Alba, violée par son moniteur d’équitation : « J’ai vécu 10 ans sous son emprise » Istock
C'est l'histoire d'une adolescence, puis d'une vie brisée. Lorsqu'elle est âgée de 14 ans, la jeune Alba, passionnée d'équitation, devient la proie de son moniteur, un homme de 25 ans. Il la viole, tout en lui répétant qu'elle est « spéciale ». L'emprise s'installe, et Alba s'enlise dans une relation destructrice dont elle ne parvient à se défaire qu'à l'âge de 25 ans, après s'être mariée avec son bourreau. Pendant toute cette période, l'homme aura fait d'autres victimes parmi les jeunes filles du centre équestre. Il sera condamné en 2021 à 12 ans de réclusion criminelle ; grâce, notamment, au courage d'Alba. Après des années de brouillard et de déni, elle avait décidé, en quittant son bourreau, d'alerter la justice.
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Aujourd’hui, Alba, 36 ans, ne veut plus se taire. Mais les mots sont difficiles, et la réalité, brutale.

« J’avais 14 ans quand je l’ai rencontré », nous confie-t-elle. « C’était le nouveau moniteur de mon centre équestre. Il roulait des mécaniques, il avait 25 ans et il était très séducteur. Dès qu’il est arrivé, il a joué un jeu avec toutes les petites du centre », poursuit la jeune femme.

A l’époque, Alba se passionne, comme de nombreuses ados de son âge, pour l’équitation. Elle a aussi l’âme d’une romantique. « Il a compris qu’avec moi, le seul moyen d’obtenir quelque chose, c’était l’amour. Il me répétait donc sans cesse que j’étais spéciale, que j’étais sa préférée… »

Après quelques mois de ce jeu de séduction déplacé, il l’embrasse de force. « C’était la première fois pour moi, je n’avais pas encore mes règles », raconte Alba.

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Elle se confie naïvement à son grand-frère, presque « fière » d’avoir « un grand amoureux ». Ce dernier en parle à leurs parents. « Et là, ça a été le clash. Ils m’ont interdit de retourner au centre, ce que j’ai vécu comme une punition car j’adorais le cheval. J’ai dû les supplier pour pouvoir y retourner au bout de quelques temps », se souvient-elle.

« Il nous disait qu’il était notre moniteur d’éducation sexuelle »

Les abus reprennent de plus belle. Et l’horreur monte d’un cran. « Il y a eu le premier viol, lorsque j’avais tout juste 16 ans, à l’arrière d’un van, un endroit tout petit où on met les selles des chevaux… La douleur était insoutenable », décrit-t-elle. A l’époque, même si l’emprise est déjà établie, Alba se rend compte qu’il s’agit bien d’un viol. « Mais je me suis dit : c’est de ta faute, tes parents avaient raison, maintenant il faut assumer ».

Dès lors, la jeune ado se met « en mode robot ». Elle apprend aussi que le moniteur « fréquente » d’autres jeunes filles du club. « Une camarade de 12 ans s’est confiée à moi en me disant qu’il lui avait appris à faire une fellation, en lui disant que c’était comme une glace esquimau… Moi aussi, c’étaient des choses qu’il me répétait. Il nous disait qu’il était notre moniteur d’éducation sexuelle ».

« J’étais sa servante sexuelle »

Le prédateur applique vraisemblablement le même schéma d'emprise et de manipulation à toutes ses jeunes victimes.

« Il était en couple, avant moi, avec une ado qu’il a utilisée de ses 13 à ses 19 ans. Il l’a quittée pour être avec moi ; je voulais me convaincre que cette relation pouvait devenir une belle histoire, et je voulais l’exclusivité. Mon éducation catholique y est peut-être pour beaucoup : d’un vilain crapaud, j’ai voulu faire un prince », analyse Alba.

Elle va rester 10 ans avec cet homme. Ils vont même se marier. « Pendant toutes ses années, j’ai vécu chaque rapport comme un viol. Mais je ne connaissais rien d’autre. J’étais comme téléguidée, il faisait de mon corps ce qu’il voulait, j’étais sa servante sexuelle, sa chose, son objet. Et puis, les rapports sont devenus plus distants, et je me suis dit : ça y est, je suis trop vieille pour lui ».  

Plus les années passent, plus Alba va mal. « J’avais des crises d’angoisse à répétition, des troubles du comportement alimentaire... Mais à chaque fois que je menaçais de le quitter, il disait qu’il allait se suicider, relate la jeune femme. « Avec les autres jeunes filles aussi, il faisait du chantage en jouant sur l’ambition des cavalières ».

« La déflagration »

Alba, devenue prof après de brillantes études, finit par rencontrer un autre homme, dont elle tombe amoureuse. « Avec lui, j’ai fait l’amour pour la première fois de ma vie. J’ai trompé mon mari, lui qui m’avait trompé tellement de fois, car je pensais que ça pourrait m’aider à l’accepter ».

Avec cet homme, Alba envisage enfin un autre avenir. « Je voulais des enfants. C’est là que j’ai eu le déclic et que j’ai enfin réussi à le quitter », confie la jeune femme.

Finalement, l’histoire ne dure pas, mais Alba est délivrée de son bourreau. « Et puis, j’ai rencontré un autre homme, le père de mes enfants. Et lors de l’accouchement de mon premier garçon, là, la boîte de Pandore s’est véritablement ouverte ».

C’est à ce moment-là qu’Alba prend réellement la mesure de toute ce qu’elle a vécu depuis ses 14 ans. Une véritable « déflagration ». « J'ai été rattrapée par la vérité », souffle la jeune femme.

 Quelques mois plus tard, elle trouve enfin le courage de porter plainte. « J’ai entendu dire par une ancienne copine du cheval qu’elle confirmait mes dires sur ses « aventures » avec des jeunes filles de 11 ans à peine, elle l’avait vu. Je me suis : il ne s’est pas arrêté. Je ne pouvais plus me taire : il avait en plus ouvert ses propres écuries, avec un panel de gamines sous la main… »

Alba commence par écrire une lettre au procureur. Elle ne met pas encore le mot « viol » sur son vécu e t celui de « pédophile » sur son bourreau. « C’est lorsque j’ai été convoquée au commissariat pour qu’ils enregistrent ma plainte que le policier m’a dit : ce que vous avez vécu, ce sont des viols. Il va y avoir une enquête. Dans ma tête, tout s’est effondré », confie-t-elle.

Les enquêteurs vont rapidement découvrir l’ampleur des abus, et parviennent à retrouver de nombreuses victimes du prédateur. Il est mis en examen et placé en détention provisoire.

« Au total, quatre autres femmes se sont portées parties civiles, à mes côtés », murmure Alba.

« Le procès, trois jours terribles »

Le procès s’est ouvert cinq ans plus tard, en 2021, devant une cour d’assises. Pour Alba, ce furent « trois jours terribles. J’en fait encore des cauchemars ».

A la barre, les témoignages s'enchaînent, et les cinq victimes doivent à nouveau faire face à leur bourreau. « Malgré tout, c’était l’endroit où j’ai été le plus comprise, ajoute Alba. J’ai réussi à parler, raconter, pleurer, et on m’a crue, on a compris le mécanisme d’emprise que cet homme exerçait sur nous ».

Au terme des débats, l’ancien moniteur est condamné à 13 ans de prison. « Quelques mois après son procès, il a eu le culot de demander une remise en liberté, s’indigne la jeune femme, alors que tous les experts ont reconnu qu’il présentait un risque élevé de récidive. »

Pour Alba et les parties civiles, qui refusent de faire appel, c’est, en tout cas, la fin d’un long et lourd combat judiciaire. « Porter plainte, ça n’est pas facile ni anodin. Les conséquences sont très lourdes ». 

« A un moment donné, on meurt »

Pour essayer de se reconstruire, Alba entame la rédaction d’un livre. Elle veut poser des mots sur son calvaire, pour essayer, aussi, de le comprendre. L’ouvrage s’appelle Dissociée. « Car à un moment donné, on meurt parce qu’on nous fait un truc tellement insoutenable. Il a utilisé le beau, c’est-à-dire l’amour, pour me faire le pire… C’est pour moi comparable à de l’inceste. »

Alors qu’elle croyait avoir surmonté, justement, le pire, dans les jours et les mois qui ont suivi la publication de son livre, Alba s’effondre. « Jusque-là, j’avais tenu, portée par le combat, j’étais dans l’action. Et puis, mon corps qui a tellement voulu oublier a fini par craquer, aujourd’hui tout refait surface et j’ai de nombreux problèmes de santé. J’avais passé ma vie à dire : ce n’est pas grave, ce n’est que mon corps. Mais tout est revenu. On parle beaucoup des violences, du viol, de l’emprise mais on évoque moins l’après, l’adulte qui continue toute sa vie à subir cette déflagration… », regrette Alba.

Depuis qu’elle a quitté son violeur, elle n’a plus remis les pieds dans les étrilles. « J’ai rompu tous les liens avec cet homme, et l’équitation en faisait partie. », explique-t-elle.

Aujourd’hui, elle veut surtout pousser un grand cri. « Ce livre, c’est un combat, un hurlement, je veux prévenir les parents, les ados, les enfants, les jeunes cavalières. Leur dire que ça n’est pas normal. Un ado a le droit d’être amoureux quand il se cherche mais un adulte ne doit jamais passer le cap. Il faut mettre en place beaucoup plus de choses pour protéger les jeunes dans les fédérations sportives. Car ces situations-là sont dramatiquement très courantes. », conclut la jeune femme.

Le livre d’Alba Meulier, Dissociée, est disponible aux éditions de l’Onde.

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