Esclave domestique, mariée de force : l’enfer vécu par cette femmeIllustration
TEMOIGNAGE. Promise pour épouse le jour même de sa naissance, Fatima a été abandonnée par ses parents. Son père ayant répudié sa mère lorsqu'elle n'avait que trois ans, la petite fille qu'elle était fut dès lors placée chez sa grand-mère paternelle dans une petite ville berbère, au sud-ouest du Maroc. Enfermement, violences verbales, physiques et psychologiques… Fatima a subi un véritable calvaire.
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Dès sa mise au monde, elle portait sur ses épaules un fardeau.  Fatima, est une femme au "parcours accidenté", comme elle aime à se décrire. Native de Taroudant, une petite ville berbère située au sud-ouest du Maroc, elle a été l’objet, dès sa naissance, d’un étrange accord entre son père, Hassan*, et son meilleur ami, Omar*, alors en France. Son entière existence en a été chamboulée. Elle raconte son parcours dans le livre "Mariée le jour de ma naissance "(Fauves Editions), sorti fin mai 2020. Avec pudeur et émotion, elle s'est confiée à Planet.

"À peine arrivée au monde, j’ai été promise en mariage au colocataire de mon père, qui était aussi son fidèle ami. À l’époque, ils travaillaient tous deux à Paris, à l’usine Michelin située à Colombes dans les Hauts-de-Seine, en tant qu’ouvriers. Le rassemblement familial n’existait pas à l’époque (entre les années 50 et 60). Mon père venait donc rendre visite à ma mère seulement une à deux fois par an. Alors, lorsqu’il a appris ma naissance au début des années 60 par un télégramme reçu du Maroc, au lieu d’éprouver un sentiment de joie qui aurait pu être mêlé à de la tristesse due à l’éloignement, il semblait véritablement assommé par la nouvelle, pourtant censé être un heureux événement. Il a simplement crié dans la chambrée où étaient réunis ses colocataires :

"Un mur m’est tombé sur la tête ! J’ai une fille."

Mariée de force : "Au grand dam de mon père, je ne suis pas née garçon"

"Après un court temps de réflexion, son comparse Omar, a tendu la main vers mon père, certainement en plaisantant au départ, en lui certifiant : "Ce sera ma femme plus tard !" En lui empoignant la main, mon père a répliqué aussitôt : "Alors, tu vas m’aider à l’élever !" "Tope là", lui a répondu Omar.

Ces simples paroles conclues dès mon arrivée sur Terre, et qui ont quasi force de loi au Maroc, ont conditionné mon triste destin.

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Avant même de savoir marcher ni parler, j’étais déjà promise à un homme de 30 ans mon aîné et privée de toute liberté. Mon existence venait d’être volée et mon corps ne m’appartenait déjà plus."

* Les prénoms ont été modifiés

Mariage forcé : "ma mère a vécu la même chose"

"Comme ce fut le cas pour moi, mon père avait également conclu son mariage depuis la France avec le père de ma mère Salima*, au Maroc. Et ce, sans son consentement, évidemment. Elle était de 20 ans sa cadette.

Si j’ai vécu les trois premières années de ma vie nourrie de l’amour de ma mère, cela n’a que peu duré. Car un événement est venu chambouler nos existences. Pour défendre l’honneur et les biens de mon père, alors en France, ma mère a eu une altercation avec une voisine. Une attitude déshonorante et inacceptable aux yeux de son mari, car elle avait, selon lui, voulu se hisser au rang d’un homme.

C’est ainsi que ma mère, a été répudiée par mon père, pour un simple bout de terrain. Elle a dû partir sur le champ, sans dire mot et sans moi, avec son père, venu la chercher.

Car, à l’époque, une fois répudiée, une femme perdait dans le même temps la garde de ses enfants. Seul son père pouvait s’opposer à cette mesure, mais il ne l'a pas fait. Lorsqu’elle a tenté de me récupérer, les coups ont plu.

Je n'ai revu ma mère que quelques années plus tard et ai, à mon tour, été abandonnée par mon père. Ma garde a été confiée à ma grand-mère paternelle, qui m’utilisait comme esclave."

Esclave domestique : violences physiques et psychologiques

"Mon père n’a jamais eu l’intention de m’élever. Il est d’ailleurs reparti en France très vite et n'est revenu me voir que dix ans plus tard. Il avait en revanche tout calculé. Car en faisant de sa mère Rachida ma tutrice, qui avait par ailleurs 6 enfants, il s’assurait aussi de briser en moi tout désir d’opposition à son plan de mariage machiavélique. Il avait laissé les directives les plus strictes à propos de mon éducation. Dans la maison familiale de ma grand-mère, j’étais soustraite à toute influence extérieure. J’ai ainsi été recluse jusqu’à mon mariage au sein de la petite ville de Taroudant, au fond d’une montagne aux traditions anciennes, et coupée des miens pour toute la durée de mon enfance.

J’étais devenue une orpheline, considérée comme un fardeau. Pourtant, mes deux parents étaient bel et bien vivants. Le vide affectif était immense.

Mon rôle n’était pas celui d’une petite-fille. J’étais dédiée aux corvées, forcée de tenir la maison de fond en comble : vaisselle, lessive, ménage, cuisine, tâches agricoles… Tout m’était confiée. Mes parts de nourriture ? Rationnées. Je n’ai jamais partagé de repas avec ma famille. Personne ne m’adressait d’ailleurs la parole et je n’avais droit à aucun jeu, ni distraction, ni même instruction. L’école ? Je n’ai jamais pu y aller. Je ne sais d’ailleurs, à mon regret, toujours pas lire ni écrire. Je devais aussi m’occuper de ma grand-mère et la laver. En retour, je n'ai pas eu la moindre attention. Aucun signe affectueux ni reconnaissance. Considérée comme une esclave, j’étais traitée de la même atroce manière. J’ai d’ailleurs souvent été battue, jusqu’à ce que je ne puisse plus me relever. Cette maltraitance était pour moi normale. Je vivais dans une prison, mais je n’en avais pas conscience. Pour moi c’était ma maison. Tout le monde savait ce que j’endurai au quotidien et connaissait ma détresse sociale et morale ; mais personne ne disait rien.

Pour trouver un peu de réconfort, je m’échappais quelquefois la nuit pour aller dormir auprès de notre vache, qui posait sa tête sur mon corps. A mon grand désespoir, toute absence prolongée m’était sévèrement réprimée… Elle craignait pour je ne sais quelle raison que j’aille flirter, voire coucher avec des garçons. Je n’étais pourtant qu’une enfant.

Afin de pouvoir me marier plus tôt, mon père a même pris le soin de changer ma date de naissance sur le livret de famille pour me vieillir…"

Mariée de force à moins de 15 ans

"A l’époque, le mariage marocain était en effet autorisé dès l’âge de quinze ans : je devais donc n’en avoir que quatorze au plus, voire seulement douze ou treize au vu de ma puberté toute récente. Personne n’a jamais su me le dire vraiment. Je ne connais d’ailleurs toujours pas mon âge exact.

Lorsque le jour fatidique est arrivé, j’étais la seule à ne pas être au courant. Je voyais tout le monde s’affairer aux divers préparatifs depuis quelques jours, mais personne n’avait pris le soin de me prévenir. Pour moi, une fête se préparait, mais je ne savais pas laquelle. Je m’étais d’ailleurs jointe aux villageois pour les aider à installer le lieu des festivités. C’est finalement mon cousin qui m’a prévenue le matin même et me disait d’aller me cacher, de m’épiler et de me préparer. Je ne connaissais même pas le marié.

Si le mariage a été prononcé en ma présence, j’étais mentalement absente. Je ne comprenais pas vraiment ce qu'il m’arrivait. C’est ainsi que j’ai été arrachée à mon quotidien."

Mariage forcé : une relation compliquée

Nous sommes ensuite partis en France et avons eu trois enfants. Même si mon mari était bon et généreux, je n’ai jamais réussi à l’aimer. J’ai d’ailleurs rapidement élevé seule mes enfants. Il partait en effet très souvent au Maroc, pendant plusieurs mois. Il y avait un déni de paternité. Il s’interdisait peut-être d’aller au bout de notre histoire familiale car au fond de lui, il savait que ça n’en était pas vraiment une. En se détournant des enfants, il se détournait d’une certaine façon aussi de moi. Telle est la conséquence d’un mariage illogique.

D’autant qu’avant 2004, seuls les hommes avaient l’autorisation de demander le divorce, une aberration ! J’ai dû toutefois attendre mes 50 ans pour me défaire de cette union forcée, car il menaçait de renvoyer mes enfants encore mineurs à l’époque, au Maroc. Lors de leur naissance, il avait refusé qu’ils aient la nationalité française. J’ai donc attendu que mes enfants aient tous les trois 16 ans pour qu’ils puissent en faire la demande et me libérer de cette relation.

Si désormais je suis remariée à un homme que j’aime, et avec qui j’ai adopté un enfant au Maroc, je garde des séquelles de cette vie que l’on m’a volée.

Je me demande aujourd’hui comment l’on peut décider si injustement de l’existence de quelqu’un sans que cela ne suscite la moindre réaction de la part de ses proches ? Comment cela peut-il être accepté par la sphère publique ?", conclut Fatima.

Son histoire bouleversante, est malheureusement loin d'être un cas isolé. Afin d’éviter tout mauvais traitement à d’autres jeunes filles et pour éveiller les consciences, Fatima, sous la plume de son mari, a publié un livre témoignage.

Mariage forcé : une relation compliquée© Service de presse

Brisant ses chaînes en arrivant en France, elle s’est jetée corps et âme dans le travail, pour gagner son indépendance. Grâce à lui, elle a su retrouver sa liberté… et l’amour. Après diverses épreuves et sacrifices, elle a pu se construire une nouvelle vie, loin de ses enfers.

Par ailleurs, l’ouvrage Dos de femme, dos de mulet. Les oubliées du Maroc profond, paru en 2015 et écrit par Hicham Houdaïfa, journaliste ayant travaillé sur les questions du droit des femmes, dénonce une situation alarmante. "En 2015, dans différentes régions de ce pays, une fille qui n’est pas mariée à dix-huit ans est encore considérée comme une femme ratée, sans avenir […] Dans les villages du Moyen et du Haut Atlas comme dans de petites villes du Maroc profond, pères, mères, autorités locales et juges continuent à marier des filles âgées de treize, quatorze ans, selon la coutume ou par contrat. Des enfants sont ainsi livrées aux familles de leurs époux. Elles y sont exploitées, martyrisées, violées".

Et à l’échelle mondiale, qu’en est-il réellement ?

Violences et mariages forcés dans le monde : des chiffres encore alarmants

Malgré une baisse mondiale, beaucoup de filles subissent encore aujourd'hui ce triste sort. 12 millions de mineures en 2018, selon l’Unicef.

Des filles de plus en plus jeunes continuent en effet d'être unies à des hommes plus âgés, dans des pays où souvent les contextes religieux et traditionnels prédominent sur la loi. Les régions les plus touchées par ces pratiques, qui n’ont de cesse d’avoir des conséquences néfastes sur la santé physique et mentale de ces femmes-enfants, se situent au Moyen-Orient et en Asie du Sud. Comme Fatima, nombreuses sont celles à être promises dès la naissance.

Le mariage des enfants a toujours été lié à l'inégalité des genres. "Les familles et les communautés jugent que les filles sont moins importantes, qu'elles sont incapables, moins prisées", confiait, au Figaro Lakshmi Sundaram, directrice de l'association "Girls not Brides" (Filles pas épouses).

Considérées comme un fardeau économique dans les familles pauvres, le mariage des filles peut être un "indispensable moyen de survie pour la famille", déclare l’Unicef. D’autres pensent, à tort, qu’en mariant leur fille à 14 ans, ils la protégeront de toute violence. Une fois mariées, celles-ci ne vont généralement plus à l’école. Si par ailleurs elles osent s’opposer à leur union forcée, elles peuvent être punies, ou pis, être victimes de "crimes d'honneur", commis par leur famille.