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- 1 - Les politiques passés au peigne fin
- 2 - Claude Guéant et l’échec scolaire de l’immigration
- 3 - Nicolas Sarkozy et les délinquants sexuels
- 4 - Marine le Pen et les salaires de l’immigration
- 5 - Arnaud Montebourg et la baisse d’impôt
- 6 - Laurent Wauquiez et le projet fiscal du PS
- 7 - Martine Aubry et la "niche Copé"
- 8 - François Baroin et les dépenses du PS
Les politiques passés au peigne fin
Désintox".
On appelle cela le fact-checking. Traduire en français : vérification des faits. Une pratique journalistique venue des Etats-Unis et apparue chez Libération il y a trois ans, dans la rubrique "Depuis 2008, Cédric Mathiot, rejoint depuis par Guillaume Launay, épluche les (petites et grandes) déclarations politiques, traque les erreurs factuelles, bilans imaginaires, statistiques détournées, rapports manipulés, amnésie sélective…
Depuis, le fact-checking ou contre-enquête sur les affirmations politiques, a essaimé sa pratique dans de nombreux médias : le détecteur de mensonges du JDD, les "Pinocchios" du Nouvel Obs, ou encore les "Décodeurs" du Monde.
Retrouvez les plus gros mensonges politiques de 2011 page suivante.
Claude Guéant et l’échec scolaire de l’immigration
Le 22 mai, sur Europe 1, le ministre de l’Intérieur affirme : "Les deux tiers des échecs scolaires, c’est l’échec d’enfants d’immigrés"
Guéant prétend puiser son information du rapport 2010 du Haut Conseil à l’intégration (HCI) sur les défis de l’intégration à l’école. Avant de s’en référer, faute de chiffres dans le document cité précédemment, à une étude de l’Insee parue en 2005.
L’étude en question indique que les enfants d’immigrés sont 11% à sortir du système scolaire sans qualification, contre 6% pour les autres, mais cela ne signifie en rien que, sur le total des élèves sans qualification, deux tiers sont des enfants d’immigrés.
Sachant que les enfants d’immigrés ne composent que 10% de l’ensemble, une simple règle de trois, accessible aux collégiens, permet d’aboutir à un autre résultat : environ 16% des enfants en échec sont des enfants d’immigrés. C’est bien loin des deux tiers.
Guéant persiste et signe
L’affaire ne s’arrête pas là pour autant. Dans deux droits de réponses qu’il fait parvenir à Libération, dont un acheminé au petit matin par deux motards de la République, Claude Guéant persiste, défend ses calculs, et qualifie d’"exotiques" ceux de ses contradicteurs.
Ce sont finalement les syndicats de l’Insee qui, scandalisés qu’un ministre s’autorise à déformer si grossièrement les conclusions d’une étude de l’institut statistique, obtiendront un démenti officiel en faisant pression sur leur direction.
Chose rarissime, un communiqué de l’Insee vient officialiser mi-juin le fait que le ministre de l’Intérieur français ne sait pas compter. Voilà ce qu’on y lit : " Suite aux différents échanges qui ont eu lieu par voie de presse à ce sujet, l’Insee souhaite rappeler les statistiques publiées en 2005 sur le parcours scolaire des enfants d’immigrés. La proportion d’enfants d’immigrés parmi les élèves sortis sans qualification de l’enseignement secondaire peut être estimée à environ 16% pour les enfants de familles immigrées."
Nicolas Sarkozy et les délinquants sexuels
"Quand, avec Claude Guéant en 2003, nous avons mis en place le fichier sur les empreintes pour les délinquants sexuels, j’ai fait face à une polémique. […] Permettez-moi de vous dire que, l’année dernière, on a retrouvé un criminel sur deux grâce à ces fichiers."
Nicolas Sarkozy en visite à Bormes-les-Mimosas (Var), le 19 mai.
Contrairement à ce qu’il a répété plusieurs fois, ce n’est pas Nicolas Sarkozy - pas plus que Claude Guéant - qui a créé le fichier des empreintes génétiques pour les délinquants sexuels.
C’est en 1998 que ce fichier a été mis en place, à la suite de l’affaire Guy Georges. Il concernait exclusivement les délinquants sexuels. En 2001, il a été étendu aux condamnés pour des crimes graves, homicides volontaires, actes de terrorisme et attaques à main armée.
Quand, en 2003, Sarkozy intervient sur le fichier, c’est pour l’élargir à tous les auteurs d’atteintes aux personnes et aux biens. La loi de mars 2003 permet aussi de ficher, outre les condamnés, les simples suspects. Si des protestations ont eu lieu, c’est parce que Sarkozy a transformé un fichier de criminels et de délinquants sexuels en fichier de masse.
Quant aux effets, le ministère de l’Intérieur s’est déclaré incapable de valider la statistique présidentielle qui assure qu’on retrouve depuis "un coupable sur deux".
En fait, l’idée selon laquelle le fichier d’empreintes génétiques a été déterminant dans l’élucidation des crimes les plus graves résiste mal à l’analyse des chiffres. Le taux d’élucidation des viols était de 73% en 2010, relativement stable par rapport aux années passées : depuis quinze ans, il varie entre 70 et 90%...
Marine le Pen et les salaires de l’immigration
"Il y a un rapport du Conseil d’analyse économique qui date de juin 2009 et qui dit que la hausse de 1% de l’immigration entraîne la baisse de 1,2% des salaires."
Marine Le Pen, le 14 février, Sur BFM TV.
Le chiffre que cite la présidente du FN se trouve bien dans un rapport du Conseil d’analyse économique de juin 2009, sur l’impact économique de l’immigration.
Les économistes américains Altonji et Card aboutissent à la conclusion qu’une hausse du nombre d’immigrés correspondant à 1% de la force de travail totale (ce qui n’est pas la même chose qu’une "hausse de 1% de l’immigration", comme le simplifie Le Pen) réduit de 1,2% le salaire des moins qualifiés (et pas les salaires en général), et réduit le taux de chômage de 0,25% (ce dont Le Pen ne parle pas). Mais cette lecture approximative et partielle n’est pas l’essentiel.
Le deuxième étage de la manipulation consiste à piocher une étude particulière pour en faire une vérité générale.
Le 11 mars, lors d’un meeting à Bompas (Pyrénées-Orientales), elle répète son propos en élargissant : "Comme l’ont confirmé toutes les études, 1% d’immigration en plus, c’est 1,2% de salaires en moins."
Elle aurait pourtant pu citer d’autres travaux, comme ceux de LaLonde et Topel, qui trouvent, eux, que "l’immigration de travailleurs peu qualifiés réduit essentiellement le salaire d’autres immigrés peu qualifiés et que l’effet est faible".
Marine Le Pen a donc choisi l’étude qui lui seyait le plus. Sans compter que les travaux d’Altonji et Card portent uniquement sur les Etats-Unis, et sont difficilement transposables à la France, en raison des caractéristiques du marché hexagonal…
Arnaud Montebourg et la baisse d’impôt
Arnaud Montebourg, le 22 août sur Europe 1
Le rapport cité par Arnaud Montebourg traite effectivement, dans un chapitre, de l’impact des baisses d’impôt consenties depuis dix ans. Mais, à la différence de ce que Montebourg en rapporte, il s’étend sur la période allant de 1999 à 2008 et non sur la décennie 2002-2011.
Les deux auteurs du rapport pointent donc les largesses fiscales des gouvernements de droite depuis 2002… mais aussi celles du mandat Jospin survenues après 1999. Laurent Fabius avait alors baissé l’impôt sur le revenu, l’impôt sur les sociétés ou la TVA. Voilà ce qu’on peut lire dans le rapport :
"Depuis 1999, l’ensemble des mesures nouvelles prises en matière de prélèvements obligatoires ont ainsi réduit les recettes publiques de près de 3 points de PIB : une première fois entre 1999 et 2002 ; une deuxième fois entre 2006 et 2008."
Laurent Wauquiez et le projet fiscal du PS
Laurent Wauquiez le 17 octobre sur France 2
Les chiffres du ministre de l’Enseignement supérieur proviennent d’une simulation réalisée sur le site Revolution-fiscale.fr, mis en ligne par trois économistes.
Ils y défendent la fusion de l’impôt sur le revenu et de la CSG. Une idée qu’on retrouve effectivement dans le projet fiscal de François Hollande. Sauf que l’application correcte de la proposition des économistes aboutit à… l’inverse de celle du ministère ! Car celui-ci a tout simplement oublié une partie (considérable) de l’équation.
Reprenons l’exemple du ministre : un couple avec trois enfants, gagnant 56 400 euros annuels et payant un impôt sur le revenu (IR) de 2 538 euros.
Avec le nouveau barème proposé, cet impôt équivaudrait à 5 640 euros. Que Wauquiez compare à leur impôt sur le revenu actuel pour annoncer ses 3 000 euros de plus… en oubliant cependant de considérer, d’un autre côté, le résultat de la fusion IR-CSG (annoncée comme mesure phare de la réforme).
Tout compte refait correctement, le couple acquitte aujourd’hui deux fois plus en CSG qu’en impôt sur le revenu. Avec la fusion des deux impôts et le barème proposé par les économistes, il paierait donc 2 665 euros de moins, et non 3 000 euros de plus…
Martine Aubry et la "niche Copé"
"22 milliards ! Vous vous rendez compte de ce qu’on peut faire avec 22 milliards, pour le logement, pour l’emploi de jeunes, pour l’accès aux soins…" s’indignait ainsi Martine Aubry le 31 août sur BFM TV, au sujet de la "niche Copé", visant à exonérer d’impôt les sociétés…
Cette défiscalisation, soumise en 2004 par le ministre du Budget, et entrée en vigueur en 2007, avait pour objectif d’éviter l’exil des sociétés françaises, notamment des holdings, vers des pays plus accueillants fiscalement. Seule certitude : son coût, évalué en 2004 à moins d’un milliard sur trois ans, a franchement dérapé, nombre d’entreprises profitant de l’effet d’aubaine. Dans une évaluation de Bercy communiquée début 2010, on atteint effectivement les 22 milliards sur trois ans.
Sauf que cette évaluation a depuis été remise en question, en octobre 2010, par le Conseil des prélèvements obligatoires (CPO), organisme associé à la Cour des comptes, dans le rapport "Entreprises et niches fiscales et sociales".
Si ce document pointe "un coût budgétaire élevé, qui a été à l’origine mal évalué", il souligne une erreur de méthode du calcul de Bercy. Car, avant le dispositif Copé, le taux d’imposition sur ces plus-values était déjà réduit (19% contre 33,3% pour l’impôt normal sur les sociétés).
Le manque à gagner est donc au maximum de 14 milliards. Un manque à gagner théorique : le CPO estime qu’une suppression du dispositif, qui pourrait entraîner de nouveaux exils fiscaux, n’aboutirait, finalement, qu’à revenir aux «recettes moyennes d’imposition des plus-values avant la réforme». Soit 2 à 3 milliards d’euros par an. Moins que ce qu’Aubry en espère. Plus que ce qu’admet la droite.
François Baroin et les dépenses du PS
François Baroin le 23 novembre, à l’Assemblée nationale.
La proposition de François Hollande de créer 60 000 postes dans l’Education nationale a donné lieu à une bataille de chiffres assez spectaculaire entre l’UMP et le PS.
Jusqu’ici, la polémique sur le chiffrage de la proposition de Hollande se concentrait sur la façon de mettre en scène des chiffres similaires, en les présentant sur un an côté PS, en cumulant sur la durée d’un mandat côté UMP.
François Baroin, lui, décide de calculer sur… cinquante-six ans ! Ce qui n’a pas vraiment de sens car, bien évidemment, la politique du prochain quinquennat n’est pas forcément vouée à être pérennisée advitam : rien n’empêchera de futurs gouvernants de supprimer, plus tard, des postes de fonctionnaires…
Puis, le ministre n’hésite pas à convertir ces 120 milliards en "5 points de PIB". Ce qui revient à rapporter un coût sur cinquante-six ans au produit intérieur brut d’une année (1 932 milliards d’euros en 2010), soit une sacrée contorsion mathématique (que Baroin réitérera quasiment mot pour mot mi-décembre).
Enfin, le ministre de l’Economie conclut en salant un peu plus l’addition avec 30 milliards, liés au retour de la retraite à 60 ans. Mais là il ne se donne même plus la peine de préciser si c’est un coût sur un an, un quinquennat ou un siècle. L’important est d’arriver à un bon gros chiffre de 150 milliards…
Dossier original paru à la Une de Libération, mardi 27 décembre 2011.
Crédits photos : wikimedia