Accusé de viol à tort par son petit-fils, Christian Iacono nous raconte son cauchemarabacapress
INTERVIEW. 15 ans de calvaire. C'est ce qu'a vécu Christian Iacono, l'ancien maire de Vence, accusé à tort de viol par son petit-fils. En 2000, l'enfant, alors âgé de 10 ans, raconte aux enquêteurs les abus que son grand-père lui aurait fait subir à plusieurs reprises. La procédure judiciaire s'enclenche, le piège se renferme sur l'édile. Il est condamné à 9 ans de prison en 2011. Quelques mois plus tard, par miracle, son petit-fils se rétracte : tout n'était que mensonge. Depuis, Christian Iacono essaie, tant bien que mal, de comprendre et de recoller les morceaux de sa famille fracturée. Il nous raconte.
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A 86 ans, Christian Iacono est un homme marqué par le drame qui morcèle sa vie depuis plus de 20 ans. En 2000, cet ancien radiologue est maire de Vence, dans les Alpes-Maritimes, où il vit avec sa femme, lorsque son quotidien bascule. Son petit-fils, Gabriel, âgé de 10 ans, l’accuse de viol. Il raconte que son grand-père aurait abusé de lui à plusieurs reprises, dans la salle-de-bains de leur domicile de Vence, lorsqu’il rendait visite à ses grands-parents pendant les vacances.

La machine judiciaire infernale s’enclenche. Christian Iacono est placé en garde à vue, puis mis en examen. Les médecins ont décelé des fissures anales chez le jeune garçon : il n’en faut pas plus pour accuser le vieil homme.  En quelques mois, Christian Iacono perd tout. Il tente, pourtant, de se battre et de prouver son innocence, mais en vain.

Le terrible mensonge qui a déchiré toute une famille

La procédure est lente et douloureuse. Au terme de plusieurs renvois, le maire de Vence comparait devant les assises des Alpes-Maritimes en 2009. A la barre, son petit-fils, désormais adolescent, réitère ses accusations. Le grand-père est condamné à 9 ans de prison. Malgré l’appel, la peine sera confirmée, et Christian Iacono sera déféré à la prison de Grasse. Il craint alors d’y rester jusqu’au bout. Mais quelques mois plus tard, pétri de remords, son petit-fils se rétracte soudainement. Tout ceci n’était qu’un mensonge, plus ou moins soufflé par son propre père, qui ne s’entendait pas avec Christian.  

En 2014, l’ancien maire obtient l’annulation de sa condamnation. Il tente, depuis, de reprendre une vie « normale », et de reconstruire le lien avec son petit-fils. Mais la blessure est profonde. Il nous raconte.

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Quelle était votre relation avec votre petit fils Gabriel avant ces accusations ?

Christian Iacono : Tout a commencé en réalité avec la relation avec mon fils, le père de Gabriel. Pour des raisons que j’ignore et que je cherche encore à comprendre, il avait une détestation de son père qu’il ne m’a jamais expliqué. Comme moi, il est devenu médecin, mais il s’est rapidement installé à Reims, comme pour me fuir. Il a gâché sa vie à me détester sans jamais me dire pourquoi.

Et puis, en 1991, Gabriel est né. Pour moi comme pour les autres, ce petit-fils était très attendu, on a cru que tout allait s’arranger avec l’arrivée de cet enfant. Je suis allé le voir à la maternité, et c’était un enfant adorable, auquel nous sommes attachés très vite avec ma femme.  Mais on voyait que son père le traitait très sévèrement, il avait des punitions qui nous faisaient mal au cœur. La famille vivait à Reims, mais on gardait souvent Gabriel pendant quelques jours chez à Vence.

Quand il rentrait chez ses parents, ils nous reprochaient tout un tas de choses sur son séjour. Pourtant, tout se passait bien quand il était avec nous. A 4 ou 5 ans, déjà, il était sensible à ma position de maire, pour lui j’étais un peu le chef cow-boy du village, on saluait les policiers ensemble, il était fier et il en parlait à ses copains. Peut-être que ça n’a pas plus à son père...

Un jour, mon fils me dit « vous ne le verrez plus ». On s’est alors battus avec un avocat pour conserver tout de même un droit de visite. On a obtenu au bout d’un an et demi la possibilité de le recevoir une semaine par an et de lui téléphoner.  On faisait ce qu’on pouvait pour le voir le plus possible.

A 7 ans, il nous a annoncé le divorce de ses parents, et il était très marqué par cette séparation. Deux mois après que le divorce ait été prononcé, cette plainte a été déposée auprès d’une association.

Je pense que Gabriel était pris dans un conflit de loyauté impossible. Il était heureux quand il venait chez nous, mais quand il rentrait chez son père il entendait tout un tas de chose sur son grand-père. Ce qui dû se passer, c’est qu’il a voulu prendre le parti de son père pour se rapprocher de lui à ce moment critique, car sa mère malheureusement était malade et n’était pas très présente.

Christian Iacono, accusé à tort de viol par son petit-fils : « Le ciel vous tombe sur la tête »

Comment apprenez-vous ces accusations en juillet 2000 ?

Christian Iacono : Je m’en souviens encore, heure par heure, de ce week-end où tout a basculé. J’avais décidé de partir à Evian pour me reposer un peu, car la période était très chargée pour la municipalité. Sur place, je reçois un coup de fil de mon secrétariat, qui m’informe qu’un policier veut me voir. Sur le moment, je me dis que ça n’est rien de grave et je lui donne rendez-vous le lundi matin. Mon ami, qui était avec moi, s’inquiète, et je me souviens lui avoir répondu « tu es parano ! ».

Le lundi 9 juillet 2000, je me rends comme à mon habitude à la mairie, à 9h. Devant mon bureau, deux ou trois hommes en tenue civile font le pied de grue. Je les accueille dans mon bureau, et là, ils me disent :« il y a quelque chose de grave. Vous avez une plainte de votre petit-fils pour viol. »

Quelle est votre réaction à ce moment-là ?

C’est véritablement le ciel qui vous tombe sur la tête. Ma femme, ma fille et moi on a eu la même pensée, de se dire « ils n’en sont quand même pas arrivés là ». J’avais déjà quelques courriers très violents et menaçants de mon fils, où il me disait « je n’hésiterai pas à utiliser l’enfant ».

Mais je pensais que l’enquête allait vite conclure à un non-lieu, car je n’avais rien fait. Ce ne fut pas le cas. J’ai été emmené au poste puis mis en examen et placé en détention provisoire. Et puis, tout de suite, je n’ai plus eu le droit d’entrer en contact avec mon petit-fils, de lui téléphoner ou de lui demander pourquoi il avait dit ça…

Et puis, il n’y a eu aucune présomption d’innocence. Et quand vous êtes maire d’une ville, les nouvelles vont très vite. Le lendemain de mon arrestation, l’affaire faisait la une de Nice matin, les gens commençaient déjà à dire « il n’y a pas de fumée sans feu » … C’était très difficile. Heureusement, beaucoup de gens de ma ville qui me connaissaient bien m’ont rapidement apporté leur soutien.

Christian Iacono, accusé à tort de viol par son petit-fils : « Gabriel a utilisé son imagination »

Quels étaient les éléments qui ont poussé la justice à vous mettre en examen ?

Christian Iacono : Le fait est que beaucoup de policiers n’ont pas l’habitude d’interroger des enfants. Et on a posé des questions fermées à Gabriel, qui a utilisé son imagination pour répondre. Des questions d’une grande crudité, par exemple « est-ce qu’il t’a fait mal ? » Evidemment, l’enfant répond oui.

Et puis, un peu plus tard, il a même dit « Papi n’était pas tout seul, quelqu’un lui a montré comment faire », ce qui est délirant, mais il pensait surement que la responsabilité n’allait pas m’incomber complètement, il devait déjà se sentir coupable.

Et puis, il y a eu ce rapport du médecin qui a fait état de deux fissures anales. En réalité, une contre-expertise l’a prouvé, il n’y avait rien. L’examen avait été mal réalisé et mal interprété, les médecins n’étaient, là aussi, pas du tout habitués à ce genre de cas.

La procédure a duré près de 10 ans. En 2011 vous avez été condamné à 9 ans de prison en appel...

Le monde s’est écroulé à nouveau. Lorsque je suis arrivé en prison, j’étais effondré.

Le deuxième jour, j’ai fait la connaissance d’un autre détenu, qui m’a demandé : qu’est-ce que t’as fait ? J’ai dit la vérité. Il m’a écouté parler pendant plusieurs minutes et puis il m’a regardé et m’a dit : je vais te dire, moi je sais que tu es innocent. Sur le moment, ça m’a fait un bien immense. Les policiers et les enquêteurs qui ont des titres, des diplômes pensent tout savoir et le petit gars de la prison, lui, me croit !

Christian Iacono, accusé à tort de viol par son petit-fils : « Je n’ai pas hésité à lui pardonner »

Vous avez passé, en tout, 16 mois en prison avant que votre petit-fils ne se rétracte. Aviez-vous cet espoir ?

Christian Iacono : J’avais encore un peu d’espoir malgré mes condamnations en première instance et en appel. Tout ceci a duré 14 ans, et c’est ça qui m’a tué. J’ai dû démissionner de la vie municipale…

Tous les jours, j’écrivais une petite lettre à mon petit-fils, que je ne lui envoyais jamais, bien sûr, je n’avais pas le droit.

Et puis, lorsqu’il a eu 18 ans, il a eu une petite-amie très sérieuse et ils ont eu un enfant. Il a repris contact avec une cousine ainsi qu’avec ma fille. Mais il a mis du temps à se rétracter, il avait la hantise des réactions de son père, de la famille, et des miennes probablement.

Dès ce moment-là, pour moi, Gabriel s’est débarrassé d’un poids énorme. Il a même ensuite entamé une grève de la faim pour que l’on me libère de prison.

Aujourd’hui, comment allez-vous ? Quelles sont vos relations avec lui ?

J’essaie de me changer les idées, je vis ma retraite, je m’occupe. Mais c’est le genre de chose qui ne s’efface jamais complètement. On dit qu’on tourne la page mais cela laisse des blessures, ma situation professionnelle, municipale et familiale a été complètement chamboulée. Cela m’a marqué et continuera de me marquer jusqu’à la fin de mes jours.

Ce dont je rêvais, c’est que l’on puisse reconnaître mon innocence, mais aussi se réunir à nouveau et dire là où ça a pêché, comment un telle erreur a-t-elle été possible. Pour l’instant, ça n’a pas été possible.

Quant à Gabriel, je n’ai pas eu d’hésitation à le pardonner. On est en contact, on le suit comme des grands-parents. Il peut désormais envisager un vie, il s’est pris de passion pour le cinéma et a même travaillé en tant qu’accessoiriste surf le téléfilm qui a été réalisé sur l’affaire (Le Mensonge, diffusé sur France 2 en 2020). On essaie encore de recoudre les liens familiaux, on veut qu’il aille dans la bonne direction. Mais ça n’est pas encore tout à fait le cas. Il a été très marqué par le mensonge, et il n’a pas grandi de la meilleure façon qu’il soit.

Gabriel Iacono a raconté son histoire dans Le Mensonge, paru aux éditions Sudarenes.