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Raul Magni-Berton est politologue et enseignant-chercheur à Sciences-Po Grenoble (IEP). Il travaille essentiellement sur les questions suivantes : démocratie, immigration, révoltes, redistribution, citoyenneté, élections.
Planet.fr : Peu à peu, le nucléaire semble s'être imposé comme l'un des sujets essentiels de cette élection présidentielle, indique Le Parisien. Chaque candidat s'est prononcé sur la question. Quels sont, selon-vous, les thématiques fortes de ce scrutin à six mois du vote ?
Raul Magni-Berton : Plusieurs thématiques se dégagent clairement aujourd’hui. C’est effectivement le cas du nucléaire qui, fondamentalement, constitue une extension des questionnements relatifs à l’urgence climatique et la souveraineté énergétique. C’est cependant loin d’être le seul à prendre en compte : il faut aussi évoquer les questions économiques qui, en situation de post-pandémie, devraient s’imposer d’elles-mêmes.
Autre sujet difficile à éviter : la sécurité et le régalien. Ces thématiques, portées notamment par les multiples attentats survenus sur le sol français ces dernières années, pourraient aussi s’avérer essentielles dans quelques mois, au moment du scrutin. Il en va de même pour les autres questions annexes à celles-ci, comme c’est le cas de l’immigration.
Enfin, le dernier volet - non moins important - n’est autre que la dépossession de la France de sa capacité à décider de façon autonome dans un univers mondialisé. C’est bien plus qu’une question de souveraineté purement nationale, puisque cela revient à interroger la possibilité pour notre pays à mener sa propre politique ainsi qu’il le souhaite dans un monde où les économies sont inter-dépendantes, où il faut s’en tenir à des traités signés avec l’Union européenne, entre autres.
Le nucléaire, l’immigration… Quel sujet s’impose le plus, à six mois de l’élection présidentielle ?
En l’état actuel des choses, il me semble que deux à trois de ces thématiques dominent le débat public. Chaque candidat - annoncé ou supposé - s’est effectivement prononcé sur la question du nucléaire et sur les enjeux énergétiques-climatiques, ce qui illustre effectivement la prévalence de ce sujet. La pandémie - et sa gestion - me semble, évidemment, être l’autre sujet incontournable du débat.
Cela ne signifie pas que la question européenne - remise en avant par la réaction de la Commission aux menaces de sorties brandies par la Pologne - n’est pas une thématique importante. D’autant plus qu’à bien des égards, c’est elle qui dicte les politiques de libéralisation des biens, des services, des capitaux… et des personnes. A cet égard, elle est inséparable de la question de l’immigration.
Présidentielle 2022 : sait-on déjà quels sujets vont disparaître d’ici au scrutin ?
Planet.fr : Le vote n'a pas lieu tout de suite. Peut-on légitimement penser que les choses vont encore évoluer ? Certains sujets très présents aujourd'hui peuvent-ils être détrônés ?
Raul Magni-Berton : Toutes les thématiques précédemment évoquées sont ce que l’on pourrait appeler des sujets de long terme. Aucun ne devrait être abandonné avant la fin de la campagne électorale. Bien sûr, certains prendront certainement le dessus : cela dépendra alors de l’actualité chaude. Il est important de se rappeler que l’élection se joue sur ce dont on parle, ce qui signifie que les événements qui précèdent le scrutin peuvent peser considérablement dessus.
C’est d’autant plus marqué que les formations politiques ont tendance à cultiver, au moins vis-à-vis de l’opinion, une expertise sur certains sujets. Elles bénéficient donc d’une prime quand c’est le leur qui fait l’actualité. Tout l’intérêt de la campagne électorale c’est de décider de quoi l’on va parler - peu importe, d’ailleurs, comment on le fait. L’actualité chaude joue alors le rôle d’un arbitre.
Bien sûr, certains événements très spécifiques (qu’il n’est pas nécessairement possible de relier à l’une des ces thématiques) peuvent aussi bouleverser une élection. Les révélations sur François Fillon en 2017 en constituent un bon exemple. Pour autant, je ne crois pas qu’il soit utile de se fier aux sondages pour savoir de quoi l’on va parler dans quelques mois. On connaît évidemment les grands axes structurants, mais il n’est pas possible d’affirmer avec certitude lequel dominera les autres au moment du scrutin.
Du reste, j’ai du mal à croire que les questions économiques pourraient passer en second plan : ce sont les plus intimement associées à la pandémie. D’autant plus que l’inflation et les hausses des tarifs de l’énergie les remettent au centre de l’attention en ce moment. A contrario, la criminalité a globalement baissé ces derniers mois, du fait des confinements successifs. D’aucuns pourraient donc penser, si les choses ne changent pas d’ici là, que les questions régaliennes pèseront un peu moins.
Election présidentielle : comment pousser ses sujets en 2022 ?
Planet.fr :Qu'est-ce qui fait sa thématique en vue de l'élection présidentielle ? Que devrait faire un parti qui souhaite déterminer le prochain sujet phare du scrutin ?
Raul Magni-Berton : Malheureusement pour eux, je ne crois pas qu’il existe de solution miracle en la matière. Le fait est que chaque formation politique, chaque candidat à l’élection présidentielle, essaye désormais d’être le propriétaire d’un ou de plusieurs enjeux. Si, lors de la grosse loterie à venir, l’un des enjeux sur lesquels ils se sont spécialisés ressort, ils pourront alors capitaliser dessus. Finalement, il faut donc s’assurer de ne pas être ce candidat qui ne bénéficie d’aucun enjeu susceptible de sortir du chapeau au terme de la campagne électorale.
Concrètement, cela veut donc dire qu’il faut se spécialiser sur une ou plus question… et faire montre de chance. C’est d’ailleurs ce qui est en train de se jouer pour beaucoup des figures de la prochaine présidentielle : La République en Marche se positionne d’ores et déjà sur la question de l’enrichissement personnel et, d’une façon plus générale, les questions économiques. Sans grande surprise, Europe-Ecologie Les Verts joue de nouveau la carte de l’écologie et l’extrême-droite continue à travailler ses thématiques, quand d’autres préfèrent le social. Au final, ce sont les formations traditionnelles (LR-PS) qui semblent le moins bien parties : elles se trouvent prises en sandwich, en recherche du juste calibrage, du juste thème. Cela étant elles ont encore le temps de procéder aux ajustements nécessaires.