Ehpad : pas de douche, nourriture mixée... L'enfer d'un résidentIstock
TEMOIGNAGE. En pleine santé avant le premier confinement, le père d'Annette Debéda n'est plus que l'ombre de lui-même lorsqu'elle le retrouve au printemps 2021. Il ne lui reste alors que trois semaines à vivre. Elle dénonce une maltraitance passive, faite d'oublis ou d'absence de soins, au sein de l'établissement où il vivait depuis 2017.
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Une parole qu'on entend mieux. Depuis la sortie du livre Les Fossoyeurs, écrit par le journaliste Victor Castanet, la classe politique comme la société s’émeuvent du sort réservé aux résidents de certains Ehpad. Dans cet ouvrage, l’auteur décrit ce qu’il se passe derrière les portes des établissements du groupe Orpea, leader du secteur. Maltraitances passives, agressives, violences physiques et verbales, réduction des coûts à l'extrême... Ces derniers jours, la parole semble s’être libérée du côté de certaines familles, qui pouvaient avoir peur de témoigner.

Ehpad : "La nourriture n'était pas bonne, sa chambre pas impeccable"

Annette Debéda n’a pas attendu ces nouvelles révélations pour parler. Co-fondatrice du Cercle des Proches Aidants en Ehpad, elle a perdu son père de 81 ans le 31 mai 2021, quelques années seulement après son entrée en établissement. Tout commence à la fin de l’année 2017, lorsque la quinquagénaire et ses sœurs décident de lui trouver une place dans un établissement de la Drôme, plus près d'une partie de sa famille que dans le Sud-Ouest, où il vivait jusqu'à présent. Si l’octogénaire a encore toutes ses facultés cognitives, il a été victime d’emprise de la part de la personne qui assurait son maintien à domicile pendant un an. Après un séjour à l’hôpital, il était convenu qu’il reste quelque temps dans l’établissement, avant de retrouver sa vie en autonomie.

Le père d’Annette Debéda se plaît dans cet établissement et décide donc de ne pas retourner vivre seul dans un appartement. "Il ne se plaignait pas, mais je trouvais qu’il y avait du laisser-aller sur beaucoup de choses", explique-t-elle à Planet, ajoutant : "La nourriture n’était pas bonne, sa chambre n’était pas impeccable non plus. Mes sœurs, mes neveux et moi venions le voir régulièrement donc on l’aidait avec de nombreuses choses : on changeait les piles de ses appareils auditifs, on branchait son téléphone pour le recharger, on lavait son dentier… Tout ça, ce n’était pas à nous de le faire mais on le faisait parce que c’était notre rôle en tant que proches aidants". Si elle ne s'occupe pas de ses tâches, quelqu'un de l'établissement le fera-t-il ? Elle se pose la question à plusieurs reprises.

Malgré ces points noirs au tableau, Annette Debéda ne s’inquiète pas pour le bien-être de son père, qui n’a perdu ni son répondant, ni sa vivacité d’esprit. Physiquement, il a besoin d’aide dans de nombreux aspects de la vie quotidienne, notamment pour utiliser les toilettes et prendre une douche, mais le personnel est là pour l’aider. La situation perdure ainsi durant deux ans, jusqu’au premier confinement de mars 2020. À partir de ce moment-là, la quinquagénaire ne reconnaît plus son père. Pas de douche pendant quatre semaines, chambre transformée en "porcherie"… Elle dénonce une maltraitance passive ayant entraîné la mort de l'octogénaire en à peine plus d’un an.

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Ehpad : "Mon père a passé quatre semaines sans prendre de douche"

Le 8 mars 2020, la France se confine et les Ehpad se transforment en huis clos. "Nous n’avions plus le droit d’aller voir notre père jusqu’au mois de mai", se rappelle Annette Debéda auprès de Planet. La communication est difficile au téléphone, car le résident se plaint de ne pas bien entendre ses proches. Sa tablette est déchargée en permanence, rendant impossible toute conversation en visio. Elle se souvient d’un échange surréaliste : "Un jour, quand je réussis à l’avoir au téléphone, mon père me dit : ‘C’est long de ne pas prendre de douche’. Je lui demande depuis combien de temps il ne s’est pas lavé, il me répond… Quatre semaines ! Apparemment, la chaudière était cassée et ils n’arrivaient pas à la réparer". L’appareil est finalement remis en fonctionnement au bout de la cinquième semaine, après qu’Annette Debéda ait contacté l’ARS et la députée concernée.

Après plus de deux mois sans rencontre physique, la quinquagénaire tombe des nues en retrouvant son père : "Il avait beaucoup maigri, son dentier bougeait dans sa bouche, on sentait qu’il ne le mettait pas bien. Les piles de ses appareils auditifs n’avaient pas été changées, donc il ne nous entendait pas". Tout de suite, la fille inquiète se tourne vers la direction de l’établissement, expliquant qu’il semble y avoir un souci avec son père. La réponse est sans équivoque : pas de problème, rien à voir, circulez.

De retour dans l’établissement, la famille d’Annette Debéda reprend ses habitudes de visite et recommence à faire tous ces petits gestes qu’elle accomplissait pour le résident… Jusqu’à ce que les portes de l’Ehpad se referment une deuxième fois.

Ehpad : "Mon père n'était plus que l'ombre de lui-même"

A la fin du deuxième confinement, Annette Debéda a du mal à reconnaître son père, qui a perdu dix kilos, "est complètement décharné et a perdu beaucoup de ses facultés cognitives". "Il a cessé de manger. Il ne mettait plus son dentier parce qu’il lui faisait mal", explique-t-elle. Un détail qui n’en est pas un : "Au lieu de l’aider à avoir une bonne hygiène bucco-dentaire, de nettoyer son appareil, on lui dit que ce n’est pas grave, qu’il n’est pas obligé de le mettre". Sans dentier, son père "ne pouvait plus manger d’aliments solides. Le personnel lui a donné de la nourriture mixée et il n’en voulait pas. Il a continué de maigrir et n’était plus que l’ombre de lui-même", se souvient la quinquagénaire auprès de Planet.

Trois semaines avant le décès de son père, Annette et sa famille ont de nouveau le droit de rendre visite à leur proche dans sa chambre, après l'intervention de son médecin traitant. Il la prévient tout de même que la chambre est devenue une "porcherie". De son côté, l’octogénaire ne pèse plus que 55 kilos, ne se nourrit plus et "a lâché la rampe". "On espérait toujours qu’il remonterait la pente donc 15 jours avant son décès on avait trouvé une dame de compagnie qui devait venir, à nos frais bien sûr, entre 11h30 et 14 heures pour lui donner à manger. On a prévenu l’établissement, qui a refusé la venue de cette personne", se souvient-elle. Elle contacte l’ARS de la Drôme, qui réagit 10 jours plus tard et impose à l’établissement d’accepter la présence de cette "dame de compagnie". "Le 31 mai 2021, c’était la première fois que cette dame venait voir mon père et il est mort à ce moment-là. Elle est arrivée un peu avant 11h30, au moment où il s’est éteint", confie Annette Debéda, pleine d’émotion.

Neuf mois se sont écoulés depuis le décès de son père, mais la quinquagénaire n’en veut pas au personnel de l’établissement qui, selon elle, "n’était pas encadré" et "mal formé". "Ceux qui étaient là devaient faire à deux le boulot de trois personnes, donc je ne peux pas leur en vouloir de mal faire leur travail, mais par contre j’en veux aux responsables qui recrutent des gens aussi peu formés", ajoute-t-elle, avant de conclure : "Un personnel ni formé, ni encadré, très mal payé… C’est le combo parfait pour mettre en place des systèmes de maltraitance passive".