Pénurie de carburants : qu'est-ce que la "stratégie Dracula" ?Illustration Istock
INTERVIEW. Depuis la fin du mois de septembre, un dialogue de sourd s'opère entre la CGT et TotalEnergies et aucun compromis ne semble pour le moment pouvoir voir le jour. Face à cette situation, Aurélien Colson, professeur de science politique à la tête de l'Institut de recherche et d'enseignement sur la négociation, défend la "stratégie Dracula". Mais en quoi consiste-t-elle ? 
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Le mardi 18 octobre, à l’issue d’une journée de grève nationale, la CGT a proposé une reconduite du mouvement dans les raffineries. "Au-delà des raffineurs et des 14 000 salariés de TotalEnergies, nous portons aussi la voix de ceux qui souffrent du fait que les salaires ne suivent pas l’inflation et qui voient l’hiver arriver avec des promesses de hausse sur les prixde l’énergie ou de l’alimentation", a ainsi indiqué Eric Sellini, coordinateur national de la CGT des raffineries, comme le rapporte La Voix du Nord.

Entre TotalEnergies et les grévistes, un dialogue de sourd semble s’opérer depuis maintenant plusieurs mois et une issue ne semble pas se profiler pour le moment. Aurélien Colson, professeur de science politique à l’ESSEC Business School, où il dirige l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation, appelle à plus de transparence dans les dialogues et défend la "stratégie Dracula".

Qu’est-ce que la "stratégie Dracula" ?

"C’est une tactique de négociation bien utile face à un interlocuteur de mauvaise foi, qui s’arc-boute sur des demandes manifestement excessives, ou bien persiste à ne pas argumenter ses propositions.", explique-t-il auprès de Planet.

Cette méthode de négociation "consiste à lui faire comprendre que la position qu’il défend ainsi ‘entre 4 yeux’ serait sans doute intenable aux yeux d’un plus large public", développe l’expert. Ainsi, cette stratégie est ainsi utile lorsque des tiers entrent en jeu. Ceux-ci peuvent aussi bien être "des collègues au sein d’une entreprise, ou bien l’opinion publique dans une négociation d’intérêt général", comme il est question dans le cas présent, éclaircit Aurélien Colson.

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En d’autres termes, le principe de la "stratégie Dracula" repose sur une totale transparence, grâce à laquelle "le négociateur récalcitrant est mis en demeure de s’expliquer, de fournir des arguments, de justifier ses demandes", complète le professeur, avant d’ajouter que "cela responsabilise la dynamique de négociation."

Cette stratégie semble avoir fait ses preuves, mais dans l’affaire de la grève des raffineries, Total en a-t-il fait le recours adéquat ?

Grèves des raffineries : la "stratégie Dracula" a-t-elle été bien utilisée ?

Pour le directeur de l’Institut de recherche et d’enseignement sur la négociation de l’Essec, la "stratégie Dracula" fonctionne mieux "lorsqu’elle est évoquée comme recours possible, plutôt que d’être d’emblée mise à exécution." Or, c’est exactement l’opposé qui a été effectué par l’entreprise Total qui a eu recours à cette tactique en dévoilant les salaires moyens des opérateurs de raffinerie.

Désormais "la CGT ferait bien de s’y ranger pour le bien des salariés et celui de nos concitoyens qui ont besoin de carburants pour circuler librement", estime Aurélien Colson.

Cette stratégie est régulièrement utilisée dans le cadre de négociations. Mais d’où vient son étrange nom ?

"Stratégie Dracula" : d’où vient son nom ?

Le nom de cette tactique rappelle celui d’un célèbre vampire, et cela n’est pas un hasard. "Cette ‘mise en lumière’ fait écho à l’une des façons, paraît-il, de se débarrasser d’un vampire : l’exposer au grand jour le réduit en cendres", explique l’expert.

La première utilisation de ce terme remonterait ainsi à 1998 "lors des négociations en vue d’un Accord multilatéral sur l’investissement (AMI). Lori Wallach, directrice de l’ONG Global Trade Watch, témoignait ainsi devant la Chambre des représentants aux Etats-Unis : ‘L’AMI est un Dracula politique qui ne résiste pas à la lumière du grand jour’", relate Aurélien Colson. Les vampires sont ainsi un sujet d’inspiration, même dans le milieu de la négociation.