La Française des Jeux est-elle une arnaque ?IllustrationIstock
Le 27 janvier, la Française des Jeux dévoilait la nouvelle formule de l'EuroMillions. Si cette version revue de la loterie permet théoriquement de gagner encore plus d'argent qu'avant, il faut se méfier des miroirs aux alouettes. Certains économistes qualifient même la FDJ de vaste arnaque. L'un d'eux nous explique pourquoi.
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"Les joueurs devront toujours choisir cinq numéros, entre 1 et 50, ainsi que deux étoiles entre 1 et 12", expliquait récemment la Française des Jeux (FDJ), dans un communiqué détaillant les évolutions de l'un de ses plus célèbres jeux de loterie : l'EuroMillions. Dorénavant, il devrait être possible de s'enrichir davantage en cas de gain : le jackpot minimum reste maintenu à 17 millions d'euros mais grimpera plus vite de façon atteindre rapidement la barre symbolique des 100 millions. Par ailleurs, trois fois par an, l'entreprise proposera des Méga Jackpot, qui ne pourront pas passer sous la barre des 130 millions d'euros. Enfin, le jeu a été déplafonné : le gain maximum est donc plus important, puisqu'il peut monter jusqu'à 250 millions d'euros.

Et pourtant, malgré tout cela, l'offre de la Française des Jeux ne serait rien de plus qu'une vaste arnaque. C'est en tout cas ce que défend Robert Ribet, ancien ingénieur aujourd'hui retraité, que Le Monde qualifie de "vigie citoyenne". En 2008, Libé le présentait d'ailleurs comme le "cauchemar de la Française des Jeux". Dans les un billet de blog hébergé sur le site du Nouvel Observateur, il s'attaquait alors à l'EuroMillions. Un jeu par essence injuste, explique-t-il, puisqu'il n'applique pas les mêmes règles à tous les européens. Et lui de souligner les différentes probabilités de gagner selon les pays : "une chance sur 60.536 pour la Belgique, une chance sur 30.268 pour l'Espagne ; une chance sur 100.893 pour le Portugal ; une chance sur 76 millions pour l'Irlande, l'Autriche, la Grande-Bretagne ou la Suisse et enfin une chance sur 100.893, pour la France et le Luxembourg", détaillait-il à l'époque, toujours au conditionnel, non sans rappeler que les calculs doivent être vérifiés. La FDJ, elle, annonce 1 chance sur 13 de remporter un lot.

La Française des Jeux est-elle une arnaque ?

Et pourtant, assure Frédéric Farah, ce n'est qu'un seul volet de l'arnaque. Pour l'économiste marqué à gauche, professeur de sciences économiques et sociales, chargé de cours à Paris Sorbonne Nouvelle et chercheur affilié au Laboratoire PHARE, le gros du problème est ailleurs.

"Sans voir le mal partout, je ne peux m'empêcher de remarquer que cette évolution des règles et concomitante de la privatisation de la Française de Jeux - qui, sans doute, ne mérite plus vraiment son nom. Il s'agit de montrer que les produits proposés demeurent attractifs, que libéraliser et ouvrir les vannes permettrait de gagner plus d'argent. Pour autant, il ne s'agit ni plus ni moins que d'une entourloupe", estime l'enseignant-chercheur. 

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L'expert s'attaque en fait à "l'illusion du gain", qui serait selon lui la plus grosse fraude de la Française des Jeux. "Bien sûr, quelqu'un peut toucher le jackpot. Mais laisser penser qu'il est possible - et viable ! - de s'enrichir via le hasard, c'est profiter de la vulnérabilité de gens financièrement fragiles", déplore l'économiste. Avant de rappeler : "On ne produit pas de la richesse avec de la chance. C'est honteux que de le faire croire. On produit de la richesse grâce à des canaux de redistribution, aujourd'hui grippés, à la lutte contre les inégalités… Subtiliser ces rôles essentiels de l'Etat et les remplacer par une société de jeux d'argent est d'un cynisme sans comparaison, en plus d'être dangereux". 

Les jeux d'argents constituent-ils un impôt sur les plus démunis ?

"Ne perdons pas de vue qui sont les gens qui jouent", tient d'abord à rappeler Frédéric Farah, qui souligne que si des cadres supérieurs peuvent parfois remplir une grille ou gratter un ticket, ce sont essentiellement les plus fragiles économiquement qui trouvent refuge dans le jeu. "Le profil type du joueur est clairement renseigné : il s'agit généralement d'individus issus des classes moyennes inférieures ou des classes populaires. On profite de leur vulnérabilité", affirme le chercheur.

"En tendance, ce sont donc essentiellement les employés et les ouvriers qui jouent. Ce sont eux à qui l'ont fait dépenser une fortune, dans un contexte où les plus riches s'enrichissent et les plus précaires s'appauvrissent comme le rappelle le dernier rapport de l'OFCE, pour du vent. Pour une illusion", déplore l'économiste affilié au PHARE qui juge que ces catégories là constituent une "variable d'ajustement aux yeux du pouvoir". Et lui de rappeler que les mêmes mécanismes sont à l'oeuvre avec, par exemple, l'augmentation du prix du paquet de cigarettes. "D'un côté on leur fait miroiter l'enrichissement personnel et on fait de gros sous sur leurs espoirs personnels tandis que de l'autre on profite de leurs habitudes pour les sanctionner financièrement… Et là encore faire des profits. C'est un véritable impôt sur les pauvres", s'indigne l'enseignant.

La privatisation de la Française des Jeux, l'autre volet de l'arnaque ?

"La privatisation de la FDJ et son entrée en Bourse sont une jolie performance, qu'il faudra bien sûr confirmer avec le temps, mais qui clôt brillamment une opération de privatisation à succès", expliquait l'éditorialiste Nicolas Beytout, sur les ondes d'Europe 1, en novembre 2019. Une réussite qui, à en croire Les Echos, pourrait faire la bonne fortune de l'Etat. Pour autant, aux yeux de Frédéric Farah, économiste engagé, elle constitue un problème plus qu'une avancée.

"Rappelons d'abord qu'à l'origine, la Française des Jeux appartenait à l'Etat. Se faisant, elle appartenait donc déjà aux Françaises et aux Français. En leur vendant des actions, on les pousse donc à acheter ce qui était déjà leur propriété…", pointe-t-il du doigt, dans un premier temps. Avant d'en venir à ce qu'il estime être le gros du soucis.

"Plus important, je pense : la privatisation de la Française des Jeux constitue un vrai problème de santé publique. On met en opposition des intérêts profits qui, c'est mécanique, cherchent à maximiser leurs profits et des situations d'addiction potentielle", assène-t-il sans ambages. Et lui de poursuivre : "C'est d'autant plus prégnant que le niveau de vie général se tasse et donc que les produits, même sans intervention de l'entreprise, deviennent plus attractifs. Somme toute, le privé organisera forcément les addictions de demain. Je suis prêt à parier que, dans les années à venir, les scandales sanitaires en lien avec la FDJ vont se multiplier".