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Trente-cinq ans après, le meurtre de Grégory Villemin continue d’attiser les passions. Le 16 octobre 1984, le petit garçon est retrouvé mort, pieds et mains liés, flottant dans la Vologne, à quelques kilomètres seulement du domicile de ses parents. Trois décennies plus tard, l’affaire n’est toujours pas résolue et reste un des échecs les plus importants de la justice française. Ce qui était au départ l’enlèvement et le meurtre d’un petit garçon est devenu très vite "l’affaire Grégory", mystérieuse et ancrée dans un contexte familial troublant. La jalousie, la vengeance, les non-dits de la famille Villemin sont autant d’éléments qui fascinent les Français. Ajoutée à cela l’existence d’un corbeau qui a harcelé plusieurs membres de la famille pendant trois ans, avant de signer le meurtre de sa main.
Christine Villemin : la théorie d’apprentis détectives
En 1984, les enquêteurs sont rapidement persuadés que le meurtre a été commis par Bernard Laroche, le cousin de Jean-Marie Villemin. Faute de preuves, il est finalement relâché en février 1985, avant d’être assassiné à la fin du mois de mars par le père du petit Grégory. Il n’en fallait pas plus pour que l’affaire prenne un nouveau tournant fascinant et que les enquêteurs s’orientent vers une nouvelle piste, le principal suspect étant désormais décédé. C’est alors que le juge d’instruction Jean-Michel Lambert tourne ses soupçons vers Christine Villemin, la mère du petit Grégory. Il la fait arrêter, avant qu’elle soit finalement libérée après dix jours de détention et une grève de la faim. Elle ne sera innocentée que neuf ans plus tard, le 3 février 1993, par la cour d’appel de Dijon, qui prononce un non-lieu.
Concernant l’affaire Grégory, le temps n’efface pas les passions. La diffusion sur Netflix d’un documentaire retraçant l’affaire l’a éclairée d’un jour nouveau pour de nombreux spectateurs. Parmi eux, certains s’improvisent détectives et n’hésitent pas à élaborer leurs théories sur les réseaux sociaux. Ils sont persuadés d’une chose : Christine Villemin a tué son fils unique ce 16 octobre 1984. Bien qu’innocentée par la justice, la mère du petit Grégory continue de cristalliser la haine.
Christine Villemin : soupçonnée en place publique
L'affaire a été commentée, disséquée, théorisée dans les médias pendant de nombreuses années. La culpabilité supposée de Christine Villemin a été étalée en place publique, certains journaux n'hésitant pas, à l'époque, à en faire une mère monstrueuse. Certains lui reprochent alors de tenter tant bien que mal de mener une vie normale, quand on a 24 ans et qu'on vient de perdre son enfant. Les époux Villemin donne une interview à Paris Match et Christine a eu le malheur de se maquiller. Il n'en fallait pas plus pour que certains observateurs affirment qu'elle est forcément coupable. Parmi eux, le juge Jean-Michel Lambert et le policier Jacques Corazzi. Dans le documentaire diffusé sur Netflix, il explique d'ailleurs pourquoi les soupçons ont très rapidement été tournés vers Christine Villemin. Il affirme notamment que Jean-Michel Lambert était "fasciné" par Christine Villemin, qu'il décrit comme "agréable, enfin disons le mot, excitante", précisant qu'elle portait alors un "pull moulant". Trop féminine, trop apprêtée pour une mère qui vient de perdre son enfant ?
Il n'en faudra pas beaucoup plus à Marguerite Duras pour affirmer, elle aussi, la culpabilité de Christine Villemin. Envoyée à Lépanges-sur-Vologne par Libération, l'écrivain souhaite rencontrer la jeune femme de 24 ans, ce qu’elle refuse. Elle publiera alors, le 17 juillet 1985, le texte "Sublime, forcément sublime, Christine V" dans lequel elle affirme que Christine Villemin est forcément coupable de la mort de son fils. "Dès que je vois la maison, je crie que le crime a existé. Je le crois. Au-delà de toute raison (...). On l'a tué dans la douceur ou dans un amour devenu fou". Sur la base de ses croyances, Marguerite Duras évoque sa culpabilité en place publique.
"Regardez bien autour de vous, quand les femmes sont comme celles-ci, inattentives, oublieuses de leurs enfants, c’est qu’elles vivent dans la loi de l’homme, qu’elles chassent des images, que toutes leurs forces, elles s’en servent pour ne pas voir, pour ne pas survivre", écrit-elle. Si Christine Villemin a tué son fils unique "c’est qu’aucun homme ne peut savoir ce qu’il en est pour une femme d’être prise par un homme qu’elle ne désire pas", affirme-t-elle. Dans ce qui est présenté par le journal comme la "transgression de l’écriture", Marguerite Duras livre le portrait d’une "Christine V." qui aurait pu "penser la mort de l’enfant pour se sortir de là".
Plusieurs décennies après la mort de Grégory Villemin, la culpabilité supposée de Christine Villemin continue de faire couler de l'encre. En 2006, dans L’Enfant d’octobre, qui retrace les grands moments de l’affaire Grégory, l’écrivain Philippe Besson la décrit comme une mère "démoniaque" qui "se serait débarrassée du corps de son enfant après l’avoir noyé dans sa baignoire".
Christine Villemin : pourquoi "raviver" les plaies ?
Les époux Villemin ont longtemps gardé le silence sur l’affaire et sur les différentes accusations qui ont pesé contre eux. En 1994, ils accordent un entretien télévisé à Jean-Marie Cavada et se confient dans un livre de dialogue, écrit à quatre mains. Mais les différentes accusations, le temps qu'ils ont passé à devoir se défendre, ont laissé des traces. Alors qu’ils sont régulièrement sollicités par les médias pour s’exprimer, Christine et Jean-Marie Villemin gardent le silence pendant douze ans, avant de finalement parler auprès de La Croix.
La mère de Grégory fait alors un constat : son non-lieu n’a pas calmé les accusations à son encontre. "Un non-lieu devrait avoir le même retentissement qu’une mise en examen ou une condamnation. Je suis bien forcée de constater que ce n’est malheureusement pas le cas, explique-t-elle. Je reste, aux yeux de l’opinion, une présumée coupable. Pourquoi, alors que j’ai bénéficié d’un non-lieu exceptionnel, chacun se croit-il encore autorisé à raviver des plaies ?".
L'affaire Grégory a donné à Christine Villemin un destin qu'elle n'a jamais cherché à avoir. En 35 ans, elle a été victime d'erreurs judiciaires, de manipulations, d'accusations infondées, qu'un blanchiment par la justice n'a pas effacés et n'effacera sans doute jamais. Elle aura été l'objet de fantasmes divers, d'accusations infondées, qui sont loin d'être apaisés.
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