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"Ce jour-là, j'étais chez moi, en train de faire la vaisselle", "nous étions en famille, devant la télévision", "je rentrais de l'école..." Les circonstances plus ou moins précises dans lesquelles nous prenons connaissance de faits d'actualité majeurs sont gravées dans notre mémoire. Que ce soit cette soirée de juillet 1998, cet après-midi du 11 septembre 2011, ces journées du 7 au 9 novembre 2015, puis cette nuit de novembre, la même année, ou bien avant cela et dans un autre domaine, le 21 avril 2002 voire pour plus les plus anciens, 21 juillet 1969 : toutes ces dates restent gravée. Ce, que les nouvelles associées soient jugées “bonnes” ou mauvaises.
“Souvenirs-Flash” : ou comment l’urgence du présent s’impose à la mémoire
Ces déflagrations de l’histoire, que l’on vit désormais quasiment en direct à travers le prisme - plus ou moins déformant - des chaînes d’information en continu et des réseaux sociaux, inscrivent des dates dans les mémoires bien plus durablement que ne pourraient le faire la moindre lecture de manuel ou visionnage de documentaire. Ce phénomène, psychologues, sociologues et neuroscientifiques spécialistes du sujet lui ont attribué un nom : “souvenirs-flash”.
Ce terme correspond à une traduction de “flashbulb memories”, expression forgée dès les années 1970 par les psychologues américains Roger Brown et James Kulik. Dans un article scientifique paru en 1977, les chercheurs développent une hypothèse concernant la formation de ces souvenirs très particuliers, dont ils ont tenté de vérifier la pertinence à travers des questionnaires portant en particulier sur un “cas d’école”: l’assassinat du président John F. Kennedy à Dallas le 22 novembre 1963. Ils relèvent deux “déterminants” majeurs dans la formation de ces souvenirs : une grande surprise et des conséquences majeures, directes ou indirectes dans la vie des individus concernés.
A distinguer de la “mémoire traumatique”
Depuis leurs travaux, nombre d’études ont approfondi le sujet, comme en témoigne cet article de Grégory Lecouvey, Béatrice Desgranges, Denis Péchanski et Francis Eustache paru en 2020 dans la Revue de Neuropsychologie (vol. 12 p.35-45).
Ce dernier, neuropsychologue à l’université de Caen, a accordé en novembre 2024 un interview à Planet.fr portant plus spécifiquement sur la mémoire traumatique affectant les personnes victimes ou proches de victimes d’attentats, qui semble relever de mécanismes distincts des“souvenirs-flash”.
Reste que, sans y avoir assisté directement, un grand nombre de Français reste marqué par ces événements. Et bien que ces souvenirs apparemment indélébiles restent vivaces, surtout lorsqu’ils sont sollicités, ils évoluent avec le temps. Cela peut se constater à la lecture des diverses vagues d’enquêtes menées par le Crédoc dans le cadre du programme de recherche interdisciplinaire “13-Novembre”. Deux ans et demi après les événements, 70% des personnes interrogées citent les attaques du 13 novembre 2015 à Paris en première place des “actes terroristes commis en France et dans le monde qui (les) ont le plus marqués” depuis le début du XXIe siècle. Un an plus tard, ce sont les attentats de janvier 2015 qui sont davantage cités (51% des répondants). En 2023, la même question après le procès très médiatisé des attentats au Bataclan, dans des cafés du XI arrondissement de Paris et au Stade de France, ceux-ci sont à nouveau les plus cités (57% des répondants).
Lors de l’une des premières enquêtes sur le sujet, l’organisme d’étude avait également interrogé les sondés sur les circonstances dans lesquelles les événements en question ont été découverts. Le constat est sans appel : plus de 9 répondants sur 10 pensent se souvenir du moment où ils ont pris connaissance des attaques, et de la manière dont ils les ont découvertes.
Plus largement, ces études, désormais associées à des recherches en neurosciences, permettent d’en savoir davantage sur le fonctionnement de la mémoire. Les émotions ressenties semblent ainsi avoir joué un rôle majeur dans la manière dont les individus gardent le souvenir d’événements d’actualité, comme le montrent les chercheurs Marie-Charlotte Gandolphe (Université de Lille) et Mohamad El Haj (Flashbulb memories of the Paris attacks . Scandinavian journal of psychology. 2017;58(3):199-204.)
Ce que la mémoire retient
Si des divergences apparaissent parmi les universitaires concernant la manière dont se forment ces souvenirs, et si ce sont l’on se souvient correspond vraiment à la réalité, un consensus émerge sur certaines caractéristiques. Ainsi, il semble que ces souvenirs-flash contiennent le plus souvent six types de circonstances: le lieu où l’on a appris l’information, l’activité que l’on menait, l’identité de la personne qui nous a informé, les conséquences immédiates de l’événement et certains de ses détails.
Autant d’éléments qui en font un “souvenir vivace”, un tournant, distinct de la mémoire autobiographique, celle qui se forge au gré des événements nous touchant personnellement, mais pourtant pas si éloigné. Pour reprendre les termes de l’historien Pierre Nora, ils sont autant de “lieux de mémoire” à la fois individuels et collectifs, ces carrefours où se rejoignent nos récits personnels et la grande Histoire.