L’expérience de Ungemach, le village alsacien dystopique qui voulait créer une société “idéale”
Des maisons roses bien alignées, des pelouses tondues à la perfection, et des familles triées sur le volet. En 1924, la cité-jardin de Ungemach, à Strasbourg, est inaugurée avec un objectif bien particulier : créer une sorte de société parfaite, et y faire élever des enfants dans le strict respect de la moralité. Qu'est-il advenu de ce curieux projet ?

Le quartier jouxte l’imposant bâtiment qui abrite le Parlement européen, et le contraste est saisissant. Dans la cité Ungemach, les 140 maisons de style chalet, aux murs roses et jaune poussin, se ressemblent toutes, et sont entourées de petits jardinets bien entretenus.

L’histoire du quartier commence au début des années 1920, lorsque Charles-Léon Ungemach, un chef d’entreprise strasbourgeois, décide d’investir l’argent gagné pendant la Grande Guerre dans la construction d’une cité jardin, à destination de jeunes ménages.

Les maisons, pour l’époque, sont très modernes, et on y retrouve tout l’équipement dernier cri. L’entrepreneur promet aux familles qui veulent s’y installer un quotidien idyllique, dans un décor lisse et douillet. Sur place, le quotidien semble utopique : les enfants jouissent d’une grande liberté, il n’y a pas de criminalité, et les relations de voisinage vont bon train.

Mais le projet cache en réalité un dessein troublant. Car les futurs habitants d’Ungemach vont être sélectionnés personnellement par Charles-Léon Ungemach et son associé, dans un optique que l’on pourrait qualifier d’eugéniste. Ils veulent « guider l'évolution humaine vers une ascension plus rapide », et donc, favoriser la natalité, dans une France qui sort à peine de la guerre.

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Les conditions, pour pouvoir bénéficier d’un logement dans la cité du bonheur, sont alors les suivantes :

  • Il faut vouloir des enfants
  • Être en bonne santé
  • Et les élever dans de bonnes conditions d’hygiène et de moralité.

Les familles qui ne font pas assez d’enfants (le minimum étant fixé à trois) sont priées de faire leurs cartons et de déménager hors de la cité.Même chose quand le plus jeune de leurs enfants atteint l’âge de 21 ans : il faut plier bagage et laisser la place aux couples suivants.

Surtout, les foyers sont sommées de respecter à la lettre un règlement de 356 articles, et sont soumises assez régulièrement à des contrôles « surprises ». Il faut, par exemple, tailler ses haies deux fois par an, sous peine d’être rappelés à l’ordre, raconte France 3.

Comment étaient sélectionnés les familles ?

Mais ça n’est pas tout. Avant même de pouvoir poser leur valises dans l’un des pavillons sucrés de la cité d’Ungemach, les nombreux candidats doivent passer plusieurs tests.

Leur logement initial est visité, à l’improviste, par les agents du projet, qui en évaluent la tenue et la propreté, sur une échelle de 1 à 10. En dessous de 6 ou 7, le dossier part à la corbeille.

Même chose si la femme du couple travaille : pour Ungemach, les femmes doivent rester au foyer pour élever les enfants.

Le but ? « Favoriser les éléments les plus sains, les plus forts, les plus intelligents pour obtenir des rejetons du même acabit et créer une humanité saine forte et intelligente », commente un article de France 3 à propos du documentaire L'expérience Ungemach, une histoire de l'eugénisme de Vincent Gaullier et Jean-Jacques Lonni.

L’expérience dure jusque dans les années 1980. C’est à cette époque que la cité, devenue en 1950 la propriété de la ville de Strasbourg, adopte finalement le règlement des logements sociaux en lieu et place des 356 règles « locales ».

Le quartier européen de Strasbourg et son Parlement ont été construits en bordure du quartier, bien plus tard…