"La grève doit être forte, durable car elle est indispensable : elle renverse le rapport de force"AFP
TRIBUNE — Ce jeudi 5 décembre 2019, les organisations syndicales ont appelé à la grève contre la réforme des retraites. Une initiative salutaire, explique l'économiste Frédéric Farah pour Planet, qui signe cette tribune en soutien des grévistes.
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Pour une grève durable

La vraie bataille est celle des récits. La remporter est nécessaire. Le présent gouvernement, malgré un art assez achevé des couacs en matière de communication, l’a bien compris.

Il ne cesse de diffuser son récit par ses relais les plus divers. La grève est l’expression du corporatisme, la prise d’otage des Français, l’expression de privilégiés qui grèvent le budget de la nation et dont la conduite rend impossible, l’avènement d’une réforme égalitaire.

L’objectif est de placer les grévistes dans le camp de la réaction ou de jusque-boutiste qui refusent le progrès.

Alors, faut-il s’abandonner avec confiance aux sirènes macronistes et renoncer à la grève, qui ne serait plus qu’un répertoire dépassé de l’action collective ?

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Nous ne le croyons pas. La grève paraît indispensable.

La grève se devra d’être forte avec une mobilisation sans précédent du privé, car elle doit construire un rapport de force et ne pas être un baroud d’honneur...

Nous voilà, au cœur d’un conflit social de vaste importance, dont la grève doit marquer seulement le coup d’envoi. Une lutte qui s’inscrira à l’enseigne de Camus, où se mêle le pessimisme de la pensée et l’optimisme de l’action.

La réforme des retraites, le démantèlement des services publics, la destruction de l’assurance chômage, pour ne citer que ces éléments, sont l’approfondissement inquiétant de la rupture de notre contrat social, établi dans le préambule de la Constitution de 1946.

Un contrat, qui a enrichi la citoyenneté politique par une citoyenneté sociale. De ce contrat, est née, une économie mixte, c’est-à-dire une économie, qui soustrait une part de ses activités à la marchandisation, trait propre du capitalisme.

"Attention aux leurres, la réforme consacre l'appauvrissement des retraités"

Emmanuel Macron et son équipe veulent parachever un travail entamé, il y a quarante maintenant, celui de la remise en cause des droits des travailleurs.

Le modèle qui doit se substituer à celui de notre ancienne économie mixte , est celui d’un darwinisme économique effrayant, qui laissera seulement un filet de sécurité pour les plus vulnérables.

Les idées de solidarité, de propriété collective, de socialisation des moyens de production sont autant d’obstacles à l’avènement de ce monde, déjà largement présent malheureusement.

Les retraites sont la cible évidente du monde macronien, elles représentent une dépense socialisée d’importance dans le dispositif de protection sociale.

Bien des points restent à éclaircir, mais attentions aux leurres, cette réforme ne vise pas à rétablir je ne sais quelle égalité ou combattre les privilèges, elle consacre l’appauvrissement des retraités.

"Avec sa réforme des retraites, Emmanuel joue la paix sociale"

Un seul point parmi tant d’autres suffit à en percevoir l’intention, limiter la dépense publique pour les retraites, à hauteur maximale de 14% du PIB. Tout est dit.

Par ses modes de calcul, la fameuse retraite à points consacrera jusque la mort, les inégalités générées par le monde du travail : contrats précaires, carrières cabossées, temps partiels subis.

Que l’on comprenne bien, ce qui se joue, c’est un modèle de société, et disons le sans crainte, une certaine paix sociale.

Si Emmanuel Macron porte l’estocade sur les retraites, il poursuivra son travail pour privatiser les pans restants du capital public et aussi de la protection sociale. La capitalisation n’est pas loin.

Frédéric Farah est professeur de sciences économiques et sociales, chargé de cours à Paris Sorbonne, où il est aussi chercheur affilié au Laboratoire PHARE. Avec l'économiste Thomas Porcher, il est co-auteur des ouvrages "TAFTA : l'accord du plus fort" et "Introduction inquiète à la Macron-économie". Seul, il signe aussi "Europe, la grande liquidation démocratique".