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L'école de la République sombre-t-elle dans un délabrement irréversible ? Patrimoines scolaires à l'abandon, violences, enseignants malmenés et démotivés, tous les voyants sont au rouge. Un état des lieux inquiétant…

Après les attentats de Paris, la classe politique tournait naïvement son regard vers l’école publique, l’investissant du devoir sacré de transmettre les valeurs de la République à une jeunesse en perte de repère. L’Éducation nationale a-t-elle la capacité ou seulement le désir de remplir ce sacerdoce ?

Jusqu’au milieu des années 1980, la France était réputée posséder le meilleur système d’éducation au monde. Puis elle décrochait du premier rang occupé pour chuter en 15ème position en 2000 (Classement PISA de l’OCDE). Douze ans plus tard la dégringolade continuait, occupant la 25ème position, derrière la Slovénie, le Danemark et la République Tchèque. La note française attendue en 2015 s’annonce minable, avec une probable relégation entre la 30ème et la 36ème place du classement. Comment en est-on arrivé là ?

La qualité des élèves découle de la qualité de l’enseignement, c’est-à-dire de la compétence et de la motivation du corps enseignement pour transmettre un savoir en même temps que les codes de la vie en société. Or depuis les trente dernières années nous assistons à double phénomène : l’indigence du recrutement qui sombre dans la médiocrité, l’abandon de nos enseignants à des conditions matérielles, psychologiques et de sécurité qui décourage les vocations.

La liste des établissements en attente de travaux de rénovation ou de réparation d’urgence ne finit pas de s’allonger, touchant aujourd’hui 80% des collèges et lycées et leur imposant des délais toujours plus longs avant une intervention. Des incendies dont les stigmates restent visibles durant des années, des plafonds moisies qui tombent en miettes sur la tête des élèves, des ordinateurs hors d’usage qu’on ne prend même plus la peine remplacer, les fuites récurrentes d’eau et de gaz dans les canalisations… Voici le décor quotidien de notre éducation nationale. La cause de ce délabrement est imputable autant au vandalisme qu’au vieillissement et aux insuffisances d’entretiens des bâtiments.Sanctuariser l’école c’est d’abord la réparer et la sécuriser

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Dans de nombreux collèges, les salles de permanence n’existent plus. La suppression des heures de colle les aurait rendues inutiles. Entre deux heures de cours, les élèves sont réduits à traîner dans les couloirs, vaquer sur les terrains ou le bitume jouxtant les bâtiments, ou investir certains lieux discrets, vite transformés en fumoir de substances illicites.À Pornic (Loire-Atlantique), le lycée du pays de Retz a été évacué. L’ancien bâtiment trop dégradé est laissé à l’abandon, vitres cassées, portes éventrées, fils électriques dénudés, obligeant élèves et enseignants à se réfugier dans des préfabriqués tandis que les squatters ont investit les lieux (Cf. photo ci-dessus). Faute d’avoir été rénové à temps, la collectivité publique envisage de raser ce patrimoine immobilier et de vendre le terrain. Des spéculateurs ont flairé la bonne affaire. Sur les décombres de notre éducation nationale, les vautours sont déjà en embuscade… À Hyères (Var), les inondations successives dans le quartier bordant les rives du Gapeau ont ravagé le lycée professionnel, ses salles de classes, ses ateliers, ses cuisines et ses dortoirs. Là encore, la seule alternative proposée est le déménagement. On pourrait multiplier ces exemples illustrant ces images dévastées des conditions matérielles de nos écoles. Certes le vandalisme s’ajoute aux dégradations du temps. Mais comment exiger des élèves qu’ils respectent un lieu qui, dès la rentrée la scolaire, leur donnera le sentiment nauséeux d’être parqué dans une poubelle.

Les gouvernements successifs prétendent sanctuariser l’école, non avec des moyens, mais en barbouillant des lois. Quel sanctuaire pour le lycée Jean Zay d’Aulnay-sous-bois (93) en proie aux d’intrusions hostiles ? La grille de son terrain est régulièrement découpée à la pince, permettant à des individus de s’introduire pour racketter les élèves. Une école ouverte sur l’extérieur, c’est d’abord une école ouverte sur toutes les agressions.Pouvoir abusif et partial du “parent d’élève“

Dans ces friches à l’abandon, la violence s’invite toujours en premier. La majorité des élèves y pénètre la peur au ventre, tandis qu’une minorité comprend qu’elle peut y faire sa loi. Les petits caïds s’imposent d’abord en intimidant leurs camarades, mais découvrent très vite qu’ils peuvent aussi “dresser“ leurs profs.

"Un élève a brisé une vitre pour en blesser un autre au visage. Je ne l’ai pas expulsé. C’est lui qui m’a expulsé de ma classe, car j’ai dû prendre la fuite.." confie un enseignant du lycée Chérioux de Vitry-sur-seine (94). Et son collègue d’ajouter : "Mes cours de plomberie finissent parfois en bagarres à coups de chalumeau". Les agressions verbales ou physiques sont le lot quotidien des profs, agressions des élèves mais aussi des parents d’élèves. Si chaque fois qu’un prof subissait une agression tout le corps enseignant exerçait son droit de retrait (à l’instar des conducteurs RATP), il n’y aura plus un seul jour de classe pour toute l’année scolaire dans notre pays.

Cette situation résulte de plusieurs décennies de circulaires ministérielles qui ont grignoté, pan après pan, l’autorité professorale. Au chaud et à l’abri dans leur ministère, les idéologues de la pédagogie n’ont pas seulement confisqué aux enseignants le droit de punir, ils leur ont aussi ôté celui de se défendre pour préserver leur peau. Malheur à celui qui se rebiffe, il sera rarement soutenu par son chef d’établissement ou l’inspecteur académique. Car l’un et l’autre craignent le pouvoir exorbitant accordé aux parents d’élèves par ces mêmes circulaires. Les parents imposés dans les conseils de classe, les conseils d’administration d’établissement et les conseils de discipline, ont totalement perverti le système. En matière de pédagogie comme de discipline, l'immixtion du parent s’exercera souvent pour défendre la parole de sa propre progéniture. Un réflexe humain, mais dont le résultat est désastreux pour l’autorité et la crédibilité des enseignants.La légende du prof toujours en vacances

Toujours sur le qui-vive, l’enseignant préfère la police à sa hiérarchie pour garantir sa protection. Aujourd’hui, rares sont les parents, les politiciens ou les médias qui osent encore glorifier « le plus beau métier du monde ». Ce serait un comble d’hypocrisie, tant la capitulation morale de la société et l’avarice de l’État a plongé dans l’indigence et l’insécurité les 700.000 hommes et femmes en charge de l’avenir de notre pays. Ces dernières années, ils ont payé au prix fort leur sécurité de l’emploi. Comme d’autres fonctionnaires, ils ont été sacrifiés sur l’autel de la réduction de la dette, avec une augmentation indiciaire de 1,5% entre 2007 et 2010, puis plus rien jusqu’en 2015. Selon les syndicats, les enseignants de catégorie A auraient perdu en quinze ans entre 2760 et 3350 euros par an sur leur pouvoir d’achat.

Le cliché du prof toujours en congé et ne travaillant qu’une poignée d’heures par semaine est en train de rejoindre l’armoire aux vieilles légendes. Au fil des réformes du calendrier des vacances scolaires, celles des enseignants ont été chaque fois grignotées, notamment sur les congés d’été. Des obligations administratives ou pédagogiques ont également réduit les congés d’hiver et du printemps.

Certes le nombre hebdomadaire de cours reste officiellement inchangé selon le titre de l’enseignant. Un nombre d’heures qui n’a jamais pris en compte les temps de préparations des cours, de corrections des copies, de participation aux réunions pédagogiques, aux conseils de classes, ainsi qu’aux conseils de discipline (de plus en plus fréquents) se déroulant généralement le soir jusqu’à 21 heures et plus. Au final, c’est en moyenne un tiers d’heures de travail supplémentaire dont on ne parle jamais. Des profs payés en tickets restaurant

Pour les professeurs des collèges et lycées professionnels, la part consacrée à l’enseignement est devenue la portion congrue d’un emploi du temps désormais capté par d’autres besognes : remplir des piles de fiches d’évaluation, accomplir des tâches jadis confiées aux personnels administratifs, encadrer les stages de leurs élèves en alternance en se déplaçant sur les lieux de travail des stagiaires. À cela s’ajoute les heures supplémentaires, dites : "dans l’intérêt de l’établissement", payées 24 euros sauf si elles entrent dans le cadre des heures supplémentaires non payées. Un décret de 1950 fixait un maximum de 18 heures non payées par an et par enseignant. Cette limite a été abrogé par le décret Peillon-Hamon. Désormais, le chef d’établissement pourra exiger autant d’heures nécessaires à ses besoins et les rémunérer, ou non, selon son humeur et sa dotation budgétaire.Pour le moment, les laborieux peuvent encore gratter un peu, en sacrifiant leurs vacances de juillet, grâce aux épreuves de fin de cycle. Les corrections du BEP ou CAP sont “royalement rétribuées“ 75 centimes par copie. Avec les oraux du BAC, ils touchent un pourboire de 9,6 euros bruts de l’heure pour les épreuves obligatoires, 7,2 euros pour les facultatives. Ces bonus tardent toujours un bon moment avant de tomber sur la fiche de paie. Et bien heureux les titulaires, car les stagiaires ou les contractuels n’auront jamais cette certitude. C’est l’angoisse bien connue des nouveaux arrivants à l’éducation nationale qui attendent plusieurs mois le versement du premier salaire. L’an dernier, des professeurs stagiaires n’avaient rien perçu depuis la rentrée. Afin de patienter, le ministère leur proposa de les payer en tickets restaurant. À quand un bol de riz pour tout salaire ? Une profession en voie de clochardisation peut-elle encore porter les espoirs d’un pays et de sa jeunesse ?La pêche aux profs sur "Le Bon Coin.fr"

Il ne faut pas s’étonner de voir les diplômés de l’enseignement supérieur fuir ce métier comme la peste. Il se dessine en France une carte des déserts éducatifs comparables aux déserts médicaux des régions rurales. À ceci près que les zones déficitaires sont les plus fortes concentrations urbaines, où le besoin d’éducation est forcément le plus important. Le ministère multiplie les acrobaties pour pourvoir des postes dont personne ne veut. Au final, il parvient encore à combler les trous du gruyère, mais en retenant des dossiers effarants et des lettres de motivation truffées de fautes d’orthographe.

La Seine-Saint-Denis doit accueillir 2000 élèves supplémentaires par an. Pour ce département le plus impacté par la violence et la dégradation des conditions de travail, le ministère met en œuvre un plan de crise afin d’attirer les kamikazes et s’interdit de faire la fine bouche. Le concours, qui se tiendra les 19 et 20 mai prochains, ne propose pas moins de 1540 postes à pourvoir d’urgence, dont 500 postes au “concours supplémentaire“. Reste à trouver les candidats… Najat Vallaud-Belkacem espère repêcher les recalés des autres Académies. Mais dans l’urgence, on ratisse au plus large. Il ne faut plus s’étonner de voir Pôle Emploi éplucher ses listes à la recherche de chômeurs volontaires. Par trois fois, un ancien consultant RH a été démarché par téléphone pour assurer la classe du jour au lendemain. Il a accepté, puis reconnu son erreur : "C’est insultant et maltraitant car on n’est pas véritablement des profs. On est là pour de faux."Pour mettre “n’importe qui“ devant les élèves“, les chefs d’établissements retroussent aussi leurs manches, comme celui du collège de Thouaré-sur-Loire (44) qui a pêché un prof remplaçant de technologie en passant une petite annonce sur "Le bon coin.fr". Le choix entre prof ou le RSALe ministère se défend des accusations d’un recrutement low cost, en arguant que le niveau master reste exigé et que le concours d’admission demeure obligatoire. Il oublie de préciser que ces deux conditions ne sont pas cumulatives. La liste des dérogations et des conventions avec des États étrangers ne cesse de s’allonger, permettant d’embaucher des contractuels qui finissent, tôt ou tard, par se voir titularisés. Quant au concours, l’exigence s’effondre au niveau intellectuel de ceux qui veulent bien postuler. Ainsi en 2014, la barre d’admissibilité au concours des professeurs des écoles était descendue aux moyennes suivantes : Strasbourg : 7 sur 20 ; Paris : 5 sur 20 ; Versailles 4,5 sur 20 ; et Créteil : 4 sur 20. À ce niveau-là, ce n’est plus un concours, mais un test d’aptitude.

Les diplômés du supérieur dédaignent ces épreuves médiocres, les Académies acceptent des postulants justifiant seulement d’une inscription dans ces cycles sans l’obtention du titre. Plus grave, un décret de 1981 (modifié en 2007) permet aux pères ou mères de trois enfants de postuler sans aucun diplôme universitaire. Nul besoin de mettre les pieds à la fac, il suffit de trois séjours en maternité pour faire la classe. La mesure est ancienne, mais ils sont chaque année plus nombreux à s’engouffrer dans la faille. Le bureau des affaires générales rétorque : "ça ne dispense pas de réussir le concours". Avec 4 de moyenne pour être admissible, de qui se moque-t-on !Cette gestion de la pénurie esquisse le profil inquiétant de la prochaine génération d’enseignants, à l’image de cette journée de recrutement massif, organisé en 2011 au CIO de Paris, où 300 chômeurs se pressaient devant les portes pour décrocher un ticket d’entrée à l’éducation nationale. Dans la foule paisible et résignée un commentaire revenait en boucle : "C’est ça ou le RSA…"Sous couvert de l’anonymat, un responsable syndical confie : "À force de malmener et de mépriser cette profession, on ne récolte maintenant que les médiocres et les désespérés;"À quand les profs prêchant le djihad dans les classesCertes dans cette population, on trouvera toujours de belles vocations, y compris parmi les contractuels ou les sous-diplômés, capables de transmettre un savoir, des valeurs, et assez dévoués pour délivrer un enseignement de qualité malgré les conditions calamiteuses qu’on leur impose. Mais un recrutement ne reposant que sur cette providence s’expose à ouvrir la porte à des vocations moins avouables. C’est un cercle vicieux, la maltraitance du corps enseignant entraîne la désertion des meilleurs, peu à peu remplacés par des embauches à l’aveugle. Moins on met de filtres, plus on attire les incompétents et les profils indésirables qui se faufilent entre les mailles. Comment se prémunir contre les prédateurs sexuels lorsque le seul souci sera de garnir les écoles avec des indigents sous-payés. Sans parler des ennemis de la République et des fanatiques qui ne tarderont pas à découvrir les “bonnes filières“ pour avancer masquer et atteindre les jeunes cerveaux qu’une école en ruine leur offre en pâture. Plus effrayant que le canal du net, une classe entière qui serait enrôlée pour le djihads par son propre professeur ne relève plus du scénario fantaisiste. Il ne faudra pas crier au loup, puisque toutes les conditions sont désormais réunies pour rendre possible ce genre d’apostolat.

La République française doit ses valeurs et son unité aux “hussards noirs“ de Jules Ferry qui disposaient de l’autorité, du prestige et d’une formation rigoureuse dispensée par les Écoles Normales. Aujourd’hui, les politiques rêvent au même résultat avec les “pestiférés gris“ de Manuel Valls. Avant de demander à l’école de sauver la République, il est urgent que la République sauve son école.