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Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU de Strasbourg. Infectiologue, hygiéniste, il travaille notamment sur les risques associés aux soins dans l'Unité d'éthique clinique.
Planet : "La crise va durer", a expliqué Edouard Philippe lors de ses récentes allocutions relatives au coronavirus et a la situation sanitaire que connaît la France. Le chef du gouvernement estime d'ailleurs que les "15 premiers jours d'avril seront encore plus difficiles" que les deux premières semaines de confinement. Une telle analyse vous paraît-elle pertinente ? Quelles sont les difficultés qu'évoque le Premier ministre ?
Stéphane Gayet : Le Premier ministre est contraint de reconnaître que l'on appréhende finalement assez mal la crise sanitaire à laquelle nous faisons face. Nous pensions bien connaître les données épidémiologiques et finalement, on commence à réaliser que ce n'est pas vraiment le cas. A bien des égards, le coronavirus demeure un mystère et les informations dont nous disposons manquent de précision. Prenons l'exemple du nombre de morts : actuellement, ne sont comptabilisés que les décès constatés en établissement de santé. Cela revient à ignorer toutes les morts liées à l'infection et survenues loin d'un cadre clinique. Je regrette que l'on se soit seulement concentrés sur la recherche d'un vaccin et d'anti-viraux efficaces mais que l'on en sache si peu. Ce n'était sans doute pas le choix le plus pertinent.
Le risque de débordement est réel
Quand Edouard Philippe annonce que les jours à venir seront plus difficiles que les précédents il fait à mon sens référence à plusieurs dangers. En réalisant que l'on connaît mal la courbe de progression du virus, on réalise aussi qu'il est tout à fait probable qu'il soit encore loin d'avoir achevé sa trajectoire. C'est ce qu'expliquent les réanimateurs des hôpitaux d'Île-de-France. Le nombre de cas augmente et cette augmentation s'accélère. Cela engendre un premier risque : celui de la saturation de l'offre de soin. Cette dernière compte deux volets distincts avec d'une part les personnels médicaux et paramédicaux ainsi que d'autre part le nombre de lits et l'équipement.
Aujourd’hui, nous approchons dangereusement d'une situation où les infirmiers et les médecins ne seront plus en mesure de prodiguer les soins nécessaires. Dans ce cas là, nous serons contraint de transférer des malades vers d'autres régions, voire d'autres pays. Le risque de débordement est réel.
Le second danger, je crois, est économique. Beaucoup d'entreprises n'ont plus le choix et doivent mettre leurs salariés au chômage partiel. Tout cela pourrait avoir un retentissement sur l'état économique du pays... Et donc mécaniquement sur l'offre de soin à terme.
Enfin, il me semble important de rappeler ce problème très français que peut être l'indiscipline. En l’occurrence, il pousse à un respect très partiel des règles du confinement. Les sanctions financières ne suffisent pas à arrêter les déplacements et par voie de conséquence le virus circule. Cela engendre de nouveaux cas et c'est pour cela que l'épidémie n'est absolument pas maîtrisée. En l'état actuel des choses, il est légitime de s'attendre à une situation très grave, un drame susceptible de nous submerger.
Coronavirus : pourquoi il faut craindre le plateau qui suivra le pic
Planet : Si le pic de l'épidémie n'est pas encore survenu, quand pourrait-il avoir lieu ? A partir de quand la France pourrait-elle souffler ?
Stéphane Gayet : De toute évidence, ce n'est pas pour tout de suite. Ni pour cette fin de semaine. A mon sens, les scénarios les plus optimistes devraient envisager un pic d'ici au moins quinze jours. Ne perdons pas de vue, par ailleurs, que le "pic" dont il est tant question correspond au moment le nombre de cas n'augmente plus. Il peut tout à fait se transformer en plateau si ce dernier ne diminue pas immédiatement.
En pratique, il est très difficile de donner une date spécifique, précisément parce que nous manquons d'informations à ce sujet. Nous sommes aujourd'hui dans le brouillard complet parce que nous n'avons pas de dénombrement quotidien fiable du nombre de malades. Tout ce que l'on sait du nombre de patients ne concerne que les victimes hospitalisées. Impossible de savoir comment le coronavirus circule dans la population.
Les gestes barrières ne fonctionnent pas
Planet : Compte tenu des difficultés qui s'annoncent, l'Etat en fait-il assez ? Faut-il durcir le confinement ?
Stéphane Gayet : Force est de constater que le Premier ministre commence à s'irriter ! Nous avons été nombreux à dire – et à juste titre ! – que le confinement général décidé par le chef de l’État et qui s'applique aujourd'hui est arrivé trop tard. Ce sont des propos qu'Edouard Philippe ne permet pas... Et pourtant c'est la stricte vérité.
Edouard Philippe, et c'est un défaut récurrent chez le politique, n'a aucune maîtrise du sujet dont il parle. Olivier Véran, le ministre de la santé souffre moins de ce problème mais il reste moins pertinent que ne pouvait l'être Agnès Buzyn, dont le champ d'expertise était tout de même plus proche de la microbiologie.
C'est un soucis : cela signifie que le gouvernement n'a pas de savoir technique en la matière. Certes, il s'entoure d'experts, mais sa communication est truffée d'incohérences. Elle est louvoyante, non maîtrisée, parce qu'elle ne s'appuie pas sur des bases solides. Prenons l'exemple des consignes relatives à l'hygiène des mains. Expliquer aux Françaises et Français qu'il faut les frictionner toutes les heures, ou même régulièrement, n'a pas de sens. L'hygiène est une discipline souple qui nécessite connaissance et réflexion : cela ne doit pas devenir un automatisme, il faut le faire au bon moment. Aujourd'hui les gestes barrières sont mal compris et donc peu efficaces. En France, les explications sont souvent très infantilisantes ! On schématise et on ne rentre pas dans les détails. Quand on ne diffuse pas des fausses informations, comme la distance réglementaire d'un mètre. Partout ailleurs elle oscille entre un mètre cinquante et deux mètres.
Pour autant, il n'y a pas lieu, à mon sens, de durcir le confinement. Il faut être plus vigilant dans son application mais il s'agit fondamentalement d'une bonne mesure, susceptible de mettre un coup d'arrêt à la progression du coronavirus. Par ailleurs, il pourrait être pertinent de réfléchir à la mise en place d'aides et d'accompagnements à l'égard des personnes fragiles ou en situation de vulnérabilité. Il existe en effet de nombreuses inégalités qu'il faut adresser, au risque de créer d'importantes tensions. Mais ce volet-là sort de la dimension purement sanitaire du problème.