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- 1 - Les affaires des ministres
- 2 - Planet : Plusieurs ministres dont la responsabilité est mise en cause sont maintenus au gouvernement. Est-ce que cela s’est déjà vu sous la Vème République ?
- 3 - En ce sens, le gouvernement Macron actuel tranche avec la pratique politique des dernières décennies ?
- 4 - Pourquoi l’exécutif fait-il le choix de maintenir ces ministres malgré leur image dégradée ?
- 5 - Quelle image cela donne-t-il du gouvernement Macron ?
Un autre remaniement est passé : le second de l’ère Macron II, le premier de l’ère Borne III, qui porte à 106 le nombre de ministres investis par Emmanuel Macron. Les chiffres nous perdent. Le moins qu’on puisse dire, c’est que le président resserre les rangs, se replie sur son camp, en témoigne l’éviction de certains ministres issus de la société civile, remplacés par des soldats de Renaissance, tels qu’Aurore Bergé.
Parmi les membres du gouvernement actuel, il y a ceux qui ont encore tiré les plus longues pailles, au premier rang desquels se serrent Eric Dupond-Moretti, garde des Sceaux depuis 2020,et le ministre de l’Intérieur qui se ferait bien Premier ministre, Gérald Darmanin. On compte aussi parmi les “indéboulonnables” la ministre de l’Europe et des affaires étrangères Catherine Colonna, nommée en 2022, et le ministre du Travail Olivier Dussopt, également recrue de mai 2022. Leur point commun : leur longévité sous les mandats d’un président qui est à ce jour le plus gros “consommateur” de ministres sous la Vème République, si on rapporte les chiffres à la durée actuelle de son passage à L’Elysée. Autre point commun : leur mise en cause dans différentes affaires qui relèvent de la justice.
Les affaires des ministres
Récapitulons : Eric Dupond-Moretti est soupçonné de “prise illégale d’intérêt” dans une affaire qui remonte à 2021 et sera jugé par le Cour de justice de la République. Olivier Dussopt sera jugé en fin d’année pour favoritisme dans un marché public conclu en 2009 alors qu’il était maire d’Annonay (Ardèche). Catherine Colona a été visée par plusieurs signalement pour harcèlement dans les ambassades de Londres et Rome. Gérald Darmanin a été accusé de viol sur une plaignante qui, après un non-lieu en janvier, se pourvoit en cassation. On notera également le remboursement effectué par Sébastien Lecornu en juin dernier pour classer l’enquête pour prise illégale d’intérêt qui pesait sur lui. “Boulets” ces ministres ? En terme d’image on pourrait le supposer. Car il faut bien avouer que dans la communication léchée qui est celle de la Macronie, leurs déboires font tâche. Planet a interrogé Arnaud Benedetti, rédacteur en chef de la Revue politique, sur les raisons de leur longévité au gouvernement.
Planet : Plusieurs ministres dont la responsabilité est mise en cause sont maintenus au gouvernement. Est-ce que cela s’est déjà vu sous la Vème République ?
Arnaud Benedetti : "Il y avait quand même depuis les années 90, ce qu’on appelle de manière imparfaite la “Jurisprudence Beregovoy-Balladur”. Une règle selon laquelle à partir du moment où un ministre était en difficulté sur le plan judiciaire, on considérait que ce ministre, ne serait-ce que pour assurer sa défense au mieux, devait se mettre en retrait. On l’avait vu avec Bernard Tapie (mis en examen pour abus de biens sociaux, il quitte le gouvernement Bérégovoy avant d’y revenir une fois blanchi en 1992, Ndlr), et avec Gérard Longuet (inquiété pour le financement du Parti républicain et la construction de sa villa en 1994, il quitte le gouvernement, Ndlr)."
En ce sens, le gouvernement Macron actuel tranche avec la pratique politique des dernières décennies ?
"On se rappelle qu’Emmanuel Macron s’est fait élire dans les conditions de l’affaire Fillon, donc avec une promesse de moralisation de la politique et de la vie publique. D'ailleurs, parmi les premières lois de son premier mandat on a des lois de moralisation politique (textes législatifs français promulgués en septembre). Au tout début de son mandat, souvenons-nous, il a écarté un certain nombre de ministres qui dans le premier gouvernement mis en difficulté sur le plan judiciaire. C’est le cas notamment de Richard Ferrand et des ministres du Modem François Bayrou, Marielle de Sarnez et Sylvie Goulard.
Et puis on a connu un tournant durant le mandat, avec quelques exceptions, mais un moment où l’exécutif a considéré que le principe de présomption d’innocence était indiscutable, y compris pour une personnalité avec une responsabilité politique. La logique aujourd’hui c’est d’attendre que la justice se prononce. On a eu le cas d’Alain Griset (inculpé pour “déclaration incomplète ou mensongère de sa situation patrimoniale” en décembre 2021, Ndlr) : il a fallu attendre sa condamnation définitive pour qu’il démissionne. Maintenant on va jusqu’au bout de la logique judiciaire, alors qu’on avait upgradé pendant des années le principe de responsabilité juridique, au-delà de ce qui s’impose au justiciable lambda. La responsabilité politique était en ce sens au-delà de toute autre responsabilité. Aujourd’hui on en revient à considérer qu’un ministre est un justiciable comme un autre."
Pourquoi l’exécutif fait-il le choix de maintenir ces ministres malgré leur image dégradée ?
"Pour l’exécutif, garder ces ministres c’est un moyen de montrer qu’on se libère des pressions de l’opinion publique, et des pressions des juges, et des médias. Ça traduit le fait que l’exigence d’exemplarité qui avait fini par s’imposer dans la société politique se relâche sous Emmanuel Macron, ce que j’interprète plutôt comme une régression sur le plan de l'éthique. Ce qui aurait pu choquer il y a 20 ans, aujourd’hui, ne choque pas.
Cette désinvolture se nourrit également d’une exigence médiatique qui me paraît moindre que dans le passé. On est dans un système d’immédiateté qui est tel qu’un événement disparaît aussi vite qu’il est apparu et que l’attention médiatique est moins soutenue. On a relaché la vigilance."
Quelle image cela donne-t-il du gouvernement Macron ?
"Nous sommes dans cette situation assez incroyable en France où nous avons un garde de Sceaux qui est sous le coup d’un renvoi devant la Cour de justice de la republique. Donc la situation pose un problème de fond sur la capacité que nous avons à avoir une responsabilité politique qui puisse s’exercer sans être sous le coup de soupçons et de reproches.
Ça affaiblit la fonction politique et la fonction minitérielle et ça crée l’idée qu’il y aurait deux poids deux mesures entre le justiciable que chacun est et le politique. Je pense que sur la distance, ça crée une atmosphère délétère et ne peut que miner le lien de confiance dans les politiques, d’ailleurs les sondages montrent une érosion constante de la confiance du public dans les personnalités politiques. La question fondamentale étant : est-ce que le politique est un justiciable comme un autre ? "