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Raul Magni-Berton est politologue et enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble (IEP). Il travaille essentiellement sur les questions suivantes : démocratie, immigration, révoltes, redistribution, citoyenneté, élections.
Planet : Emmanuel Macron l'a dit : il entend conditionner l'accès au RSA à de nombreuses heures de travaux de réinsertion et pourrait exiger davantage de contrôle sur les populations en quête d'emploi. La réforme qu'il prévoit est-elle juste socialement et politiquement parlant ?
Raul Magni-Berton : La réforme de l’assurance chômage que prévoit Emmanuel Macron et qu’il a d’ailleurs déjà amorcée va dans le sens des autres transformations menées dans le reste des pays Européens. Il s’agit, en effet, de conditionner l’accès aux allocations chômage et, d’une façon générale, aux avantages sociaux. Ce postulat étant posé, il est possible de discuter du caractère socialement juste ou non d’une telle transformation.
Dans les faits, il est difficile d’apporter une réponse définitive en l’état actuel des choses… S’agit-il de rendre plus difficile l’accès aux allocations chômage ? C’est quelque chose qu’a déjà beaucoup fait le gouvernement, en rendant tout le travail bureaucratique de plus en plus ardu, ce qui pousse de nombreux chômeurs à ne plus - ou ne plus savoir - réclamer leurs droits. C’est une méthode pratique pour les gouvernants, qui ont l’assurance d’économiser de l’argent sur le dos des bénéficiaires de prestations sociales sans s’exposer à la critique : les aides n’ont pas disparu, aussi la transformation est nettement moins visible. De nombreux autres pays ont fait de même par le passé.
Chômage : “Si la réforme de Macron consiste à rendre plus difficile d’accès le RSA, elle n’est pas saine”
Dès lors, tout dépend de ce que l’on cache derrière ce projet. S’il est question de conditionner l’accès aux allocations à des activités qu’il est très facile de faire, cela peut avoir du sens puisque ce serait l’occasion pour certains de récupérer ce à quoi ils n’ont pas nécessairement droit en l’état actuel des choses. En outre, l’idée de conditionner ce genre d’avantages à une tentative d’insertion peut effectivement faire l’objet d’un débat légitime. En revanche, si ce projet consiste à appliquer un vernis pour camoufler une complexification du système, ce ne serait pas bon, ni sain. Un nombre conséquent de travailleurs et de travailleuses perdraient l’accès aux droits chômage et les seuls qui les conserveraient à coup sûr deviendraient des professionnels du remplissage de paperasse. L’objectif inverse d’une telle mesure, donc.
Chômage : “Emmanuel Macron cherche à radicaliser l’électorat de Marine Le Pen”
Planet : Sur le plan électoral, une telle réforme fait-elle sens ? A qui Emmanuel Macron cherche-t-il à parler ?
Raul Magni-Berton : Naturellement, Emmanuel Macron s’adresse d’abord à son propre électorat. Celui-ci n’a pas radicalement changé : il s’agit d’une partie de la population plutôt riche et également plutôt âgée ; composée pour partie de fonctionnaires plutôt bien lotis. Il importe cependant de noter que son cœur électoral demeure moins âgé que celui des Républicains et de Valérie Pécresse.
Ceci étant, je demeure convaincu qu’Emmanuel Macron cherche aussi - et peut-être même avant tout - à parler aux électeurs de Marine Le Pen. Il s’agit de leur faire peur pour les mobiliser car il a, à ses yeux au moins, tout intérêt à faire face à la candidate du Rassemblement national au deuxième tour de l’élection présidentielle. Depuis le début du quinquennat, il a entrepris de renforcer la conviction des électeurs du RN avec des annonces et des politiques comparables.
En France, l’élection à deux tours engendre une forme de monotonie. C’est d’ailleurs l’une de ses propriétés étudiée dans le domaine universitaire. Concrètement, cela signifie qu’il y a parfois intérêt à déplaire à certains électeurs pour s’assurer de gagner les élections. Emmanuel Macron préfère aujourd’hui repousser un certain nombre des gens qui pourraient peut-être voter pour lui pour s’assurer un adversaire moins dangereux au second tour.
Chômage : “Si l’incitation est trop lourde, elle poussera les chômeurs à ne pas demander leurs aides”
Planet : Que dire, enfin, de l'efficience d'une telle mesure, sur le plan économique ? Le contrôle des chômeurs s'avère-t-il efficace pour réduire le taux de chômage ?
Raul Magni-Berton : Plusieurs études empiriques s’interrogent précisément sur ce sujet. Dans les faits, leurs résultats sont assez difficiles à interpréter… puisque c’est moins la nature même de la mesure qui peut poser problème que son application.
En général, une incitation au travail est efficace quand il s’agit de faire reculer le chômage. Du moins… quand elle est bien construite. Si elle engendre des démarches trop lourdes pour les demandeurs d’emplois, elle n’a pas cet effet : elle devient alors une incitation à ne pas demander ses aides.