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C’est peut-être le sujet "qui fâche". Du moins, c’est ainsi que d’aucuns n’hésitent pas à le présenter ! Parmi eux, les équipes éditoriales de BFM Business et les adhérents de CroissancePlus, une organisation patronale française regroupant essentiellement des PME (petites et moyennes entreprises) ainsi que des ETI (entreprises de taille intermédiaire). Mais de quel sujet parle-t-on au juste ? Une fois encore, indiquent nos confrères sur leur site, il est question de la réforme des retraites. Mais pas de n’importe laquelle ! Et certainement pas de celle d’Emmanuel Macron.
Cette fois, ce sont les patrons - ceux de CroissancePlus, au moins - qui proposent de transformer en profondeur le modèle de solidarité inter-génération à la française. Avec un maître-mot : la capitalisation. Une véritable "révolution", commentent nos confrères. "Nous faisons une proposition phare. Il faut introduire de la capitalisation. On sait que c’est le sujet qui fâche. Il faut le faire de manière mesurée. Dans nos modèles on a une répartition 90/10 entre la répartition et la capitalisation", assume en effet Thibaut Bechetoille, le président de l’organisation devant les caméras de BFM.
Réforme des retraites : quelles différences avec ce que propose Emmanuel Macron ?
Les patrons de CroissancePlus ne cachent pas leur inspiration américaine. Après tout, ils estiment que le système par capitalisation fait partie des raisons pour lesquelles les Etats-Unis sont une superpuissance aujourd’hui. Mais cela ne justifie pas tout à fait de rompre définitivement avec le système par répartition qu’Emmanuel Macron jugeait compatible avec son propre plan de transformation. Simplement, il s’agit d’aller plus loin, d’encourager différents fonctionnements. Boursiers, idéalement…
"C'est une mesure qu'on pourrait qualifier de sociale puisque ce serait la capitalisation pour tous. Quand vous avez un euro de répartition, 20 ans après vous avez toujours un euro. Avec la capitalisation, vous aurez entre deux et trois euros. C'est un peu comme un fonds souverain des retraites. Il faut le généraliser pour que ce ne soit que pour quelques personnes aisées", soutient en effet Thibaut Bechetoille.
Une proposition, cependant, qui n’est pas sans montrer ses limites selon l’économiste Alexandre Delaigue. Explications.
Réforme des retraites : que faut-il penser de celle que veulent les patrons ?
"C’est une proposition clairement orientée en faveur de la capitalisation et cela va malheureusement avec son lot de problèmes. Certains sont conséquents, d’autres relèvent davantage de l’interrogation", commente d’entrée de jeu Alexandre Delaigue, économiste et professeur agrégé d'économie-gestion à l'économie de Lille 1. Il a aussi enseigné à l'académie militaire de Saint-Cyr Coëtquidan.
"Rappelons d’abord qu’elle se fonde sur une perspective de rendement extrêmement optimistes. Ce n’est pas impossible en soi, mais cela reste quelque chose qu’il faut rappeler. Notons aussi, ainsi que le faisait récemment Le Canard Enchaîné, qu'un produit d’épargne assez comparable a été créé durant cette mandature. Il s’agit du PER, qui n’a pas eu autant de succès qu’espéré ; notamment du fait de frais de gestion très élevés", observe encore le spécialiste, non sans pointer d’autres soucis du doigt.
"Il importe aussi de souligner que, en bourses, les performances passées ne sont guère représentatives des performances à venir. Ces trente dernières années, les taux de rendement ont été boostés par un certain nombre de facteurs proprement exceptionnels, qui n’ont pas vocation à se répéter à l’avenir. Les taux d’intérêts, dont la baisse fait grimper le cours des actions, flirtent déjà avec 0. Ils ne pourront pas continuer à descendre éternellement. C’est un premier facteur de performance qui ne saurait se reproduire. Il en va de même pour la politique expansionniste des banques centrales. Les prévisions optimistes apparaissent donc légitimement discutables. D’une façon générale, quand les taux de rendement excèdent la croissance économique, la capitalisation est un système pertinent. Dans le cas contraire, mieux vaut s’appuyer sur la répartition", assène encore Alexandre Delaigue.
Dernier problème évident : comment passe-t-on d’un système par répartition à un système par capitalisation ? "C’est le problème classique. Faire la transition revient à demander aux actifs d’aujourd’hui de payer les pensions encore soutenue par le système de répartition en plus d’exiger d’eux qu’ils mettent énormément d’argent de côté. Or, du fait de la démographie française, c’est déjà une génération qui paie beaucoup. Il serait possible d’opter pour une évolution progressive… mais la solution miracle devient tout de suite moins attrayante", analyse l’économiste. Et c’est sans même évoquer les autres problèmes, peut-être plus pernicieux, qui vont de paire avec la capitalisation dans le système français…
La retraite par capitalisation, le sujet "qui fâche" : pourquoi, au juste ?
Dire de la capitalisation que c’est le sujet "qui fâche", c’est "un peu facile" juge Alexandre Delaigue. "D’une façon générale, c’est le sujet des retraites qui fâche les Français. C’est assez logique, puisque tout le monde à peur à l’idée que l’on ne touche à sa retraite. D’autant plus que dans le système français, ces ajustements ne visent jamais à produire des gagnants", rappelle l’économiste.
Cependant, si la capitalisation pourrait avoir matière à "fâcher", c’est aussi parce qu’elle n’est pas toujours avancée comme une solution du fait de sa pertinence. Elle pourrait en fait représenter un vaste marché pour l’industrie financière française… "Ici, l'industrie financière est très concentrée et il y a peu de concurrence. Dès lors, en cas de défiscalisation par exemple, l’essentiel du rendement de l’épargne est capté par les intermédiaires vers lesquels les Français sont contraints de se tourner. C’est une situation qui ne profite pas au contribuable… Mais à l’industrie", rappelle l’économiste.
Ce n’est pas pour rien, souligne-t-il encore, que l’industrie appelle de ses vœux un système par capitalisation reposant sur de nouveaux fonds de pensions : il s’accompagnerait d’une nouvelle niche fiscale pour inciter les épargnants. Et donc de gains conséquents pour sa part...