Pourrait-on s'en sortir sans gouvernement ?AFP
Certains pays tournent sans gouvernement depuis plus d'un an. C'est le cas de la Belgique, par exemple, qui a pourtant résisté à toutes les crises survenues les treize derniers mois. Une telle situation serait-elle envisageable en France ?
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"Même quand il n'y a pas de pilote, l'avion vole", plaisantait Bernard Gilliot, président de la Fédération des entreprises de Belgique. Le patron des patrons, qui se confiait au quotidien local L'Echo et dont Le Monde reprend les propos, évoquait l'absence de gouvernement qui perdure depuis maintenant 13 mois. Une situation qui, si elle "ne pèse pas sur l'économie", demeure urgente explique-t-il.

"L'économie continue de fonctionner et les marchés permettent au pays de se financer avec un écart de taux minime par rapport à celui de l'Allemagne", pointe du doigt Etienne de Callataÿ, économiste pour Orcadia Asset Management, qui s'exprime dans les colonnes du quotidien du soir. Avant de nuancer son propos : "Ce qui ne signifie pas que l'on puisse se passer d'un gouvernement qui prenne de bonnes mesures…"

Toujours est-il que "la situation s'aggrave mais n'est pas désespérée", écrit le journal français. Ce qui n'est pas sans poser quelques questions : comment s'en sortirait la France dans une situation pareille ? Nos institutions sont elles aussi résilientes que ne peuvent l'être celles de nos voisins eu égard au mal en question ? Quels sont les mécanismes de protections développés par la Vème République pour se prémunir de l'instabilité ministérielle et gouvernementale constatée dans les précédents régimes ?

La France pourrait-elle tenir un an sans gouvernement ?

"En France et sous la Vème République, la formation du gouvernement procède avant tout du chef de l'Etat. C'est lui qui nomme le Premier ministre et c'est avec lui qu'il compose ensuite le gouvernement", rappelle Olivier Rouquan, politologue et constitutionnaliste. "Parce que la constitution dissocie le président du gouvernement, et que le chef de l’état n'est pas responsable devant l'Assemblée nationale, il peut procéder à un changement de premier ministre sans trop négocier avec les partis", poursuit-il. Et le premier ministre se sent plus redevable au président qu’à la majorité parlementaire…

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Contrairement à la situation Belge, où le législatif pèse dans la construction d'un nouveau gouvernement, en France, "le groupe parlementaire ne fait pas, ou peu pression", explique le chercheur. A ses yeux, la bipolarisation de la politique française et le mode de scrutin majoritaire ont contribué à garantir une certaine stabilité gouvernementale : les gouvernements ont toujours bénéficié d'une majorité solide à l'Assemblée nationale sous la Ve République.

Une évolution du système électoral français pourrait-elle réintroduire une certaine instabilité gouvernementale ?

Emmanuel Macron l'a dit, il souhaite introduire davantage de proportionnelle à l'Assemblée nationale. A l'issu du grand débat, qui faisait lui même suite aux rassemblements conduits par les "gilets jaunes", il a annoncé vouloir 15% des députés élus de la sorte, rapportait à l'époque Marianne. Une évolution susceptible de bouleverser l'équilibre politique qui favorise cette stabilité ministérielle ? Peut-être.

"Compte tenu de la transformation partisane qui s'opère et de la potentielle introduction de la proportionnelle, la situation pourrait évoluer. Si le gouvernement change effectivement le mode de scrutin, il est possible que les majorités qui émergent ensuite soient moins assurées", avance Olivier Rouquan, pour qui cela pourrait recréer un jeu d'alliance et de coalitions : "elles obligeraient l’exécutif à négocier et le gouvernement serait effectivement responsable devant le président et l’assemblée nationale."

L'instabilité ministérielle est-elle par essence préjudiciable à un régime ?

"Des régimes parlementaires comme celui de l'Espagne, de la Belgique ou de l'Allemagne prennent du temps à composer un nouveau gouvernement. Pour autant, cela n'engendre pas mécaniquement d'instabilité dans la gestion du pays", rappelle d'entrée de jeu le constitutionnaliste. Et de préciser qu'il n'y a pas nécessairement de lien systémique entre instabilité ministérielle et régime parlementaire.

Par ailleurs, "sous les IIIè et IVè République Française, la ronde des ministres n'a pas empêché de conduire d'importantes réformes, dont les effets se font encore sentir aujourd'hui. Parmi l'héritage de ces régimes, il faudrait rappeler la laïcité ou le nucléaire, par exemple, qui continuent à modeler le pays dans lequel nous vivons", souligne le politologue qui insiste : ce modèle de gouvernance n'empêche pas l'application d'une politique forte.

"Bien entendu, c'est un système plus lent, qui implique parfois des pertes de temps comme d'énergie. Il faut pouvoir négocier, marchander, trouver des compromis. Pour autant, il ne s'agit pas du chaos politique qui est parfois décrit et il importe de relativiser l'image que l'on en a en France. D'autant plus que la stabilité institutionnelle actuelle n'est peut-être qu'un trompe-l'œil : il ne faut pas oublier les foyers de désordre que l'on observe depuis plus d'un an maintenant, ainsi que la difficulté persistante à réformer !", alerte Olivier Rouquan.

Pourquoi, alors, dénigrer à ce point le régime parlementaire ? "L'idée qu'il s'agit d'un mal absolu à éviter s'est ancrée dans la population après l'arrivée au pouvoir du général de Gaulle. Il a construit son retour au pouvoir sur la condamnation de ce qui se faisait avant lui, et de ce qu'il appelait le règne des partis. Il est difficile de revenir sur ce qui, aujourd'hui, est presque devenu un préjugé", détaille le chercheur.