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Attaque au couteau lycée Nantes© Girard Thomas/Abacaabacapress
La mortelle attaque au couteau perpétrée par Justin P. dans son lycée jeudi 24 avril à Nantes relève-t-elle du fait divers ou du fait de société comme l'affirmait quelques heures plus tard le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau ? La psychologue clinicienne Johanna Rozenblum nous donne son sentiment et tente d'esquisser un profil de l'adolescent de 16 ans.
Sommaire

Les jours passant, nous en avons appris un peu plus sur Justin P., 16 ans, auteur de l'attaque au couteau survenue le jeudi 24 avril dans l'enceinte du lycée Notre-Dame de Toutes-Aides, à Nantes. Une jeune fille de 15 ans, Lorène, est décédée "devant sa classe" a déclaré le procureur de la ville, massacrée d'après l'autopsie de "57 coups de couteau."  Nous vous épargnons les autres détails donnés lors de cette conférence de presse tant ils sont atroces. Trois autres garçons ont subi la fureur de l'adolescent, dont l'un, placé en réanimation, n'est plus en danger de mort à l'heure actuelle. 

Peut-on conclure à "un fait de société" comme Bruno Retailleau ?

Arrivé sur place, le ministre de l'Intérieur Bruno Retailleau a quelques heures plus tard, dans une tirade faite devant les journalistes, glosé l'ensauvagement de la société, la perte d'autorité et autres travers actuels de notre pays, et parlé de "fait de société." Mais est-ce bien le cas comme nous posions la question le lendemain ? Car plus les informations nous parvenaient sur le profil très inquiétant du jeune homme, plus le doute était permis (le ministre a, d'ailleurs dans la soirée, nuancé ses propos, évoquant un "fait isolé") . Aussi, nous avons demandé à Johanna Rozenblum, psychologue clinicienne, auteure et consultante santé pour BFM TV, une première analyse de ce profil.

Planet.fr : Bruno Retailleau a d'emblée évoqué cette attaque comme un "fait de société" plutôt qu'un "fait divers." Or, les attaques de ce type arrivent fréquemment dans certains pays sans notion de règlement de compte entre bandes par exemple, comme c'est devenu trop souvent le cas chez nous. Qu'en pensez-vous ?

Johanna Rozenblum : C'est mon angle depuis le début. Je vais aller plus loin : ce n'est ni un fait de société, ni un fait divers. Cela ne ressort pas non plus de la responsabilité des réseaux sociaux.  C'est un ensemble de facteurs. La maladie mentale existe depuis toujours, dans toutes les générations. C'est quelque chose qu'il faut accepter même si c'est difficile.

Comment définir un mobile pour un tel acte barbare ?

Planet.fr : Un "mobile" pour ce passage à l'acte semble donc difficile à établir ?

Johanna Rozenblum : On nous parle toujours de mobile, comme s'il y avait un "mobile juridique" à un passage à l'acte. On essaye tantôt de parler des addictions, de parents défaillants ou encore une fois des réseaux sociaux et même du Covid. C'est peut-être un petit peu de tout ça.  Tout son parcours (celui de Justin P., ndlr) sera étudié par les experts psychiatres et autres médecins qui pourront  s'adresser à lui et mener des examens cliniques directement avec lui.

Planet.fr : Justement, comment peuvent se passer ces entretiens ?

Johanna Rozenblum : Ils permettront d'une part d'établir son "anamnèse". L'anamnèse retrace le parcours de santé d'un patient. Est-ce que c'était un enfant qui était intolérant à la frustration, dépressif, est-ce qu'il a été exposé à des traumas, a-t-il commencé à consommer des substance neurotoxiques, est-ce qu'il a été impacté par la séparation de ses parents, est-ce qu'il a connu des violences, est-ce qu'il suivait des traitement qu'il ne prenait plus... Tout ça pourra donner du sens à son passage à l'acte, mais ce qu'il faut bien comprendre, c'est que la maladie mentale existe comme la maladie somatique. 

Planet.fr : Qu'est-ce que cela veut dire d'un point de vue médical ?

Johanna Rozenblum : Ce qui est perturbant c'est que lorsque l'on a une maladie somatique, c'est-à-dire physique, on fait des examens médicaux. On fait une radio, un IRM, on détecte une tumeur et on comprend que la personne est malade et qu'il y aura tout un tas de symptômes et de comorbidités qui iront avec sa pathologie. Le problème de la santé mentale c'est qu'on est très mauvais en prévention. On a du mal à prévenir l'évolution de certains symptômes, des potentielles décompensations qui peuvent conduire à des passages à l'acte. On a du mal aussi à bien faire observer les traitements. En psychiatrie et en psychologie les suivis sont plus difficiles. C'est plus "tabou" pour le patient qu'une maladie physique. Il faut savoir également que l'enfance et l'adolescence sont des angles morts de la santé mentale.

Une perte de repère due à l'âge ou un délire psychotique ?

Planet.fr : Avant son passage à l'acte, Justin a de différentes manières exprimé des pensées nazies (jusqu'à dessiner des portraits d'Hitler), djihadistes, écologistes, anarchistes. N'est-ce pas le signe d'un adolescent qui ne sait pas où il en est ?

Johanna Rozenblum : Ça peut. À l'adolescence, on est très perméable, très suggestif et très impulsif. C'est très facile de se faire endoctriner à cet âge, car l'esprit critique n'est pas encore bien construit et parfois quand on manque de repères, familiaux par exemple, on va en chercher ailleurs. Mais ses pensées ressemblent aussi à des symptômes délirants : des délires apocalyptiques, des délires de persécution, des délires paranoïaques... Qu'on peut retrouver dans l'apparition de troubles psychotiques comme par exemple la schizophrénie.

Planet.fr : Difficile en somme de spéculer sans l'avoir rencontré ?

Johanna Rozenblum : Moi je ne peux pas du tout faire de diagnostic en effet. Mais ce sont aussi des âges, 16, 17, 18 ans, où peuvent apparaître les premiers symptômes ou les premières décompensations majeures d'entrée dans la psychiatrie. C'est peut-être un jeune qui était au départ dépressif avec des idées suicidaires. Tout cela mêlé à une fragilité psychique et à d'autres contrariétés comme une humiliation, un abandon du père - c'est toujours plurifactoriel - peut conduire à une décompensation.

Planet.fr : Le passage à l'acte en lui-même fait penser à un acte délirant.

Johanna Rozenblum : En tout cas, il y eu comme un rituel sacrificiel puisqu'il est allé à l'école, a fait son repérage, il s'est rendu aux toilettes, il s'est changé, il s'est même scarifié le front.  L'entretien clinique sera donc essentiel, déjà pour voir si son jugement est complétement aboli ou altéré, et on pourra voir si son discours est apocalyptique, empreint d'hallucinations qui pourraient selon lui expliquer ou justifier son passage à l'acte . On serait alors clairement dans la pathologie psychiatrique. Qu'il faudra accepter. Ce n'est ni un portique de sécurité ni le fait de fouiller des sacs qui permettront de prévenir ce genre d'affaires.

La prévention : une solution suffisante ?

Planet.fr : Il faut une prévention de la maladie mentale en amont ?

Johanna Rozenblum : Oui. Un psychologue sur le terrain, des infirmiers à l'école, des places en CMPP (centres médico-psychologiques), du soutien pour les parents, des éducateurs spécialisés, des assistantes sociales... Cela permettrait d'encadrer nos jeunes et de pouvoir repérer les premiers symptômes d'entrée dans la maladie.

Planet.fr : Mais il était justement passé sous les radars, jusqu'à cette fameuse convocation par le proviseur pour des dessins à caractère nazi.

Johanna Rozenblum : De toute façon ce passage à l'acte, c'est un échec de la société, de la prise en charge des adultes. Les jeunes sont le symptôme de ce que nous sommes, nous, adultes, de ce que nous offrons ou pas, de nos carences d'éducation, de protection de l'enfance. Nous avons un énorme travail d'introspection à faire.  Si on avait pu davantage s'inquiéter, davantage repérer, peut-être travailler en mode pluridisciplinaire en équipe. Si un directeur peut s'adresser à des services sociaux, qui eux-même peuvent s'adresser à des psychologues pour voir en urgence un adolescent, on pourrait peut-être échapper à ce genre de drame. Mais la psychiatrie est le parent pauvre de la médecine, encore plus la pédopsychiatrie.

Planet.fr : Paradoxalement, il aurait laissé un message annonciateur à des camarades sur un réseau social leur souhaitant "le meilleur", mais s'en est finalement pris à cette jeune fille, qui était sa seule connaissance "proche" au lycée. Que faut-il y voir ?

Johanna Rozenblum : Ce ne seraient que des suppositions. Ce sont les échanges avec les médecins qui expliqueront ou pas son intention de s'attaquer à la seule personne avec qui il avait un lien ; ce lien avait-il été rompu, est-ce qu'il s'est senti humilié, rejeté ? Est-ce son délire paranoïaque qui lui ordonnait un risque sacrificiel. Pour l'instant, on ne peut pas savoir.