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Une nation en paix avec elle-même et avec son destin, chacun aura sa part de travail et de loisirs, ou l'ouvrier pourra œuvrer sans amertume et sans envie, ou l'artiste pourra créer sans être tourmenté par le malheur de l'homme, où chaque être enfin pourra réfléchir, dans le silence du cœur, à sa propre condition. Albert Camus
Si l'on me permet de continuer avec l'auteur de la Peste, et de le paraphraser , la lutte des classes ne meurt, ni ne disparaît jamais, et qu'elle peut rester pendant des semaines dans le confinement.
La lutte des classes passe à l'intérieur du confinement mais aussi entre les confinés. Les confinés de la distribution intermédiaire et supérieure du revenu tiennent certes durement , mais aussi et surtout, car le bas de la distribution vit le confinement exposé, à hauts risques.
A priori le confinement pourrait laisser entendre, que l'ensemble de la population subit cette situation issue de l'impéritie du gouvernement et son incapacité à organiser les mesures préventives (tests généralisés, port de masque). Face à cette gestion contestable, tout domination aurait-elle disparu ? La lutte des classes se serait-t-elle évanouie ? la domination évaporée ? L'égalité enfin réalisée au cœur du péril commun ?
Comment les puissants exercent leur domination à travers le confinement
Rien de tel, la lutte des classes ne meurt jamais, et le confinement ne la crée pas, mais la révèle de manière crue. N'oublions pas que 46% des cadres vivent en région parisienne, il n'était en rien étonnant de voir certains d'entre eux partir pour mieux vivre le confinement. Ce sont les classes populaires principalement composées, d'ouvriers, employés, souvent ubérisés qui remplissent nos rayons, qui livrent, assurent la logistique, la bonne conduite des files devant les magasins. Mal protégés face à l'épidémie, souvent obligés de continuer à prendre les transports, car la cherté des logements les éloigne de l'hypercentre.
Et comme si une inégalité en renforce une, ce sont eux qui vivent dans des logements souvent étroits. La sociologie ne s'est pas trompée quand elle voyait dans les ouvriers, les immigrés de l'intérieur ou parfois comme des invisibles. L'affaiblissement syndical, les absences des classes populaires dans les rangs des députés , et l'oubli dont ils font preuve de la plupart des médias les laissent plus dominés que jamais.
D. Maillard parle du "back office" pour désigner ces catégories populaires qui sont les dominés de la division sociale du travail et font en sorte qu'un semblant de normalité subsiste dans notre société. Avec Goodhart, on pourrait dire ce sont les "somewhere" ou sédentaires qui subissent davantage que les "anywhere", les nomades, le confinement. Il n'y aura pas d'assouplissement monétaire pour le peuple de la part des banques centrales. Ils perdront en premier leur emploi au fur et à mesure que la crise va faire ressentir ses effets et seront les derniers à le retrouver. Leur surendettement va croître et leur niveau de vie se tassait davantage. La fermeture des bureaux de poste, les expose à ne pas recevoir, peut être leurs allocations, attendues au début d'avril.
Confinement : on sait qui paiera le prix cher
Le confinement révèle aussi et fabrique de la domination. Ceux qui le respectent moins comme le souligne S. Beaud, se retrouvent dans une population jeune et masculine, en décrochage scolaire. Le confinement sera avant tout vécu selon les conditions matérielles et culturelles, que l'on pense à la distribution inégalitaire de la pratique de la lecture selon les groupes sociaux.
La lutte des classes ne disparaît pas, elle se nourrit et se renforce des inégalités qui travaillent notre corps social. N'oublions pas que lors du naufrage du Titanic en avril 1912, ce sont les troisième classe qui ont payé le plus fort tribut. Dans le naufrage d'un modèle néolibéral, mondialisé ce sont les troisième classes qui subiront ce confinement et ses effets avec une violence inédite et bientôt rejoints par des franges des professions intermédiaires issue des professions de la santé, de l'enseignement. Les délaissés comme Thomas Porcher a su si bien les nommer.
Mais que l'on se rassure, il y aura des politiques de petit pied qui viendront les moquer, car ils "fument des clopes et roulent avec des voitures au diesel" ou sont des "sans dents" sans envie de devenir des "milliardaires".
Frédéric Farah, professeur de sciences économiques et sociales, chercheur affilié au Laboratoire PHARE de la Sorbonne (Paris I), chargé de cours à Paris Sorbonne Nouvelle.