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Aux micros d'Europe 1, le secrétaire d'État Jean-Baptiste Djebarri déclarait que si la réforme des retraites se faisait, le gouvernement pourrait être fier. Que traduit selon vous cette évolution du langage employé par l'exécutif ? Faut-il croire que la réforme sera aménagée ou même abandonnée sur le long terme ?
Erik Neveu : Il paraît très difficile et coûteux, politiquement et symboliquement, pour le président d'abandonner ce qui était une des mesures annoncées et significatives de son programme lors de l'élection. Mais une série de signes, dont le propos de JB Djebarri suggèrent un souci de calmer les oppositions. Les premières mesures spectaculaires du quinquennat (réformes fiscales, statut des cheminots, code du travail, assurance chômage) ont été conduites au pas de charge et, si elles ont suscité des mobilisations, ont été menées à terme sans grande difficulté. Fin 2019 la situation est autre. Même s'il ne remplit plus rues et rond-points, le mouvement des Gilets jaunes a marqué un tournant, exprimé une considérable et explosive exaspération devant le développement de situations de précarité et de pauvreté, d'inégalités.
"Une série de signes, dont le propos de JB Djebarri suggèrent un souci de calmer les oppositions" — Erik Neveu, politologue
Dans le même temps c'est paradoxalement la traduction des premières mesures du quinquennat qui produit du scepticisme puisqu'il est peu de cas (la Taxe d'habitation serait un des rares contre-exemples) où les français modestes en voient des bénéfices palpables, d'où une suspicion que "réforme" veuille dire moins de droits et de sécurité. Une pancarte sur un rond-point le week-end dernier disait "Retraite à points, Travail sans fin".
On voit par des déclarations contradictoires au sein du gouvernement, l'évocation de concessions ou de délais possibles que le souci est puissant de ne rien faire qui puisse relancer un grand mouvement social, donner prétexte à la fameuse – et pour l'instant, rêvée – "convergence de luttes".
Compte tenu de la situation politique actuelle ; comment Emmanuel Macron pourrait reculer sans trop perdre la face ? Quel argumentaire pourrait-il faire valoir ?
E. N. : La journée du 5 décembre sera un moment clé. Il n'est guère probable qu'elle enclenche de suite une séquence de basculement politique. Bien des obstacles se dressent devant le dessin d'une convergence des luttes. La division syndicale reste puissante. Il n'y a guère d'alternative politique convaincante et mobilisatrice dans un contexte de "gueule de bois" de la France Insoumise. Et nous vivons aussi dans une société extraordinairement cloisonnée… les soucis et revendications des agriculteurs, étudiants, retraités, salariés du privé se traitent souvent dans des lieux, avec des porte-paroles particuliers, jaloux de leur autonomie, de sorte que les situations où les colères et mobilisations cessent d'être parallèles, disjointes sont l'exception. Nul doute que les malaises sociaux, alimentés par le creusement permanent des inégalités, n'aient atteint en France un niveau rarement vu. Mais toute l'étude des mouvements sociaux montre que cela ne produit pas mécaniquement quelque chose comme le fameux "Grand Soir". Il faut encore trouver un langage et des revendications communes, que cristallise quelque chose comme l'imagination de solutions alternatives convaincantes. Il faut que qu'un minimum de confiance connecte des milieux sociaux différents qui se mobilisent, que les gouvernants soient en situation fragile... ce que quelques défections de députés LREM sont loin de produire.
"Jeter du lest tout en maintenant le fond d'une réforme dont l'effet risque avant tout d'être une baisse moyenne des revenus des aînés" — Erik Neveu, politologue
L'imprécision extrême du projet gouvernemental (au-delà de la technique des points, de la vague revendication d'un système plus égalitaire, plus juste) est d'ailleurs une ressource. Une réforme des retraites peut digérer des suggestions et amendements, mettre en avant des changements consensuels (au profit des femmes, des métiers à forte pénibilité) sans que le Président semble manger son chapeau. N'excluons pas qu'un numéro de duettistes assez rôdé puisse intervenir… après avoir joué la scène du "retenez-moi ou je vais me fâcher", la CFDT pourrait, ayant vu une ou deux de ses demandes retenues ou partiellement écoutées, apporter son soutien. Les mobilisations sociales se prêtent mal au jeu de la prévision météo – les Gilets Jaunes viennent le rappeler- mais à cet instant l'espace des possibles est très ouvert. Le plus probable sera de jeter du lest tout en maintenant le fond d'une réforme dont l'effet risque avant tout d'être une baisse moyenne des revenus des aînés. Une grande séquence de mobilisation n'est pas à exclure, si on prend aussi en compte l'art des propos provocateurs du président.
Le moins probable est, hélas, un scénario intelligent, à la scandinave. Il consiste à prendre un an ou dix-huit mois, à débattre publiquement d'un ensemble de propositions pour avoir une vue globale des scénarios, à écouter les suggestions et craintes des uns et des autres. Il suppose de considérer que redistribuer au profit des plus démunis est un impératif du vivre ensemble, de savoir à la fois tenir le cap d'un dessein de plus de justice et d'écouter tout ce qui peut s'y intégrer. Cela suppose de considérer que les "partenaires sociaux" (syndicats, professions organisées, associations), les chercheurs qui travaillent sur le financement des retraites, les effets de vieillissement de nos sociétés ont des choses à dire et proposer. Cela veut donc dire ne pas partir du principe qu'énarques, membres des fondations liés au monde patronal et membres des cabinets ministériels sont les seuls à tout savoir et à penser un bien commun. On aura compris à quel point cela est improbable en France !
Pour autant, en se compromettant sur le sujet, quels risques prendrait le président ? Particulièrement quand l'on sait qu'il perd peu à peu en opinions favorables dans son cœur électoral et que certains de ses soutiens jugent qu'il ne sait pas où il va ?
E. N. : En effet, la couverture de "L'Express" voici huit jours montrait un Macron prisonnier d'un bloc de glace pour suggérer son impuissance et son immobilisme… ce qui est sans doute un peu simplet si on procède à une énumération des réformes passées en deux ans. Le "En même temps" Macronien a tendu dans les mois récents à s'accompagner d'un glissement à droite et par là à susciter plus d'attentes de la part de soutiens situés de ce côté, plus d'impatience devant ce que certains ont perçu comme trop de concessions à des demandes des Gilets Jaunes. À court terme, cette situation n'est cependant pas très alarmante pour l'exécutif.
Emprunter le fonds de commerce du Rassemblement national tout en faisant valoir la menace du fascisme, la nouvelle stratégie gouvernementale selon Erik Neveu
D'une part parce que – si les formes d'action des Gilets Jaunes peuvent être très clivantes – il est difficile, même à droite, de prendre position frontalement contre des mesures qui se donneraient comme des réponses à la misère sociale, au désir de participation. Mais c'est surtout la force persistante du Rassemblement National qui est pour Macron une merveilleuse police d'assurances. On voit l'exécutif, non sans cynisme, jouer dans l'immédiat d'un discours qui sollicite les peurs de l'immigration et de l'islam, la dernière expression en étant la dénonciation d'une "anomalie statistique" devant la hausse du nombre de demandes d'asile par M. Castaner, peut être lui-même une "anomalie ministérielle".
Nul doute qu'à mesure de ce que l'échéance présidentielle se rapprochera, ce discours se complétera, "en même temps", d'un autre discours, républicain et antifasciste celui-là, appelant à faire bloc derrière le président conte la menace d'un Rassemblement National décrit alors comme liberticide, après qu'on ait emprunté à son fonds de commerce. Et dans l'état de décomposition des "Républicains" on voit mal quelle droite parlementaire pourrait trouver un espace pour exister face au président.