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Vingt-et-un ans après, la disparition de la famille Godard reste inexpliquée. C’est ce que les Américains appellent un "cold case", les Français une affaire non résolue. Un drame de l’été 1999 en neuf actes, mais qui n’a toujours pas de point final et dont les personnages principaux sont les membres de la famille Godard. Le père Yves, médecin et acupuncteur, âgé de 44 ans. Son épouse Marie-France, que certains décrivent comme fragile psychologiquement. Et puis les deux enfants, Camille six ans et Marius quatre ans. Ils vivent tous les quatre à Tilly-sur-Seulles (Calvados), une jolie maison avec un grand jardin.
Pourquoi cette famille comme les autres a-t-elle disparu du jour au lendemain ? Qui en voulait donc à Yves Godard et ses enfants ?
"La mer était calme, on ne pouvait pas faire naufrage"
Pour comprendre cette affaire, il faut remonter à la fin de l’été 1999, quand les vacances scolaires sont terminées et que les touristes ont déserté les côtes. Le 1er septembre, Yves Godard quitte la ville de Saint-Malo (Ille-et-Vilaine) avec ses deux enfants à bord du Nick, un voilier qu’il a loué pour deux semaines. Des témoins rapportent que, la veille du départ, une violente dispute a éclaté entre l’acupuncteur de Caen et son épouse Marie-France.
Olivier Quesnot était le maire de Tilly-sur-Seulles en 1999 et il connaissait bien la famille Godard. "Des voisins les ont vus partir le matin de bonne heure. Ils pensent avoir aperçu la main de la gamine, Camille, qui disait au revoir. La voisine pense avoir vu monsieur Godard au volant, elle pense avoir vu l’ombre des enfants à l’arrière de la voiture, mais elle n’en était pas sûre", explique-t-il à Planet. Où est donc Marie-France ? La dernière personne a les avoir vus vivant, officiellement, est un douanier qui a contrôlé le Nick le 2 septembre. Il est formel : seuls Yves Godard et ses enfants étaient présents à bord. Ils ont ensuite disparu sans laisser de trace.
Le médecin, pourtant bon navigateur, a-t-il été victime d’un accident ? "J’étais en mer le jour où il a disparu, j’étais entre Jersey et Saint-Malo, il n’y a eu aucun appel au secours, la mer était calme et on ne pouvait pas faire naufrage", affirme Olivier Quesnot. Ni tempête, ni vagues excessives n’auraient pu venir frapper le bateau et provoquer son naufrage. "C’était un bon navigateur, il connaissait le coin, il connaissait ses endroits et savait où il faut aller", ajoute l’ancien maire du village, concluant : "L’accident en mer ? J’y crois pas du tout". Une découverte, faite quelques jours plus tard, a enterré définitivement la thèse de l’accident…
"Une dispute qui aurait mal tourné"
Le 9 septembre 1999, huit jours après le départ en mer d’Yves Godard et de ses enfants, les enquêteurs découvrent des traces de sang dans sa maison de Tilly-sur-Seulles. Olivier Quesnot était présent à ce moment-là, et se souvient que "les traces de sang étaient uniquement à l’étage, dans la chambre et dans la salle de bain, pour celui qui s’est lavé les mains". Les analyses sont formelles, il s’agit du sang de Marie-France Godard. La disparition d’Yves Godard se transforme alors en chasse à l’homme, car il est devenu le suspect numéro 1 du meurtre de son épouse.
Le journaliste Eric Lemasson a mené une longue enquête sur la disparition du médecin, qu’il a retracée dans son livre L'assassinat du docteur Godard (Les Arènes). Interrogé par Planet, il évoque "une dispute qui a mal tourné", expliquant que le docteur de Caen aurait "tué sa femme volontairement, ou pas". La thèse du suicide est aussi envisagée mais, selon lui, "il est fort probable que ce soit lui qui l’ait tuée". Si cette conviction est aussi celle des enquêteurs, le corps de Marie-France Godard n’a toujours pas été retrouvé, 21 ans après les faits.
Un mystère pour le journaliste, qui rappelle une des hypothèses du juge d'instruction : Yves Godard "l’aurait possiblement mis sur le chantier de l’autoroute qui était en construction près de chez eux". Une autre thèse veut que le médecin ait emporté le corps sur le bateau et qu'il l'aurait "lesté pour le faire disparaître". Olivier Quesnot n’y croit pas, car, pour lui, "on aurait retrouvé quelque chose". "La mer rend toujours ce qu’elle prend", rappelle ce navigateur expérimenté. La disparition d’Yves Godard et de ses deux enfants aurait pu rester celle de la fuite d’un homme qui a tué son épouse, volontairement ou pas. La découverte en mer de premiers ossements, à l’été 2000, a éclairé le dossier d’un nouveau jour…
"Une nébuleuse financière autour du docteur"
Le 6 juin 2000, dix mois après la disparition de la famille Godard, le crâne de Camille, la fille d’Yves et Marie-France, est repêché en mer par un chalutier. Quelques mois avant, en plein cœur de l’hiver, des papiers et des vêtements appartenant aux membres de la famille avaient aussi été retrouvés dans l’eau. Yves Godard a-t-il aussi tué ses enfants, en plus de son épouse ? Olivier Quesnot se souvient d’un homme qui, à sa connaissance, était "très attaché à ses enfants", qui "faisait du vélo avec eux, du canoë, de la planche à voile avec eux".
Cette thèse est pourtant défendue par les enquêteurs jusqu’au mois de septembre 2006 : sept ans après le drame, un fémur et un tibia appartenant au docteur Godard sont, eux aussi, retrouvés en mer. Suicide ? Assassinat ? Mélange des deux ? L’enquête prend encore un nouveau tournant, d’autant qu’un nouvel élément entre dans le dossier, l’appartenance d’Yves Godard à la CDCA (Confédération de défense des commerçants et artisans), un ancien syndicat patronal Français. "Assez tardivement, après des années d’enquête, la justice découvre une nébuleuse financière autour de la personnalité d’Yves Godard, qui était, assez discrètement, un membre actif dans sa région de ce syndicat de petits commerçants, hostiles au système, à l’État, au fisc etc.", nous explique Eric Lemasson.
Ce "syndicat de petits artisans et commerçants mêlés à la grande délinquance internationale", avait mis sur pied une organisation puissante qui permettait à ses membres d’échapper à l’Etat français et à toutes ses contraintes. Il y aurait, en réalité, non pas une affaire Godard, mais bien deux.
"Il avait préparé son départ depuis de nombreux mois"
"Il y a deux affaires Godard, il y a un drame familial avec une famille qui disparaît, et dans laquelle il y a deux enfants. Et puis il y a, au sein de cette affaire, une affaire dans l’affaire". C’est la conclusion à laquelle est arrivé le journaliste Eric Lemasson à la fin de son livre. Alors qu’un non-lieu a été rendu en 2012, après 13 ans d’une enquête infructueuse, seules des hypothèses peuvent être formulées pour expliquer ce qui est arrivé à la famille Godard. Pour Eric Lemasson, une chose est sûre : le docteur avait "préparé son départ depuis de nombreux mois, pour recommencer sa vie ailleurs".
"Il a organisé son insolvabilité : il a pris des crédits qu’il ne remboursait pas, en mettant en fait l’argent dans des paradis fiscaux. Il voulait profiter du système, mais il en était lui aussi la victime", assure-t-il. "Il avait organisé ça secrètement, sans prévenir son épouse. Au dernier moment, il a probablement voulu l’emmener avec lui et ça s’est mal passé", suggère-t-il à Planet. Il est donc possible qu’une dispute ait éclaté entre les deux et qu’il ait tué sa femme, volontairement ou pas. "Au dernier moment, ça a mis un grain de sable dans la préparation de son départ et là, ça a tout changé", conclut Eric Lemasson.
Olivier Quesnot est persuadé qu’Yves Godard "avait prévu de prendre la mer seul ou avec ses enfants, mais il n’avait pas prévu d’emmener sa femme, vu qu’elle n’aimait pas ça et qu’il partait les trois quarts du temps seul".
"Ils ont été vus sur l'île de Man, puis l'île de Lewis"
Selon le journaliste Eric Lemasson, son appartenance à la CDCA est la clef pour comprendre ce qui est arrivé à Yves Godard et à ses deux enfants : "Le leader du syndicat a été assassiné en 2001. A ce moment-là, les enquêteurs de Montpellier font un rapprochement avec la disparition d'Yves Godard parce que des gens ont parlé, ils ont dit qu'ils étaient allés faire la peau d'un médecin normand, mais la piste n'a abouti nulle part".
Si cette thèse, privilégiée par Eric Lemasson et les enquêteurs, est la bonne, quand le médecin a-t-il été tué ? C'est la grande inconnue de cette équation mais, pour le journaliste, le médecin était toujours vivant au moins deux mois après sa disparition. "Yves Godard et ses enfants ont été vus sur l'île de Man puis sur l'île Lewis. J'ai lu tous les PV de la police britannique, de la police irlandaise et de la police française. Il y a des témoignages très précis sur la certitude qu'ils se trouvaient là-bas", explique le journaliste, ajoutant : "Ils ont disparu de France début septembre, ils sont restés deux mois avant de disparaître définitivement".
Vingt-et-un ans après les faits, le mystère pourrait-il un jour être levé ? A une seule condition, que le ou les corbeau(x) finissent par parler.
"Retrouver le corps de son épouse"
Une dispute qui tourne mal, une évasion fiscale, une disparition inquiétante… L’affaire Godard est un roman policier à elle toute seule, auquel s’ajoute un dernier élément : le corbeau. Jusqu'en 2007, à plusieurs reprises, des documents ayant appartenu au docteur Godard ont été déposés sur une petite plage où il avait ses habitudes. "On ne sait pas grand-chose sur ce corbeau, mais on sait que c’est quelqu’un de bienveillant", nous explique Eric Lemasson. "Malgré les analyses ADN et graphologiques, on n’a jamais pu identifier cette personne. Il semblerait que ce soit une femme, âgée de soixantaine d'années".
En plus de déposer des documents, cette personne a adressé des lettres à la police pour expliquer comment les enfants Godard peuvent être sauvés : "Lorsque ce corbeau a indiqué par une lettre anonyme que les enfants se trouvaient à tel endroit, la piste était la bonne car les enquêteurs britanniques et français ont failli les arrêter à ce moment-là".
Pour Eric Lemasson il y a une possibilité, que le corbeau ait su des choses, car "il mettait les enquêteurs sur la bonne piste". Pour comprendre l’affaire Godard, il aurait fallu que cette personne parle, mais "ça commence à faire longtemps". "Le corbeau aurait pu être le père d’Yves Godard, mais il est décédé il n’y a pas longtemps, ça aurait pu être une de ses maîtresses, une magnétiseuse avec laquelle il travaillait", ajoute le journaliste. Pour Olivier Quesnot, le seul moyen, désormais, d’obtenir des réponses, serait de "retrouver le corps de Marie-France Godard". "Il peut avoir été enterré, il y a de nombreuses forêts entre Tilly-sur-Seulles et Saint-Malo", avance l’ancien maire de la commune. "Si on retrouve son corps, on trouvera des indices", conclut-il.