opérateurs.
Planet : Pour en revenir à nos abonnés SFR. Si on leur annonce la fin de leur abonnement actuel, pensez-vous qu'ils auront des frais de résiliation à payer ?
Jean Redon : Je pense que non. Quand Numericable avait racheté SFR il n'y en avait pas eu.
Planet : Pensez-vous que cette vente engendrera un gros bouleversement pour les abonnés ?
Jean Redon : Cela dépend. Si elle se fait morceau par morceau, la transition peut se faire en douceur. Il pourrait y avoir une bascule sur un autre réseau pour les abonnés de certaines zones, il faudrait changer les équipements internet, mais cela ne pourrait se faire que sur le temps long, afin de remplacer toutes les box. Et la marque est tellement connue... Mais on voit que SFR a essayé de redresser la barre et obtenu des résultats par de petits changements. Ils ont arrêté de perdre des abonnés et en ont regagné. En 2025 ils ont été élus - de peu mais quand même - "meilleur fournisseur de connexion mobile en France" devant Orange, ce qui est énorme. Leur offre a été simplifiée alors qu'elle était illisible il y a un an. Au final, vont-ils vouloir continuer d'améliorer leur image, d'entretenir leur réseau, ce qui demande de très gros investissements... On saura dans les prochains mois.
Planet : Pour conclure, d'après-vous, l'abonné sera-t-il perdant ?
Jean Redon : Il pourrait l'être s'il y avait des spécificités propres à SFR qui disparaissaient comme le réseau historique câblé, qui permet dans des zones en France d'avoir la fibre, qui est une meilleure alternative que l'ADSL avec un très haut débit. Pour moi ce serait une perte car les gens vont s'entendre dire "il faut passer à la fibre mais ça ne se fera pas tout de suite", ou "il faut basculer vers le satellite." Ils seraient perdants techniquement mais pendant combien de temps ? En sachant que les opérateurs ont ralenti le déploiement de la fibre car ils y ont consacré énormément d'argent. Cela pourrait être une régression. Et SFR est le seul opérateur à proposer le partage de gigas entre membres de la famille et des tarifs fixes pour ses box, qui n'augmentent pas dans le temps. Est-ce que l'acheteur offrira l'équivalent ? Pas sûr.