La fin de semaine et le week-end du 7 décembre seront marqués par un net refroidissement des températures et un risque de chutes de neige sur une bonne partie du pays. Voici, d'après les prévisions de La Chaîne...
Sylvain Boulouque est historien. Il enseigne à l'Université de Nanterre où il conduit également ses recherches. Il est auteur de plusieurs ouvrages sur l'histoire du communisme et de l'anarchisme tels que Mensonges en gilet jaune (ed. Serge Safran), Julien Le Pen un lutteur syndicaliste et libertaire (ed. ACL), Les anarchistes ou Appels aux travailleurs algériens. Il a également contribué au dernier ouvrage de Stéphane Courtois et Marc Lazar, la 3e édition de l'histoire du PCF (PUF 2022). En outre, il a aussi introduit et édité le livre Le Peuple, sur le militant Julien Le Pen.
Planet : Fabien Roussel est aujourd'hui sous le feu des critiques d'une partie de la gauche pour avoir pris la défense de la gastronomie française, déclarant "Un bon vin, une bonne viande, un bon fromage : c'est la gastronomie française", lors d’une interview. D'aucuns lui reprochent en effet une certaine déconnexion quand d'autres s'émeuvent des réponses de cette même gauche et des éventuels thèmes tabous de la présidentielle. Y a-t-il des sujets que l'on ne peut plus aborder ?
Sylvain Boulouque : Pour bien répondre à la question, il importe d’abord de rappeler certains éléments. Fabien Roussel se place aujourd’hui dans l’héritage du Parti Communiste Français des années Thorez à Marchais. Il s’agit donc, pour lui, de brandir deux drapeaux : le rouge, bien sûr, mais aussi celui de France. Il n’est d’ailleurs pas étonnant qu’il ait décidé d’intituler son livre Ma France (éditions Cherche Midi) : c’est une référence à la chanson du même nom de Jean Ferrat. Il essaye donc d’invoquer l’imaginaire d’un communisme internationaliste mais aussi ancré dans les territoires. Il revendique clairement cet héritage, qu’une partie de la gauche a oublié et qui s’en retrouve aujourd’hui choquée. Cela se voit aussi quand il fait l’apologie, quoique moins commentée, de la Chine.
Prétendre qu'il y a des sujets tabous, c'est de la "propagande politique" juge l'historien Sylvain Boulouque
Faut-il penser que la réaction de Sandrine Rousseau illustre le tabou qui pèse sur certains sujets en politique ? Je ne pense pas. Prétendre qu’il est interdit de débattre fait partie de la stratégie de la droite mais le fait est que le débat existe. Parfois c’est bien davantage un débat d’invectives qu’un échange d’intellectuels, et pourtant il demeure bien réel dans les deux cas. Force est de constater, d’ailleurs, que l’on peut dire n’importe quoi aujourd’hui… puisqu’il est même possible de tenir des propos qui tombent sous le coup de la loi, comme c’est le cas des déclarations d’Eric Zemmour, tout en étant candidat.
La question du "wokisme", qui sous-tend régulièrement ce genre d’échanges, soulève des thématiques complexes qui ne se prêtent pas très bien à un débat réseau-socialisé à mon sens. On ne peut pas se contenter de réduire tous les questionnements, l’intégralité d’un échange contradictoire et argumenté, à la seule invective ou à la destruction de trois statues.
"La gauche ne pourra pas gagner tant qu'elle oubliera la question sociale"
Planet : Que dit la fracture aujourd'hui observée de la réalité des lignes à gauche ? Peut-on vraiment reprocher à Fabien Roussel de tenter de caresser l'électorat identitaire dans le sens du poil, comme ont pu le faire certains à gauche ?
Sylvain Boulouque : Soyons clairs : Fabien Roussel ne convoite pas l’électorat identitaire et ce n’est pas lui qu’il brosse dans le sens du poil. Il s’adressait en fait au vieil électorat communiste, avec qui il espère renouer. Il veut retrouver l’identité du PCF qui lui a permis d’être l’un des partis les plus importants de France des années 30 au années 50. C’est précisément pour cela qu’il travaille sa double identité, y compris sur des questions différentes comme le nucléaire. Il dit clairement qu’il faut trouver de nouvelles formes d’énergie… Mais qu’en attendant d’y arriver, il n’entend pas fermer le secteur. C’est une façon de flatter une partie de l’électorat traditionnel de sa famille politique, de s’assurer le soutien des réseaux militants dans l’énergie du PC.
Du reste, il y a effectivement plusieurs visions du politique à gauche. L’une d’entre elles s’ancre dans la nouveauté et dans la recherche de concepts nouveaux. Elle cherche l’émancipation par le sociétal plutôt que par le social. C’est une gauche compatible avec l’enquête de TerraNova expliquant que le vote ouvrier est perdu et qu’il faut désormais chercher d’autres segments ; compatible avec la notion d’intersectionnalité, laquelle permet d’envisager les oppressions comme multiples et susceptibles de s’accumuler. Jean-Luc Mélenchon, par exemple, s’engage sur cette ligne.
Une autre gauche insiste moins sur les libertés et davantage sur l’égalité. Le problème vient du fait que cette famille politique n’a jamais su gagner en ne s’appuyant que sur l’une de ses deux jambes. Aujourd’hui, du fait de son éclatement électoral et de la perte de vue des intérêts communs, elle ne pose plus la question de la résolution du combat social… et a de fait perdu une partie de son identité.
"La lutte pour le bifteck, c'est aussi l'héritage de la gauche"
Planet : Faut-il craindre, une fois de plus, l'abandon de certains thèmes de gauche (tel que l'égalité devant l'alimentation) à l'extrême droite ?
Sylvain Boulouque : C’est de la propagande électorale. Fabien Roussel, avant toute chose, parle du rapport égalitaire à l’alimentation. Il parle de salaire, pas de pouvoir d’achat, ce que ne fait pas la droite. Le candidat communiste l’a déjà dit, il n’est pas favorable à un revenu minimum garanti, il souhaite voir une augmentation des salaires et l’obtention d’un travail pour l’intégralité de la population active puisque selon lui, la dignité vient du labeur. C’est un autre paradigme.
Fabien Roussel se pose donc en héros et en héraut de la question sociale, quand d’autres à gauche préfèrent défendre les libertés et les minorités. Le fait est, malheureusement pour la cette famille politique, que sa division la rend assez peu audible. C’est d’autant plus vrai pour sa dimension sociale que le PC a perdu de sa splendeur. Pour autant, il m’apparaît important de préciser que cette polémique fait la démonstration du peu d’attention prêté au fond des choses. Le commentaire de Sandrine Rousseau ne s’attarde que sur la forme, que sur l’écume de l’analyse que propose le PCF. Il faut bien comprendre que son candidat ne fait pas l’apologie d’un mode de vie pour parler de son identité, mais qu’il reprend une vieille formule de Maurice Thorez : celle de la lutte pour le bifteck. Autrement dit, le combat pour les salaires.
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