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Emmanuel Macron fait face, à en croire plusieurs observateurs, à une véritable "bombe sociale". Cette menace, qu’il lui faudrait désamorcer, c’est évidemment la grève des cheminots. Annoncée depuis plusieurs semaines, elle doit se poursuivre de façon perlée jusqu’au 28 juin. Ce lundi, le taux de grévistes s’est établi à 24,9% à midi. Le trafic est très perturbé, tandis qu’une partie de la gauche appelle de ses voeux à l’union des luttes pour revoir le système social en France et forcer le gouvernement à reculer.
Pourtant, jusqu’à présent, le président de la République est resté étonnamment silencieux sur la question. Pourtant présent sur de multiples fronts, il garde cette fois ses distances de la mêlée laissant à Edouard Philippe et Elisabeth Borne le soin de porter le combat en première ligne. Pour Myriam Encaoua et Pauline Theveniaud, toutes deux journalistes au Parisien, le chef de l’Etat "joue à pleins des institutions de la Vème République qui lui permettent de se retrancher derrière le paratonnerre de Matignon."
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Une analyse contre laquelle Raul Magni-Berton, politologue et enseignant-chercheur en sciences politique à l’IEP (Institut d’Etudes Politique, Sciences Po) Grenoble, a tendance à s’inscrire en faux. "Bien évidemment, on ne peut pas exclure la possibilité qu’Emmanuel Macron cherche à réaliser un transfert de responsabilité au gouvernement. J’ai du mal à imaginer, toutefois, que ce soit son pari", indique le chercheur. Selon lui, la stratégie aurait pu être pertinente, dans un autre contexte. Voire une autre époque. "Aujourd’hui, personne n’ignore la responsabilité de nos présidents dans la politique appliquée par le gouvernement. Emmanuel Macron aura beaucoup de mal à se déresponsabiliser de ce que font ses collaborateurs. Qui plus est, s’il opte pour cette stratégie à charge contre ses ministres il risque de créer de fortes inimitiés qui pourraient lui être néfaste par la suite", souligne l’analyste. A ses yeux, un transfert de responsabilité aurait plus de sens dans le cadre d’une cohabitation à couteaux tirés, où le président est plus libre de se désolidariser du gouvernement. "Dans la configuration actuelle, la majorité parlementaire et un pan du gouvernement doivent tout au président", rappelle-t-il.
Parle à ma main !
Pour le politologue, la stratégie d’Emmanuel Macron est différente. Construite sur deux aspects, elle consiste d’abord à ne délivrer qu’une parole rare. C’est précisément ce qu’a fait le locataire de l’Elysée au Touquet, quand il a été sommé par un habitant de "ne rien lâcher". "Il opte pour une certaine forme de silence et se faisant, il ne nourrit pas la vindicte. C’est une façon d'étouffer le mouvement social en le laissant s’essouffler sur lui même, faute de lui accorder de l’importance. En ignorant les grévistes et leurs revendications, il les prive d’un peu de visibilité", juge Raul Magni-Berton.
Autre axe sur lequel se construit la stratégie du président de la République : la justification par l’Allemagne et, d’une façon générale, l’international. "A l’étranger comme à l’intérieur, un chef d’Etat incapable de tenir son pays est rarement perçu comme crédible. En rappelant que les réformes sont attendues par l’Union Européenne, il invoque des équilibres internationaux qu’il faudrait respecter. Au passage, il se présente comme fortement soutenu, notamment par des puissances économiques régulièrement prises pour exemple comme l’Allemagne. Il cherche à donner l’image d’un soutien puissant derrière lui, face à un mouvement social qui serait marginal", analyse l’enseignant qui souligne également l’absence de réponse argumentée aux revendications des cheminots. "Ici, il ne s’agit pas de parler de fond. Cela ressemble surtout à un argument d’autorité."
Jusqu’où Emmanuel Macron pourra-t-il aller ?
Ce n’est pas, à en croire Raul Magni-Berton, une stratégie si rare quand il s’agit de faire face à un mouvement de grève. Du moins, sur toute la dimension silence présidentiel. "Je pense qu’Emmanuel Macron ignore plus ouvertement les revendications des grévistes que ne le ferait un président issu de la droite républicaine. Culturellement, la droite a davantage tendance à invoquer une certaine autorité hérité du mandat confié par les Français. Le président assoit sa crédibilité sur une espèce de cercle de la raison. C’est surtout là qu’il impose son style", précise-t-il.
Est-ce qu’une telle tactique pourra permettre au président de la République de mener la réforme de la SNCF sans encombre ? Probablement pas. "Il y a un vrai danger pour Emmanuel Macron. Ce n’est pas pour rien que ce projet arrive en début de mandat : on commence toujours pas ce qui est risqué, pour finir sur ce qui est populaire", explique le chercheur. "A court terme, ignorer le mouvement social n’est pas forcément idiot, bien au contraire. C’est une façon d’en tester la force, les ressources. Cependant, s’il parvient à prendre de l’ampleur, à gagner le soutien d’autres corps de métier et de la population, la stratégie ne sera plus tenable. Il faudra faire des concessions, en revenir à la concertation, dont on voit aujourd’hui qu’elle a été trop superficielle", conclut l’enseignant-chercheur.