Face à la montée des cyberattaques, le FBI et la CISA recommandent d’arrêter d’envoyer des SMS entre utilisateurs d'iPhone et d'Android. Un conseil qui ne vise pas seulement les Américains mais tous les...
"On a fait une croix sur les vêtements neufs pour les gamins, on récupère tout de la famille", explique, dans les colonnes du Parisien, un père qui se sent désormais déclassé. "Pour les courses, c’est essentiellement chez Lidl ou alors des marques distributeurs" poursuit-il. Comme tant d’autres Français, il constate une réduction de son pouvoir d’achat. Certains assurent "ne plus vivre aussi bien qu’avant", alors même qu’ils bénéficient d’un revenu de 4 000 euros net par mois, note le quotidien.
Ces ménages qui sont désormais contraints de se serrer la ceinture, on les appelle les "décrocheurs", indique La Dépêche. Et, à en croire une récente étude de l’institut Ifop, leur nombre serait plus que croissant. En effet, entre 2008 et 2019, le nombre de Françaises et de Français déclarant appartenir à la classe moyenne est passé de 70 à 58%. Celles et ceux qui s’estiment "modestes" sont en revanche passés de 23 à 38%. "Les dépenses contraintes, logement en tête, n’ayant cessé de progresser, le reste à vivre est de plus en plus restreint", analyse pour Aujourd’hui en France la sociologue Pascale Hébel du Crédoc.
Mais à quoi correspond concrètement cette classe moyenne dont plus de la moitié des Français se revendiquent encore ? Existe-t-elle réellement, d’un point de vue sociologique ou économique ? Le sujet fait débat, à en croire Libération pour qui "le concept n’est pas clairement défini".
La classe moyenne existe-t-elle réellement ?
"Sur le plan purement économique, il est possible de définir la classe moyenne selon des seuils monétaires. Un célibataire gagnant environ 1245 euros mensuels sera considéré par l’Observatoire des inégalités comme précaire. S’il touche entre 1245 et 2445 environ, il appartiendra en revanche à ce groupe social qu’on désigne comme moyen", explique pour Planet Frédéric Farah, économiste affilié au PHARE, enseignant-chercheur à l’université Panthéon-Sorbonne et généralement rangé à gauche. "C’est un peu le groupe social qui n’est plus populaire, mais pas encore supérieur. Mais une fois que l’on a dit ça, on a rien dit", poursuit-il.
À l’inverse, s’il fallait se pencher sur l’aspect sociologique uniquement, le chercheur envisage une autre définition : "La classe moyenne n’est pas uniforme. Elle est composée d’un volet dit ‘supérieur’, qui représente une partie des cadres, d’un autre dit ‘intermédiaire’ où l’on retrouve les professions intermédiaires et enfin d’une branche ‘inférieure’, alimentée par une partie des employés", détaille l’enseignant. "Elle est donc à cheval sur 3 CSP déjà bien renseignées."
Des définitions partielles et dont il ne faut pas oublier le caractère très mouvant, insiste-t-il. "La classe moyenne d’hier n’a rien à voir avec celle d’aujourd’hui, parce que le processus de moyennisation ne fonctionne plus de la même façon… Si tant est qu’il fonctionne encore de nos jours", assène en effet le professeur. "Aujourd’hui, d’un point de vue objectif, la réalité économique et sociologique de cette classe est sujette à caution", estime-t-il.
Ce qui ne signifie pas pour autant que tous les ménages qui déclarent en faire partie soient nécessairement dans le faux. "Il faut bien comprendre que, en sociologie, l’appartenance objective pèse moins que l’identification personnelle. C’est bien ce sentiment d’appartenance que l’on prend pour référence et qui peut suffire à créer une cohésion de classe", souligne l’économiste.
Classe moyenne : quand a-t-elle disparue ?
"La classe moyenne n’existe plus", affirmait déjà en octobre 2018 le géographe controversé Christophe Guilluy (supposément conspué par la gauche, qui lui reproche un manque de rigueur scientifique, d’après... la droite, comme s’en émeut Le Figaro), rapporte la célèbre Revue des Deux Mondes, impliquée dans le Penelopegate. Preuve, s’il en faut, que les inquiétudes relatives au déclassement d’une partie de la population ne concernent pas qu’un pan du spectre politique, quoiqu’elle ne soient pas nécessairement motivées pour les mêmes raisons.
Pour l’économiste Frédéric Farah, qui s’alarme aussi de la fin du processus de moyennisation en France, les choses ont changé dans les années 1980. "L’émergence de la classe moyenne accompagne le développement du salariat, après les deux guerres mondiales. L’Etat providence a permis la création de nouvelles catégories sociales, elles-mêmes intermédiaires. Je parle des professeurs, mais aussi des infirmiers par exemple, qui ont nourri cette classe moyenne naissante dans les années 1950", souligne l’enseignant-chercheur. "N’oublions pas que pour de nombreuses familles de l’époque, un enfant qui devenait instituteur représentait une réelle promotion sociale", ajoute-t-il.
Mécaniquement, la construction d’une classe intermédiaire contribue à sortir de la polarisation traditionnelle entre bourgeois et ouvrier, capital et travail juge l’économiste. "À l’époque, les inégalités diminuaient, ce qui n’empêchait pas certains acteurs sociaux de tenir un discours très classiste. Depuis les années 1980, en revanche, on constate un retour en force de ces mêmes inégalités, qui s’accroissent. En revanche, le discours classiste a fini par disparaître. C’est la revanche d’Emile Durkheim sur Karl Marx", estime le chercheur. Une situation qui, selon lui, n’est pas nécessairement profitable à tous les pans de la population française...
Moyennisation de la population : la lutte des classes a-t-elle disparue ?
"Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner", affirmait sans ambages Warren Buffett au micro de CNN. À l’époque, rappelle le journal L’Humanité, il avait déjà occupé le confortable fauteuil d’homme le plus riche du monde. En 2018, 13 ans après cette déclaration, sa fortune s’élevait à 88 milliards de dollars, faisant de lui la troisième personnalité la plus nantie de la planète, note Business Insider. Il a depuis été dépassé par Bernard Arnault.
"La notion de classe moyenne, omniprésente dans les discours tenus par la presse ou les pouvoir politique, contribue à masquer le conflit et à endormir les populations dominées. Depuis maintenant quarante ans, toute réflexion sur les classes sociales et tout discours classiste a disparu et c’est l’un des éléments qui rend possible la victoire du capital sur le travail", prévient pour sa part Frédéric Farah. "A certains égards, cette notion de classe moyenne vise à défendre les intérêts des plus puissants : c’est elle qui permet de présenter la France comme une société globalement pacifiée, aujourd’hui devenue consensuelle. La vérité, c’est que notre monde reste très conflictuel mais, en France au moins, les classes populaires sont très dispersées. Elles n’ont plus de relais et, parfois, n’ont pas conscience de leurs propres intérêts", déplore le chercheur affilié au PHARE, qui fait notamment référence aux travaux des sociologues Monique et Michel Pinçon-Charlot.
"Aujourd’hui, la victoire du capital est totale, et cela ne signifie pas seulement que le partage des richesses lui est favorable. Cela veut dire aussi que c’est lui qui produit le discours aujourd’hui relayé par les pouvoirs médiatiques et politiques. Dénoncer la dépense sociale, qui reste le seul capital de celles et ceux qui n’ont rien, c’est de fait un discours de classe. Et cela contribue forcément à appauvrir la classe populaire, au profit d’un groupe qui prône l’individualisme mais joue collectif", s’indigne encore l’enseignant à l’université Panthéon-Assas.
Précarisation et lutte des classes : faut-il craindre la moyennisation de la France ?
Est-ce à dire que le processus de moyennisation en soi est lui aussi un écran de fumée, dangereux pour les classes populaires ? Non. Pas d’après Frédéric Farah, pour qui l’avènement d’une classe "moyenne" dans les années 1950 a profité notamment aux plus démunis. "J’aime beaucoup reprendre la métaphore de l’escalier mécanique telle que décrite par l’économiste Alain Lipietz : après la guerre, la moyennisation était à l’image d’un escalator. Elle tirait tout le monde vers le haut, quand bien-même certains demeuraient sur les marches les plus basses", estime l’enseignant.
Il est difficile de nier, de fait, que la moyennisation a permis l’enrichissement d’une part non négligeable des ménages. "La plupart d’entre eux sont désormais bien équipés en électroménager, beaucoup sont mêmes propriétaires de leur logement… Tout ceci est à mettre au crédit de l’émergence d’une classe moyenne, rendue possible par l'État social", détaille le chercheur.
Pourtant, on assiste aujourd’hui à un développement certain du sentiment de pauvreté, comme en témoigne l’étude de l’Ifop. "La France est plus riche aujourd’hui qu’elle ne l’était il y a quarante ans, mais pour les populations modestes dont le niveau de vie stagne, le spectre de la précarisation n’est pas loin. Parce que ce processus de moyennisation a connu un véritable frein, les inégalités progressent de nouveau", alerte encore Frédéric Farah. Et l’économiste de conclure : "C’est d’ailleurs clairement illustré par la fiscalité française : dans l’Hexagone, ce qui rapporte le plus à l'État n’est pas l’impôt sur le revenu, qui vient pourtant corriger les inégalités. C’est la CSG et la TVA qui touchent indistinctement les populations. Et donc frappent plus durement les plus pauvres".