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- 1 - Comment expliquer la prévalence de thématiques chères au Rassemblement national dans le débat politique français ?
- 2 - Pourquoi, à gauche comme à droite, s’est-on laissé imposer les thèmes du Rassemblement national ?
- 3 - Marine Le Pen devrait-elle craindre la droitisation de la société française ?
Fantasme ou réalité ? En février 2021, un pan de la classe politique s’adonnait à la critique de l’islamo-gauchisme qui, selon la ministre de l’Enseignement supérieur, gangrène tout ou partie de l’université française. Le mot - et la thématique qu’il englobe - n’émane pas de l’extrême-droite, rappelle Libération. Force est de constater, cependant, qu’il a souvent été repris par cette dernière. C’est en tout cas ce qu’explique La Voix du Nord, qui narre comment le mot a gagné l’extrême droite - de la "fachosphère", écrivent d’ailleurs nos confrères -, laquelle l’utilise désormais pour dénoncer de supposées connexions entre une partie de la gauche et les islamistes autant que pour décrédibiliser les personnalités et les institutions visées.
Depuis, le thème autant que le mot se sont imposés dans le débat politique français. Assez pour être repris directement par le gouvernement de Jean Castex. Un déplacement politique qui n’est pas le premier de son genre, rappelait Le Figaro avant le débat opposant Gérald Darmanin et Marine Le Pen. Le président, disait-on alors à gauche, se droitisait. Au point, souligne encore Libé, de dégouter certains électeurs de gauche. Marine Le Pen, indique Gala, semble désormais convaincue d’avoir gagné la bataille des idées. "La diabolisation de notre mouvement s’est arrêtée", a-t-elle déclaré. Avant de se féliciter : "On trouve encore quelques outrances dans la bouche de concurrents politiques, mais plus dans la population française. Ni même dans les médias. Sur les marchés, il est plus facile d’être militant RN qu’En marche ! aujourd’hui."
Comment expliquer la prévalence de thématiques chères au Rassemblement national dans le débat politique français ?
"Il est indéniable que nous assistons aujourd'hui à un phénomène d’extrémisation très profonde de la vie politique en France. Un certain nombre de thématiques incubées dans les marches se répandent désormais sur la société. Pour autant, la situation est beaucoup plus complexe qu’elle n’y parait", analyse de son côté Christophe Bourseiller, historien spécialiste des mouvements extrémistes en France. "Marine Le Pen incarne un mouvement populiste, dont l’une des caractéristiques incontournables est sa très grande plasticité. Par conséquent, il lui est très facile de durcir le ton ou au contraire de le ramollir voire de complètement changer d’avis quand elle estime que c’est nécessaire. Les exemples ne manquent pas", poursuit-il.
Selon lui, il n’est donc pas étonnant que la fille de Jean-Marie Le Pen - à l’époque connu pour son refus catégorique de la droite comme de la gauche - se fasse désormais plus consensuelle, ainsi que l’illustre à ses yeux son récent débat avec le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. "Si elle veut l’emporter contre Emmanuel Macron au second tour de l’élection présidentielle, elle sait qu’elle devra capitaliser sur le rejet de son adversaire par les électeurs. Cela implique donc d’être en mesure de décrocher dès aujourd’hui certains des éléments macronistes dont il pourrait avoir besoin demain. Elle parie sur ce phénomène", indique-t-il.
Pourquoi, à gauche comme à droite, s’est-on laissé imposer les thèmes du Rassemblement national ?
Cependant, la prévalence dans le débat politique de certains sujets très prégnant à l’extrême-droite - immigration, séparatisme, communautarisme, etc - a potentiellement de quoi interroger, critiquent aujourd’hui certaines figures politiques. C’est notamment le cas des Insoumis, rappelle Ouest-France, qui observent des "convergences" entre LREM et le RN. Certains journalistes, c’est le cas au Monde, s’inquiètent de voir le parti gouvernemental donner - involontairement ? - des gages au parti de Marine Le Pen. D’autres encore, parmi les rangs des politologues, accusent l’exécutif de crédibiliser les thématiques du Rassemblement national. C’est le propos que tenait récemment Olivier Rouquan, dans nos colonnes.
Pour Christophe Bourseiller, la situation est différente. La conclusion aussi. "Le fait est que la question du séparatisme est réelle. Elle n’est pas inventée par Marine Le Pen. Plusieurs ouvrages la documentent, comme le livre de Jérôme Fourquet. L’archipélisation de notre société est un fait, la France s’est communautarisée. De ce point de vue là, le Rassemblement national exploite donc des thématiques présentes dans la société, ce qui n’a rien de très étonnant : ce parti a toujours été une chambre d’écho", rappelle-t-il d’entrée de jeu.
Il n’est donc guère surprenant, soutient-il encore, que les autres formations politiques réagissent aussi à ces faits de société. "Ce qui peut étonner, en revanche, c’est la façon dont tout un chacun les exploite. Contrairement à ce que nous pourrions attendre, le gouvernement s’est avéré moins modéré que l’extrême-droite. Dans les mots, au moins. Il ne fait aucun doute que si Marine Le Pen arrivait au pouvoir et était en mesure de gouverner - c’est-à-dire, si elle parvenait à constituer une majorité parlementaire - elle serait beaucoup plus extrême que ne l’est le gouvernement actuel", estime encore Christophe Bourseiller.
Marine Le Pen devrait-elle craindre la droitisation de la société française ?
Marine Le Pen, poursuit l'historien, bénéficie donc aujourd’hui d’une droitisation de la France et de l’opinion de ses résidants.
"Aujourd’hui, les thématiques plutôt conservatrices semblent l’emporter. Toutes les formations politiques de centre et de droite, ainsi que certaines marquées à gauche, en tiennent compte. Il va sans dire que cela pourrait théoriquement affaiblir le Rassemblement national, puisque certaines des personnalités normalement moins à droite pourraient désormais se retrouver sur son créneau. Cependant,il importe aussi de rappeler que Marine Le Pen a réussi à imposer sa marque - sa personne - et qu’il sera très difficile de la déloger, de percer face à elle. Une candidature Zemmour viendrait certainement l’affaiblir, mais pas nécessairement la dépasser", rappelle encore Christophe Bourseiller.
Est-ce à dire que Marine Le Pen pourrait l’emporter en 2022 ? Peut-être. Mais rien n’est moins sûr. Elle est certes sur une dynamique positive, indique le politologue, mais l’élection n’est pas pour tout de suite. Les choses peuvent changer d’ici là et elle devra tout de même faire face à un certain nombre de d’obstacles. "Marine Le Pen n’est pas en mesure de gouverner. Le débat de l’entre-deux tour de 2017 comme celui l’opposant à Gérald Darmanin sont deux contre-démonstrations de ses capacités à présider. Elles illustrent bien les limites politiques du personnage", estime le spécialiste pour qui la présidente du RN souffre d’un "déficit de crédibilité". "Elle demeure une tribunicienne", tranche-t-il finalement.