Ce lundi 25 novembre est celui de la journée internationale de lutte contre la violence faite aux femmes. Zoom sur The Sorority, cette application réservée aux femmes et aux minorités de genre qui propose de leur...
Planet : Quelles différences notez-vous entre ce qu’est en théorie la protection juridique et ce qui se passe en réalité ?
Valérie Labrousse* : "La protection juridique est, comme son nom l’indique, censée protéger les gens et leurs biens. En réalité, elle est au mieux devenue une gestion grossière parfois ponctuée d’erreurs plus ou moins graves (oubli de payer l’électricité ou les impôts de la personne sous tutelle, etc), au pire une spoliation des biens de la personne et une maltraitance de cette dernière (isolement, oublie de lui donner de l’argent pour s’acheter de la nourriture, etc). En d’autres termes, en réalité et dans de nombreux cas, il y a une inversion totale du principe de protection.
Planet : Savez-vous combien de personnes en France sont victimes de tels abus ?
Valérie Labrousse : C’est très difficile à dire. Il me faudrait 30 ans de travail pour le savoir ! Je sais en revanche que près d’un million de personnes majeures vivent sous protection juridique et que depuis la sortie de mon livre il y a environ trois semaines, je reçois énormément de témoignages et d’appels à l’aide de personnes qui en sont victimes. Et à chaque fois, c’est toujours la même histoire, le même scenario. Ce qui montre bien que, contrairement à ce que mes détracteurs peuvent dire, c’est un vrai phénomène.
Planet : Quel est ce scenario ?
Valérie Labrousse : On retrouve toujours les mêmes mécanismes de connivences entre les affaires sociales, la justice et la médecine. Ce sont des mécanismes silencieux, d’omerta et dignes de ceux utilisés par les mafieux. En effet, même quand les faits sont flagrants et que les victimes réussissent à porter leur affaire en justice, rien n’est fait car tous les acteurs qui sont en face d’elles sont liés entre eux. Aussi, les victimes se retrouvent bien souvent seules. Ce qui peut avoir des conséquences très graves. Certaines personnes en meurent très lentement.
Planet : Vous avez rencontré plusieurs victimes de ce type de situation pour écrire votre livre. Y en-a-t-il une qui vous a particulièrement touchée ?
Valérie Labrousse : En tant que journaliste, c’est difficile à dire car toutes présentaient un intérêt particulier à mes yeux. Mais en tant que citoyenne, c’est sans doute Jacqueline qui m’a le plus émue par ce qu’elle dégageait. Cette femme a tout eu dans ce que la protection juridique fait de pire. Elle est ce que j’appelle une "hyper victime" : elle a réussi à porter son affaire en justice mais au final cette dernière lui a dit 'circulez y’a rien à voir'. Son affaire a été classée, c’était la pire claque que l’on pouvait donner à cette femme, la pire trahison que l’on pouvait lui faire. Imaginez tout le travail que cette personne isolée avait accompli en amont pour en arriver là ! Il lui a d’abord fallu récolter des preuves, ensuite trouver un avocat et enfin convaincre son tuteur de bien vouloir débloquer de l’argent pour payer cet avocat. Une tâche d’autant plus difficile que tout dépend du tuteur et que c’est souvent son travail que la victime veut pointer. Aussi, il n’accepte pas facilement de l’aider dans ses démarches…
Planet : Aux termes de vos 5 années d’enquête, avez-vous entrevu quelques pistes de solutions pour éviter de telles situations ?
Valérie Labrousse : Il n’y a malheureusement pas vraiment de solution… Cependant, je dis souvent aux gens qui me contactent qu’ils devraient se regrouper et créer des collectifs. Mais dans la pratique, c’est difficile, car il y a un manque cruel de solidarité. L’individualisme prévaut et est même renforcé par ce système mafieux qui isole les personnes. C’est un peu l’histoire du serpent qui se mange la queue ! D’ailleurs la mafia qui en est à la tête l’a très bien compris. Encore une fois, elle se sert du manque de solidarité qu’il y a entre les gens.
Au départ, il y a souvent une personne seule, handicapée ou vielle. Dans son entourage, personne ne veut s’en occuper. Et même quand un membre de la fratrie veut bien s’en charger, il est aussitôt taxé par les autres d’avoir de mauvaises intentions, de vouloir profiter de la situation. Aussi, bien souvent ces gens font appel à un juge des tutelles. Si celui-ci se rend compte que les proches de la personne ne sont pas soudés alors il s’engouffre dans la brèche et décide d’un placement sous tutelle extérieure. À partir de ce moment-là, c’est foutu, tout échappe à la personne.
Mais tout ceci pourrait, selon moi, être évité si les gens s’entendaient mieux, s’ils regardaient leurs parents autrement que comme des patrimoines sur pattes, s’ils avaient une meilleure conscience des rapports humains et s’ils arrêtaient d’être motivés par l’appât du gain".
*Valérie Labrousse est l’auteur des Dépossédés, enquête sur la mafia des tutelles (ed. Du Moment)