Faut-il vraiment rétablir l’impôt de solidarité sur la fortune ?Istock
Ils sont nombreux à considérer que la suppression de l'ISF était une erreur. Certains prétendent même que c'était là l'une des plus graves faute d'Emmanuel Macron. Mais cela signifie-t-il vraiment qu'il faille le réinstaurer ?
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"Face au Covid, il faut un nouvel ISF", affirme sans ambages un Thomas Piketty dont Libération porte la voix. L'impôt de solidarité sur la fortune (ISF), retravaillé par Emmanuel Macron dès les premiers mois de sa mandature, fait de nouveau l'objet de bien des débats. Car l'économiste français, connu pour son combat contre les inégalités n'est pas le seul à s'insurger de sa suppression partielle. Esther Duflo, prix Nobel d'économie, s'est aussi exprimée pour sa réinstauration, rappelle le journal spécialisé La Tribune.

"Il n'aurait jamais dû être aboli", assène-t-elle en effet sur les ondes de RTL, évoquant la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI), critiquant donc une réelle réduction de l'assiette que l'Etat s'autorise à taxer. "Aujourd'hui, je pense donc qu'il faut qu'il soit rétabli", poursuit ensuite celle qui enseigne les sciences économiques au Massachusetts Institute of Technology. "L'impôt sur la richesse est un impôt raisonnable, pas du tout extrême ou radical", a-t-elle aussi voulu faire savoir, assurant qu'il faut aujourd'hui "redistribuer vers les revenus les plus faibles". Elle juge aussi qu'il faudra, à terme, amortir davantage les conséquences de la crise sanitaire pour les plus pauvres que pour les plus riches.

Naturellement, d'autres voix - et d'autres intérêts, peut-être - portent d'autres discours. Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Mouvement des entreprises de France (Medef) réfute tout retour de l'ISF. "Ce n'est pas en taxant les uns que l'on fera repartir les autres", s'est-il agacé devant les micros d'Europe 1, rapporte Le Figaro. Et lui de poursuivre, sans appel : "Ce n'est pas nouveau, ceux qui réclament l'ISF aujourd'hui sont ceux qui le demandaient déjà avant. C'est un problème de philosophie, ce n'est pas ça qui fera repartir la machine."

La suppression de l'ISF, une erreur ?

Pour Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management, la suppression de l'ISF pose effectivement question. Contacté par Planet, il explique qu'il n'y avait pas d'urgence à passer à l'IFI. "La réduction de l'assiette de l'impôt de solidarité sur la fortune ne me semble pas très pertinente", explique-t-il d'entrée de jeu. "Pourquoi commencer par là ? D'autant plus s'il s'agit ensuite de poursuivre avec des mesures fiscales défavorables aux Français plus démunis. Le sentiment de déséquilibre que certains ont pu ressentir n'a rien d'étonnant", souligne-t-il ensuite.

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Pour autant, l'expert ne plaide pas pour une ré-instauration de l'ISF. Et pour cause ! "Je ne suis pas sûr qu'il s'agisse d'un excellent outil pour lutter contre les inégalités. Sans être pour sa suppression initiale, je ne pense pas qu'il faille revenir sur la situation actuelle. Le garder ne posait pas de problème mais le rétablir ne me semble pas être la solution", détaille-t-il.

L'ISF fonctionne-t-il ?

En effet, aux yeux de Philippe Waechter, rien ne permet d'affirmer que l'ISF constitue le meilleur outil pour lutter contre la croissance des inégalités. "On observe évidemment une hausse des inégalités de revenus dans le monde, mais en France, le problème le plus marqué vient du patrimoine. Cela pose mécaniquement certains soucis que l'ISF peinerait à résoudre, s'il était ré-introduit", estime l'économiste.

"La forte mobilité des capitaux rend très complexe la mise en place d'un impôt comme l'ISF, parce qu'elle induit mécaniquement une concurrence fiscale à échelle internationale. N'oublions pas que les grandes fortunes sont avant tout composées d'un patrimoine financier, de portefeuilles d'actions par exemple, et pas de bien immobiliers qu'il est facile de taxer", souligne encore le chef économiste de Natixis Management. 

"Dès lors, un tel impôt peut souffrir de plusieurs défauts : s'il est trop élevé, il est susceptible de provoquer une fuite des capitaux - et donc de peser financièrement sur les contribuables contraints de rester. A contrario, s'il est trop faible, il ne présente aucun intérêt, parce qu'il n'est pas rentable et ne permet pas de lutter contre les inefficacités", note encore le spécialiste.

Quelles alternatives à l'impôt de solidarité sur la fortune ?

"La question est complexe", tranche donc Philippe Waechter, qui n'hésite pas à dire qu'il faudra peut-être faire un arbitrage entre deux types de société. "La seule façon de créer un impôt de solidarité sur la fortune qui soit efficace et pertinent, consiste à mettre un terme à toute concurrence fiscale. Cela implique soit de bloquer la mobilité des capitaux, soit de l'instaurer à échelle mondiale. La deuxième solution semble assez peu probable", fait-il encore remarquer. 

"N'oublions pas non plus que ce sont les mouvements de capitaux qui ont construit notre économie, depuis les années 1980 et les débuts de la phase de globalisation actuelle. Je ne suis pas sûr qu'il serait optimal d'en revenir à une période de déglobalisation. Pour autant, la plus grande chute des inégalités enregistrées date de la période de déglobalisation, après la 2nd Guerre mondiale", rappelle-t-il. Et lui de conclure : "La question est-là : faut-il déglobaliser ? Je n'ai pas de réponse définitive."