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"J'ai entendu, ce matin, les propos de madame Pulvar, explicitant clairement que, pour elle, la police n'était pas raciste", annonçait récemment Gérald Darmanin sur Twitter, quelques jours seulement après avoir déclaré sa volonté de porter plainte contre l'ancienne journaliste aujourd'hui en campagne. Le ministre de l'Intérieur lui reprochait alors d'avoir attaqué l'institution policière ainsi que les gardiens de la paix ; de leur avoir fait un procès en… racisme. Ce que le premier flic de France n'aurait su tolérer.
Depuis, l'adjointe à la mairie de Paris a tenu à clarifier le propos qu'elle dit avoir toujours tenu… et a saisi la "main tendue" du ministre, qui a retiré sa plainte. Point de débat, donc, devant les jurés mais cela ne signifie pas qu'il n'y aura pas d'échange, au contraire. Les deux candidats - Gérald Darmanin a indiqué vouloir briguer le canton de Tourcoing-2 - devraient donc discuter du caractère raciste des agents de police, mais aussi du système dans lequel ils évoluent. Si tant est que l'un des deux intervenants tienne cette ligne : Audrey Pulvar a en effet affirmé son soutien à la police nationale, une "institution de la République" qu'elle "respecte", rapporte le titre de presse locale L'Indépendant.
Peut-on vraiment dire de la police qu'elle est raciste ?
"Les propos racistes, c'est tout le temps. Tous les jours", affirment pourtant certains agents, en service depuis plusieurs années. L'un d'entre eux se confiait auprès de France Info en juillet 2020. "Rapidement, je me suis rendu compte que c'était un milieu raciste", poursuit-il non sans expliquer combien il a tenté de faire changer les choses de l'intérieur. "Pendant le confinement, on effectuait des contrôles d'attestation de déplacement dans les véhicules. Souvent, et naturellement, mes collègues excusaient les personnes blanches, les jeunes femmes, qui n'avaient pas leur attestation. Mais les personnes 'de couleur' étaient verbalisées", détaille-t-il alors, expliquant en avoir parlé à sa hiérarchie. Rien n'y fait. Et enfin, arrivent certains mots parmi les plus évocateurs : "J'ai débriefé avec mes collègues. Ils n'arrivent même pas à l'expliquer, pour eux, c'est naturel."
Est-il encore possible, après ce type de témoignage, de rejeter l'idée que la police soit rongée de racisme ? Peut-être. Pour Mathieu Zagrodzki, chercheur associé au Centre de Recherches Sociologiques sur le Droit et les Institutions Pénales et qui a notamment écrit "Que fait la police ? Le rôle du policier dans la société" (ed. de l'Aube), la situation est complexe et si l'on ne peut exclure la part de vraie que contiennent les accusations de racisme qui pèsent sur la police, il serait malhonnête de réduire l'institution à ce seul élément. Explications.
Oui, la police est raciste, mais…
"On ne peut évidemment pas nier l'existence d'attitudes racistes, d'opinions racistes et de comportements racistes au sein de la police française. C'est un fait avéré et documenté par plusieurs enquêtes journalistiques et travaux scientifiques", rappelle d'entrée de jeu le politologue, qui souligne que "l'Institution elle-même ne nie pas cette réalité, à échelon individuel".
Toute la question, insiste Mathieu Zagrodzki, porte sur le caractère systémique du racisme dont la police peut faire preuve. "Bien sûr, la nature discriminatoire de certaines procédures ne peut pas être réfutée non plus. Le sur-contrôle de certaines catégories de la population, issues des minorités visibles, est lui aussi avéré. La recherche est assez unanime à ce sujet en France", détaille le chercheur.
Pour le scientifique, le problème est effectivement d'ordre institutionnel. Mais il est peut-être plus complexe qu'on ne le croit parfois. "Le système, si souvent décrié, ne génère pas un racisme et des discriminations de façon directe. Ce n'est pas la loi qui impose aux policiers de sur-contrôler spécifiquement les populations précédemment citées. Ce n'est pas non plus, sauf cas exceptionnel, un ordre de la hiérarchie ou du pouvoir politique. Tout ceci se fait de façon beaucoup plus indirecte : les consignes données, les objectifs de résultats rapides, conduisent les agents à se tourner vers des délits plus visibles et plus simples à résoudre ; et donc, souvent, à se focaliser sur les populations issues de l'immigration ou originaires de banlieues", juge le co-auteur de Vis ma vie de flic (ed. Hugo:doc).
Dès lors, il devient plus simple d'admettre qu'il y a, dans les accusations de certains militants s'attaquant à l'institution policière, une part de vrai.
Depuis quand la police est-elle raciste en France ?
"Pour un bon nombre de militants opposés à l'institution, la police est la continuation du système colonial ; qui ferait perdurer les pratiques qui avaient cours dans les colonies en banlieue. Là encore, c'est quelque chose que l'on ne peut nier à mon sens. Toute institution, en effet, est marquée par son histoire", rappelle sans ambages Mathieu Zagrodzki. Pour autant, assure-t-il, il est nécessaire de nuancer le propos.
"Il serait, cependant, extrêmement réducteur de s'arrêter à ce seul point. L'histoire de la police ne se limite évidemment pas à la colonisation. Elle a été créée sous Louis XIV, puis structurée sous Napoléon afin, avant tout, de contrôler la population française métropolitaine. Il s'agissait alors de réprimer les contestations ainsi que de lutter contre la criminalité quotidienne", poursuit le chercheur.
"C'est bien de tout cela que les pratiques sont le produit. Elles reflètent la priorité de l'exécutif en place, la tendance historique de la police française à être et demeurer un instrument du pouvoir politique. Pour autant, elles en disent aussi long sur les contraintes plus court-termistes auxquelles font face les agents, les impératifs de production de résultats rapides qui leurs sont imposés et les encouragent mécaniquement à s'en prendre aux jeunes issus de l'immigration. Dès lors, l'Etat colonial n'est qu'une des couches successives qui se superposent et parfois se contredisent, pour constituer ce qu'est aujourd'hui la police hexagonale", analyse encore le scientifique, qui n'est pas sans identifier plusieurs pistes d'améliorations nécessaires pour pouvoir prétendre à l'apaisement dans les années à venir.
Est-il encore possible de calmer les relations entre policiers et tout ou partie du reste de la population ?
Violences policières, racisme systémique… Nombreux sont les griefs que certains Français formulent à l'égard des agents du maintien de l'ordre. La situation, parfois, peut même s'avérer explosive. Mais il est encore possible, estime Mathieu Zagrodzki, d'amorcer une désescalade.
"Avant toute chose, il faut changer l'orientation de la police. Aujourd'hui, elle est surtout basée sur l'intervention et l'interpellation, ce qui reste une politique très offensive. Cela implique que les populations victimes des comportements discriminatoires de l'institution ne sont en contact avec les agents que dans des circonstances hostiles. Il faut, à mon sens, permettre des rencontres de dialogues en sortant du cadre formel du contrôle policier. Il faut que chacun puisse se comprendre. Cela passerait sans doute par la création d'instances spécialisées", propose le politologue, qui estime qu'il faudra aussi travailler sur la formation des gardiens de la paix.
"Il m'apparaît important, également de revoir la formation des policiers en matière de résolution de conflit et de dialogue. L'attrait pour l'action des nouvelles recrues est évident et engendre un décalage entre la projection et la réalité du métier, qui peut poser de vraies problèmes", poursuit-il, non sans rappeler qu'il faudra aussi "faire de la pédagogie du côté de la société française", notamment sur "l'utilité de la police ou le civisme". "Ce conflit n'a pas qu'une seule facette et tout n'est pas toujours la faute de la police", soutient-il encore.