Prévisions météo difficilesIllustrationIstock
Depuis plusieurs années, nous constatons tous que les prévisions météo ont des ratés fréquents. Plusieurs facteurs peuvent expliquer les difficultés des spécialistes, dont le réchauffement climatique, mais d'autres paramètres rendent leur travail plus compliqué qu'auparavant. Entretien avec Idriss Boumaza, météorologue chez Médias-Weather.
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Si les prévisions météo à quelques jours restent le plus souvent fiables, quand il s'agit de les étendre à une semaine et plus, elles deviennent parfois beaucoup plus aléatoires. Nous nous en sommes tous rendu compte, surtout lors de congés bien arrosés. Qui aurait cru que cet été serait si maussade face aux canicules des années précédentes ? Et la violence des dépressions qui touchent la France ne sont pas rassurantes. Nous avons posé la question de ce phénomène inquiétant à Idriss Boumaza, métérologue chez Médias-Weather.

Idriss Boumaza-Médias-Weather

Planet.fr : qu'est-ce qui explique aujourd'hui la difficulté d'obtenir des prévisions météo fiables ?

Idriss Boumaza : déjà, à la base, ce n'est pas si évident de réaliser des prévisions météo. Un doute persistera toujours car malheureusement ça n'est pas une science exacte. Maintenant, la France est un pays qui a une multitude de climats : océanique, continental, montagnard et méditerranéen.

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Cette variété fait que le pays subit différents évènements tels que les tempêtes, quelques orages particulièrement violents, quelques orages diluviens comme ceux dans le Sud ce week-end, du fait du relief car il joue un rôle important notamment dans ces régions. Ce qui fait qu"on va également être soumis à des vagues de froid comme de sécheresse.

Planet.fr : finalement la connaissance de ces climats et reliefs ne devrait pas rendre les prévisions aléatoires. Ils ont "toujours" été là ?

Idriss Boumaza : aujourd'hui, sachant cela, les prévisions que nous pouvons donner sont relativement fiables sur trois à quatre jours. Maintenant, il faut savoir que nous travaillons avec différents modèles météo. Des modèles "à mailles larges" qui prévoient le temps à des échéances assez lointaines, de l'ordre de deux semaines, ce qui nous donne une idée mais hypothétique du temps qu'il fera. Nous avons ensuite des modèles à "mailles un peu plus fines", sur 7 à 10 jours.

Certains donnent de très bons résultats. Par exemple lorsque une tempête est signalée s'approchant des côtes françaises on est capable de la prévoir une semaine à l'avance. Puis, lorsque'on se rapproche de son arrivée, on utilise des modèles à "mailles fines", sur trois à quatre jours, cinq maximum, qui permettent des prévisions plus fiables.

Quand le dérèglement climatique change la donne

Planet.fr :  quel rôle joue le réchauffement climatique dans vos prévisions ?

Idriss Boumaza : le dérèglement, ou réchauffement climatique, enfin pas totalement, complique un peu nos prévisions météo. Parce qu'on rencontre des phénomènes, non pas plus fréquents, car il faudrait une étude très approfondie pour vérifier si l'occurence de ces évènements s'est accélérée, mais plus intenses. Beaucoup plus que ces dernières décennies. 

Planet.fr : quand on entend dire un peu partout que les phénomènes météo intenses sont plus fréquents, ce n'est pas forcément le cas ?

Idriss Boumaza : moi je préfère rester prudent. C'est plus intense oui, plus fréquent cela reste encore à déterminer. Pour en revenir à l'épisode cévennol des 17 et 18 octobre 2024 par exemple, ce qui est courant sur le pourtour méditerranéen, l'intensité a été exceptionnelle avec quasiment 800 mm de cumul de précipitations enregistrés en l'espace de 48 heures. Là où l'on a rencontré des difficultés au niveau des prévisons c'est que l'épisode a été mal anticipé.

Planet.fr : qu'entendez-vous par "mal anticipé" ?

Idriss Boumaza : c'est-à-dire qu'on voyait ce phénomène arriver, cet épisode cévennol, on l'avait prédit à 400 mm, et il est donc tombé le double. Le problème c'est que les modèles, compte tenu du dérèglement climatique, ont mal appréhendé les données précipitables.

Planet.fr : les modèles actuels n'intègrent pas le dérèglement climatique dans leurs schémas ?

Idriss Boumaza : c'est exactement ça. Ce qu'il faudrait aujourd'hui c'est repenser ces modèles,  ce qui est très complexe, en intégrant le facteur dérèglement climatique.  Car ce dernier est en dents de scie, très fluctuant. Là on a deux épisodes cévennol en une semaine, mais aucun les deux dernières années.

C'est pareil pour les périodes de fortes sécheresses ou de fortes pluies. Les étés de 2018 à 2021 ont été particulièrement secs, sans une goutte de pluie ou presque. L'année dernère c'était le contraire, avec des inondations, plusieurs fois d'ailleurs, dans le Nord et le Pas-de-Calais. 

L'impuissance face au dérèglement climatique ?

Planet.fr : que faire pour mieux prendre en compte ces fluctuations ?

Idriss Boumaza : encore une fois on a des météos en dents de scie à longueur d'année en ce moment donc malheureusement ça n'améliore pas les prévisions et surtout la bonne diffusion de l'information.

Je pense qu'aujourd'hui on devrait améliorer cette dernière donnée mais aussi revoir nos modes de vigilance. La vigilance de Météo France par exemple date de plus de 20 ans et il serait heureux de la mettre au goût du jour. Ce à cause du dérèglement climatique qui impacte beaucoup plus localement certains secteurs.

Planet.fr : ce dérèglement climatique est-dû à l'activité humaine uniquement ou est-il influencé par d'autres facteurs ?

Idriss Boumaza : tout le monde parle de réchauffement climatique, et c'est vrai, mais il faut savoir que c'est un phénomène totalement naturel que la planète connaît depuis sa formation. Mais il est indéniable que l'activité humaine depuis l'industrialisation l'a amplifié.

Le rayonnement solaire devrait frapper la Terre, rebondir et repartir dans l'espace ou être capté par les nuages. Mais le problème c 'est tout simplement l'effet de serre. Il faut imaginer la Terre sous une cloche qui empêche ces rayons de repartir dans l'espace.

Planet.fr : les efforts faits pour réduire les gaz à effet de serre peuvent-ils se voir dans vos modèles, sont-ils quantifiables ?

Idriss Boumaza :  non ce n'est pas quantifiable. Certes les efforts faits par certains gouvernement (hormis la Chine ou les Etats-Unis...) aident à ralentir ce processus. Je ne veux pas être fataliste mais si on continue comme ça on ne va rien arranger. Le dérèglement climatique est en place et il ne va pas s'arrêter bien au contraire. Sauf si demain on stoppe toutes les émissions de CO 2. La Terre elle s'en remettra, nous c'est une autre histoire.

La planète subit cela depuis des millions d'années et est régulée en fonction de deux périodes : glaciaires et interglaciaires. Nous sommes en ce moment dans une période interglacière, qu'on appelle "holocène", et une période glaciaire finira par pointer le bout de son nez. Il faut savoir que les périodes glaciaires sont toutes précédées d'un réchauffement climatique. Par exemple il y a eu entre les XIV e et XIX e siècles ce que l'on a appelé le "Petit âge glaciaire", en Europe comme en France.

Planet.fr : que peut-on dire du réchauffement des océans ?

Idriss Boumaza : on a remarqué que le gulf stream ralentissait, à cause d'une propagation des eaux douces dans l'océan, due à la fonte des glaciers, de la calotte polaire, etc. Cela a, même si cela reste à confirmer, des conséquences sur l'intensité des tempêtes notamment. On a des tempêtes plus fortes qui frappent la France, des restes d'ouragans.

Cela pourrait s'amplifier car l'océan se réchauffe, et c'est ce dont a besoin un ouragan pour se former. Habituellement lorsqu'ils se forment au large des côtes ouest africaines et qu'il remontent jusqu'au Petites Antilles voire la Floride, ils finissent par mourir en remontant progressivement vers l'Atlantique nord car les eaux y sont plus froides. Mais si elles ne se refroidissent plus assez, les ouragans peuvent garder leur puissance et potentiellement atteindre les côtes ouest de l'Europe.

Planet.fr : faut-il avoir peur d'El Niño et La Niña ?

Idriss Boumaza : ce sont deux systèmes qui régissent le climat d'une partie de la planète. El Niño se caractérise par une température anormalement élevée de l'eau de surface dans le Pacifique sud. C'est un phénomène qui dure quelques années. Lorsqu'il se met en place il va déterminer le climat jusqu'en France notamment. Là, il a duré 3 ou 4 ans avec des températures assez élevées. On a pu le remarquer, ce sont les années les plus chaudes jamais enregistrées : 32 mois consécutifs supérieurs aux normales.

Aujourd'hui, il est en train de laisser place à La Niña, le phénomène opposé, mais qui a cette fois pour origine une anomalie géo-équatoriale des eaux de surface. Les conditions météo notamment en Europe vont être concernées par des températures un peu plus froides et humides. On va avoir normalement un hiver plutôt froid, plus froid que l'année dernière

Planet.fr : c'est un phénomène moins long qu'El Niño ?

Idriss Boumaza : oui, entre 1 et 2 ans, jusqu'à 2 ans. Puis El Niño reprendra le relais. C'est un cycle entre ces deux phénomènes climatiques.