Politique : quelle plainte pourrait embarrasser Edouard Philippe ?Shootpix/ABACAabacapress
L'ancienne directrice générale adjointe de la communauté urbaine Le Havre Seine Métropole, qui a saisi la justice, dénonce notamment un contournement des règles de passation des marchés publics pour l'exploitation de la Cité numérique du Havre.
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"C’est une action en justice qui pourrait provoquer des secousses au sein de l’exécutif du Havre (Seine-Maritime), fief de l’ex-premier ministre (2017-2020) Edouard Philippe", révéle Le Monde dans ses colonnes  jeudi 14 septembre. Selon le journal, l'ancienne directrice générale adjointe de la communauté urbaine (CU) du Havre a porté plainte auprès du parquet national financier, "pour prise illégale d'intérêts, détournement de bien, favoritisme, concussion et harcèlement moral".

Contournement de marché public

Mais qui est derrière cette action en justice ? L'ex- directrice générale adjointe de la communauté urbaine du Havre. Sa plainte vise Édouard Philippe, ancien Premier ministre et actuel président de la CU, mais aussi la directrice générale des services du Havre Seine Métropole, Claire-Sophie Tasias, ainsi que Stéphanie de Bazelaire, adjointe au maire en charge de l'innovation et du numérique et conseillère communautaire.

Contactés par Le Monde, ni Edouard Philippe, ni M me de Bazelaire, ni M me Tasias n’ont encore donné suite à nos sollicitations, indique le journal. "Au cœur de la plainte" : un soupçon de contournement des règles des marchés publics en lien avec une convention d’objectifs pluriannuelle cosignée, le 30 juillet 2020, par Edouard Philippe, en tant que président de la communauté urbaine, et M me de Bazelaire, comme présidente bénévole de LH French Tech.

La Cité numérique au centre de l'affaire

Les faits dénoncés remontent à juillet 2020. La Communauté urbaine du Havre charge l'association LH French Tech d'exploiter pour quatre ans la Cité Numérique, avec à la clé plus de deux millions d'euros de subventions. Une association présidée par Stéphanie de Bazelaire. Un cumul de fonctions qui alerte les juristes en interne, et notamment la directrice générale adjointe de la communauté urbaine du Havre,à l'origine de la plainte.

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Elle pointe quelques dysfonctionnements, et notamment le fait que l'association LH French Tech n'a pas cherché à augmenter son chiffre d'affaires. Au bout de 18 mois, elle aurait aussi, dit-elle à nos confrères du Monde, proposé à Édouard Philippe de mettre un terme anticipé à cette convention. Cette convention sera bien rompue, mais près d'un million d'euros ont déjà été versés

2 millions de contrat, conflit d'intérêts, favoritisme...

C’est donc LH French Tech qui a signé, avec la CU, une convention de quatre ans. Ce contrat prévoit le versement, à l’association, par la communauté urbaine, d’une "compensation de service public" d’un montant de 2,154 millions d’euros.

Dans son article,Le Monde assure que les juristes de la communauté urbaine avaient alerté sur le risque de conflit d’intérêtsdans lequel pourrait se retrouver Stéphanie Bazelaire, tout à la fois adjointe au maire, élue de la CU et présidente de LH French Tech. D’autant que la conseillère communautaire est aussi rémunérée par l’EM Normandie en tant que directrice des opérations et des technologies, relève le journal Paris-Normandie.Une EM Normandie dont les locaux se trouvent… Au sein de la Cité numérique.

Selon des documents consultés par nos confrères, dès juillet 2020, la direction juridique de la communauté urbaine évoquait un risque pénal "très fort" de  "prise illégale d’intérêts" et employait le terme  "favoritisme".Et ce n'est pas fini.

Soupçons de harcèlement

Après avoir alerté sa hiérarchie, la plaignante, l'ex  directrice générale adjointe de la communauté urbaine du Havre, prétend avoir subi des pression, revient France 3. "D'une certaine façon j'en savais trop, j'en disais trop" s'est-elle confiée à nos confrères du MondeLa fonctionnaire est peu à peu écartée. En arrêt de travail, elle demande la protection fonctionnelle qui couvre les agents publics dans leur fonction. Sa demande sera refusée, et son contrat ne sera pas renouvelé.

L'ex-directrice générale ajointe des services de la Communauté urbaine du Havre a donc décidé de porter plainte, tout en demandant le statut de lanceur d'alerte. De son côté, la Communauté urbaine a réagi par un communiqué : "Le monde affirme qu'une plainte a été déposée contre des responsables politiques et administratifs de la Communauté urbaine. Ces derniers n'en sont pas informés. Si cette procédure était avérée, ils seraient évidemment, et en toute sérénité, à la disposition du Parquet National Financier pour faire valoir leur bon droit".

Difficultés financières

Sous la pression de l’administration alertée par les services juridiques de la CU, en raison de son cumul des fonctions, Stéphanie Bazelaire a donc été contrainte, à l’été 2021, de démissionner de la présidence de LH French Tech afin de "sécuriser" les élus dirigeants de la CU.

Difficultés financières, salaires mirobolants, budget et projets non respectés… En mars 2022, Le Havre Seine Métropole rompt de façon anticipée la convention qui la lie à l’association alors que plus d’un million a déjà été versé à la structure. Celle-ci a d’ailleurs été liquidée judiciairement au printemps 2023. 

Risque d’inéligibilité

Mais ce qui pourrait vraiment enflammer la mèche, c’est cette observation faite par les juristes de la CU qui, toujours selon nos confrères du Monde, évoque "un risque avéré" de qualification de l’association LH French Tech en "association transparente", soit une association ayant perdu son autonomie vis-à-vis de la collectivité. La chambre régionale des comptes pourrait alors décider d’un contrôle de légalité, "l’élu reconnu comptable de fait" risquerait "une déclaration d’inéligibilité".

Cette affaire pourrait bien embarrasser Édouard Philippe, très présent dans le paysage médiatique non seulement pour la sortie de son livre "Des lieux qui disent " mais surtout en raison de ses ambitions supposées pour la présidentielle de 2027.