De nouvelles règles d’indemnisation entreront en vigueur en avril 2025 et impacteront durement les plus âgés.
Réforme des retraites : Emmanuel Macron va-t-il abandonner l’universalité ?
"Je défendrai jusqu’au bout la spécificité du statut des policiers et du statut des gendarmes pour que l’on reconnaisse cette spécificité et que l’on reconnaisse leur droit à un départ à la retraite plus tôt", s’indignait Christophe Castaner sur le plateau de BFMTV, le 17 septembre 2019. Des propos raccords avec les revendications des policiers, qui prévoient une "marche de la colère" dans les rues de la capitale, le 2 octobre 2019, rappelle Le Parisien. Ils n’en mettent pas moins un coup à l’objectif d’universalité défendu par le gouvernement depuis le débuts de ce projet, réforme mère de toutes les batailles, comme le souligne le quotidien Les Echos.
"Nous mettrons fin aux injustices de notre système de retraites. Un système universel avec des règles communes de calcul des pensions sera progressivement mis en place", affirmait Emmanuel Macron en 2017, dans son programme de campagne, se souvient Le Figaro. Déjà à l’époque, le slogan était posé : "Avec un principe d’égalité : pour chaque euro cotisé, le même droit à la pension pour tous", écrivait le candidat.
Pourtant, et en dépit des desiderata d’universalité, de justice et d’égalité affichés par Jean-Paul Delevoye, le président de la République pourrait être contraint de reculer. C’est en tout cas ce que laisse entendre le quotidien marqué à droite pour qui, par pragmatisme, Emmanuel Macron finira par préférer "une injustice à un désordre". Et lui de pointer du doigts quelques unes des concessions déjà demandées par les ministres, Christophe Castaner n’étant pas le seul à défendre certains statuts. Les discussions, déclarait récemment Edouard Philippe, devront se faire "profession par profession". "Nous devons repenser les carrières des enseignants et des chercheurs, et le système de rémunération", a-t-il également promis.
"Si la dimension universelle a toujours été au coeur des éléments de langages du gouvernement, il ne faut pas perdre de vue qu’elle a toujours été impossible à mettre en place, une fois confrontés aux réalités du terrain", observe pour sa part Christophe Bouillaud, politologue et professeur de science politique à l’Institut d’Etudes Politique (IEP, Sciences-Po) Grenoble. "Il n’est donc étonnant de voir que l’exécutif travaille aux aménagements qu’il devra mécaniquement concéder. Ce qui ne signifie pas qu’Emmanuel Macron va renoncer officiellement à son projet d’universalité… Il expliquera simplement que la base est universelle mais qu’il faudra tout de même s'accommoder de quelques spécificités", s’amuse l’enseignant.
"Il n’empêche", poursuit-il, "les récentes déclarations de Christophe Castaner sonnent à certains égards comme un aveux d’échec. Cela devrait contribuer au goût d’injustice que cette réforme risque de laisser dans la bouche des Français".
Retraites : un recul pour mieux sauter ?
"Ils ont conscience que, dans certains cas, cette réforme des retraites aura un impact considérable sur le niveau des pensions et que, par la force des choses, le choc qu’elle engendrera sera perçu par l’ensemble de société. Y compris par un public qui n’est pas très politisé", alerte le politologue, en se basant sur les récentes sorties du ministre de l’Intérieur, ainsi que celles du chef du gouvernement. Pourtant, selon lui, cela ne devrait pas entamer la volonté affichée du président de mener le projet à son terme.
"Il est très peu probable qu’Emmanuel Macron renonce. Il ne voudra pas revenir sur le coeur de sa réforme. Certes, en pratique, le nouveau régime de retraite sera universelle sous réserve d’en oublier les exceptions mais cela n’est pas suffisant pour pousser le gouvernement à abandonner", ajoute-t-il. Et pour cause ! A force de dénoncer le système de solidarités intergénérationnelles en vigueur, l’exécutif se serait - selon lui - créé l’obligation radicale de le transformer.
"Au final, il est plus probable qu’Emmanuel Macron recule pour mieux sauter. C’est pour cela qu’il fait traîner la réforme : se faisant, il lui est possible d’espérer étouffer la contestation et se protéger à l’approche des municipales", note encore l’enseignant-chercheur, non sans souligner les autres raisons qui poussent le chef de l’Etat à attendre.
"Le président de la République, si son mouvement réalise une bonne performance à l’occasion des municipales, pourra capitaliser sur son nouveau maillage. Il pourra dire combien il est soutenu et le poids du nombre le rendra difficile à attaquer, en dépit de l’éventuel sentiment d’injustice que pourraient ressentir les contribuables", analyse Christophe Bouillaud. "Entre les aménagements auxquels Emmanuel Macron ne pourra pas couper et la cohabitation entre les deux régimes de retraite, il y aura forcément des contribuables pour se sentir lésés", juge-t-il.
Dans le cas où La République en Marche ne parviendrait pas à transformer l’essai, en revanche, le président se trouverait dans une situation plus complexe. "Dans un tel contexte, il lui serait difficile de tenir. C’est dans ce genre de scénario qu’un recul est le plus envisageable", estime le professeur de science politique.
Retraites : les obstacles qui empêchent Emmanuel Macron de reculer
Quand bien même le président le voudrait - ce qui, à l’évidence, n’est pas le cas - il ne pourrait pas reculer. Il pourrait potentiellement y gagner sur le plan politique, souligne pourtant Christophe Bouillaud. Mais certains obstacles le bloquent dans tous les cas.
"Evidemment, s’il venait à Emmanuel Macron l’idée de renoncer à sa réforme des retraites, il ferait l’objet d’un véritable tir de barrage de la part de la sphère médiatique et économique qui défend le projet. Il serait décrit par les éditorialistes comme un président en voie de chiraquisation, incapable d’inscrire la France dans la mondialisation", anticipe le politologue. "Dans un second temps, en revanche, il pourrait au contraire séduire une partie de son opposition. S’il parvient à apparaître comme l’homme raisonnable qui aurait été mal conseillé, il pourrait être en mesure de convaincre un électorat à l’origine déçu du projet", assure l’enseignant-chercheur.
Problème ? Emmanuel Macron ne peut pas jouer la carte des mauvais conseillers : il n’a pas de personnel politique à sacrifier. "Sans fusible, il lui sera impossible de dire aux Françaises et aux Français qu’il a changé. Or, s’il devait se séparer de Muriel Pénicaud ou Jean-Paul Delevoye, par exemple, il manquerait de tête pour les remplacer…", avertit le politologue.
Et s’il avait à sa disposition tous les talents dont il pourrait rêver, cela suffirait-il ? Probablement pas. "Le chef de l’Etat n’a pas ce pragmatisme qui a permi à tant d’autres élus de naviguer en eaux troubles. Sa matrice idéologique est plus rigide. C’est en partie pour cela qu’il ne serait pas prêt à se séparer d’un ministre juste pour pouvoir dire qu’il est transformé et se rapprocher de son électorat, comme aurait pu le faire Jacques Chirac par exemple", explique l’analyste. "Emmanuel Macron est persuadé du bien-fondé de sa politique. Il croit au néolibéralisme : c’est la base même de son armature idéologique. C’est pour cela qu’il pense avoir raison, et avant toute chose, c’est pour ça qu’il ne reculera pas", juge l’enseignant à Sciences-Po Grenoble.