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L’OTAN prépare-t-elle la guerre en Europe : une opération d’ampleur aux portes de la Russie
Ils sont 50 000, issus de l’ensemble des pays de l’OTAN, de Finlande mais aussi de Suède. Ces dizaines de milliers de soldats ont été déployés en Norvège, qui partage une frontière avec la Russie par l’organisation militaire. Et ils sont accompagnés de 10 000 véhicules, 250 avions ou hélicoptères, 59 navires et un porte-avions américain. En deux décennies, l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN) n’a lancé aucune opération d’ampleur comparable à celle-ci, intitulée Trident Juncture 18.
Les Etats-Unis cherchent-ils à réactiver une certaine forme de guerre froide ? D’après Le Parisien, l’organisation se défend formellement de viser la Russie… Quand bien même les opérations se dérouleront pratiquement aux portes de la Mère Patrie. Un porte-parole de la diplomatie de Vladimir Poutine a d’ailleurs dénoncé des "actions irresponsables".
Toutefois, une véritable guerre en Europe demeure hautement improbable. "Certes, la Russie a entamé la reconstitution de son armée et le réarmement de son pays. Cependant, la visée de ces manœuvres militaires conjointes n’est pas d’amorcer un conflit armé. Au contraire, même, il s’agit plutôt d’établir un rapport de force", explique Cyrille Bret, professeur à Sciences-Po Paris, ancien auditeur à l’institut des hautes études de défenses nationales (IHEDN) et auteur de l'ouvrage "Qu'est-ce que le terrorisme ?". "Actuellement l’OTAN répond à de précédents exercices russe. La Russie cherchait à marquer son retour sur les scènes militaires et internationales, à se doter d’une présence", poursuit-il.
Une analyse confirmée par Alain Rodier, ancien officier supérieur des services de renseignements extérieurs et directeur de recherche au CF2R. "Tout le monde est effrayé à cause de l’intervention russe en Crimée, mais en vérité elle était assez prévisible. Vladimir Poutine a pensé que l’OTAN voulait récupérer la base maritime de Sébastopol. Il y avait un véritable enjeu pour lui", souligne-t-il. "Pour autant, l’Europe ne risque pas de guerre aujourd’hui."
L’OTAN prépare-t-elle la guerre en Europe : rassurer les pays scandinaves et les pays Baltes
"De telles opérations sont assez courantes. Il s’agit d’une pratique stratégique assez commune", indique Cyrille Bret, pour qui Trident Juncture 18 répond à trois objectifs bien précis. "D’abord, il s’agit de rassurer les populations scandinaves et baltes, qui craignent la puissance militaire russe. Ensuite, l’OTAN profite de cet événement pour réaffirmer sa solidarité à l’égard des pays européens membres du traité. C’est une façon de montrer qu’il ne se concentre pas uniquement sur la lutte anti-terroriste ou le flanc sud", précise l’enseignant pour qui le pays des Tsars n’est que le troisième destinataire. "Naturellement cette initiatives vient répondre à celles des Russes, à qui il s’agit de rappeler que l’OTAN veille encore."
Ces déploiements de force participent également à une guerre d’influence généralisée, livrée sur plusieurs fronts. "La rivalité entre la Russie et l’OTAN ne se joue pas uniquement sur le plan militaire. Elle est également politique, médiatique et concerne aussi le domaine cyber", résume le professeur.
Si l’OTAN "roule autant des mécaniques", comme l’explique Alain Rodier, c’est donc pour rassurer la Norvège et d’autres alliés effrayés par l’ombre du Grand Ours. C’est également dans cet objectif que l’organisation grossit parfois les nombres. "Le principe même de tels exercice est de faire une démonstration de puissance. Il n’est pas exclu que les hommes soient en vérité moins nombreux", rappelle Cyrille Bret.
Il arrive également que la menace soit grossie, estime Alain Rodier. "Les Etats-Unis ont très souvent tendance à exagérer la menace russe. Pendant la Guerre Froide, de nombreux pays membres de l’OTAN ne disposaient que des renseignements américains pour s’informer. Je ne serais pas surpris que cette opération contribue à reproduire ce type de comportements", indique le directeur de recherche. D’autant plus quand on sait que c’est précisément cette menace russe qui donne à l’organisation sa légitimité. "Dans les années 2000, avant le réarmement de la Russie, l’OTAN a fait face à véritable crise de légitimité. Son utilité était questionnée à l’intérieur même de l’organisation", explique l’auteur de "Qu’est-ce que le terrorisme ?".
L’OTAN prépare-t-elle la guerre en Europe : un combat très inégal
Si l’OTAN comme la Russie se donne parfois des airs belliqueux, un véritable conflit reste très, très invraisemblable. "Revenir aux fondamentaux aide à comprendre pourquoi il n’y aura pas de guerre : le budget militaire russe grimpe jusqu’à 60 milliards de dollars à peu près. Celui de l’OTAN s’établit à environ 720 milliards de dollars. Certes, le soldat et le blindé russe coûtent moins cher qu’un soldat ou un blindé occidental, mais tout de même ! Les budgets français et anglais combinés suffisent à écraser le budget militaire russe", souligne Alain Rodier.
En outre, les armées américaines et russes sont loin d’être aussi bien équipées. "La Russie ne dispose que d’un seul porte-aéronef et il n’est pas nucléaire. A titre de comparaison, les États-Unis d’Amérique en possèdent une douzaine", assène l’ancien officier. "Il n’y a guère qu’un seul domaine dans lequel la parité russe-américaine existe : c’est sur le nombre de têtes nucléaires. Chaque pays possède globalement de quoi détruire 10 fois son adversaire", poursuit le directeur de recherche.
Autre point important, qui diffère sensiblement par rapport à la Guerre Froide, régulièrement invoquée sur ce sujet : "Face à l’OTAN, la Russie n’est plus soutenue par le bloc soviétique. L’impact est non négligeable", explique le militaire.