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Emmanuel Macron : pourquoi parle-t-il tant d’immigration ?
"Nous n’avons pas le droit de ne pas regarder le sujet en face. En prétendant être humaniste, on est parfois trop laxiste", assénait Emmanuel Macron le 16 septembre 2019 devant un parterre de parlementaires. Le président, rappelle Le Monde, parlait alors d’immigration.
Un sujet auquel il s’est accroché depuis sa rentrée politique, et qu’il a refusé de lâcher du mois. "L’islamisme radical est en train de rentrer par petits bouts" grâce à l’immigration clandestine, déclarait-il à Mayotte, à l’occasion d’un voyage présidentiel de quatre jours dans l’océan Indien. Et le chef de l'État d’ajouter, note Libération : "Vous avez vu les chiffres du RN ici, les habitats insalubres, la difficulté économique. Ça a une résultante : les Mahorais disent ‘si vous laissez l’immigration clandestine, il n’y a plus de règles, comme je fais pour vivre ?’".
Si Emmanuel Macron s’acharne à parler d’immigration, explique Les Echos, c’est parce qu’il souhaite faire du régalien un "axe majeur de l’acte II de son quinquennat". "Il y a un durcissement de notre politique migratoire sans pour autant tomber dans le piège dans lequel s’était fourvoyé Claude Guéant avec sa circulaire sur les étudiants étrangers", précise d’ailleurs un "conseiller ministériel", comme pour solidifier ce volet du programme présidentiel. Une question demeure néanmoins : pourquoi forcer le trait sur une thématique si éloignée des sujets "fondamentaux" du président que sont l’économie et le social, au moins à croire Le Figaro ?
"Depuis les résultats des élections européennes, Emmanuel Macron est décidé à stabiliser son électorat de centre droite, ainsi qu’à étouffer autant que faire se peut Les Républicains (LR). Cela implique mécaniquement de se repositionner plus à droite", analyse pour sa part Christophe Bouillaud, politologue et professeur de science politique à l’IEP Grenoble. "Finalement, le président de la République met un terme au double discours qu’il tenait sur le sujet : depuis la campagne, il parlait d’immigration en termes relativement humanistes mais une fois au pouvoir il a mené une politique particulièrement restrictive. Son verbe rejoint aujourd’hui son acte", explique le chercheur.
Ce n’est pas l’unique raison qui pousse Emmanuel Macron à multiplier les sorties en matière de politique migratoire. "Évidemment, on peut penser qu’il fait le pari de la récupération du Rassemblement National (RN). Ou au moins, qu’il cherche à en détourner les moins fervents", estime l’enseignant. Une stratégie qui pourrait s’avérer particulièrement risquée…
Emmanuel Macron et l’immigration : un sujet qui l’effraie ?
"Les bourgeois n’ont pas de problèmes avec l’immigration : ils ne la croisent pas. Les classes populaires vivent avec", lançait encore le chef de l'État, à l’occasion de son discours de rentrée. Ce n’est d’ailleurs pas la première fois que la thématique divise la majorité présidentielle, souligne Le Point. Un an plus tôt, presque jour pour jour, le sujet scindait encore les députés de La République en Marche qui votaient la loi asile et immigration.
C’est que l’immigration - et plus généralement la dimension régalienne - effraient le président, explique le quotidien du soir. "Il ne veut pas reproduire la coupable naïveté de Lionel Jospin, qui se pensait protégé par son bilan économique", écrivent les journalistes du Monde. Le Premier ministre de Jacques Chirac n’avait pas passé le premier tour, en 2002.
"Emmanuel Macron a raison d’avoir peur. Un scénario à la Jospin est assez crédible puisqu’il a tendance à laisser de côté les classes moyennes. Mécaniquement, si ces dernières trouvent un candidat qui leur paraît à la fois crédible et plus intéressant, ils le lui préfèreront. Le président serait alors perçu comme le sortant, dans la continuité de ce qui a été fait. Il est plus difficile de faire campagne dans cette situation", précise Christophe Bouillaud. Et, pour le chercheur, c’est loin d’être le seul point commun entre les deux hommes d'État.
"Comme Lionel Jospin, Emmanuel Macron a de quoi penser avoir fait du bon travail : il se base sur les mêmes indicateurs que sont la croissance, le taux de chômage ou le pouvoir d’achat, par exemple. Problème ? Ils ne sont plus aussi révélateurs qu’ils ont pu l’être. Davantage que le taux de chômage, c’est sur le taux d’inactivité qu’il faut se baser et plutôt que de s’intéresser à la croissance, il faut prendre en compte la montée des inégalités", juge l’enseignant-chercheur, pour qui tous ces éléments entérine les éventuelles craintes du président dans le réel.
Emmanuel Macron parle trop d’immigration et cela pourrait lui coûter cher
Il marche sur un volcan. C’est en tout cas ce qu’explique le journal Libération, marqué à gauche. Il est clair que le pari du président de la République, indépendamment des indignations et des débats de fond qu’il est susceptible de soulever, est risqué. Pour lui et pour sa famille politique, certes, mais pas seulement.
"En reprenant l’adversaire, qui est ici le Rassemblement National, Emmanuel Macron le légitime. Ce faisant, il ratifie l’idée - dont on pourrait pourtant discuter - qu’il existe effectivement un problème d’immigration en France. C’est quelque chose de dangereux, et pour cause ! N’oublions pas que quoiqu’il dise, peu importe combien il se radicalise, Emmanuel Macron restera moins crédible aux yeux des électeurs", alerte le politologue. "L’opposant, en politique, est plus susceptible de vendre du rêve que le pouvoir en place. Parce qu’il n’incarne pas la continuité de l’action, un électeur est plus susceptible de croire qu’une fois aux plus hautes fonctions de l'État, il fera changer les choses ainsi qu’il le prétend", détaille Christophe Bouillaud. Un problème d’ordre politique qui ne menace donc pas que le président de la République mais potentiellement l’intégralité de la société. D’autant plus quand l’on sait que les actes racistes augmentent, comme le rappelle le Nouvel Observateur.
"La stratégie choisie par Emmanuel Macron paye d’autant moins qu’elle pourrait le couper d’un pan de sa base. L’aile gauche de son électorat risque fortement de penser qu’elle s’est fait voler l’élection de 2017 et, par conséquent, de se désengager", pointe du doigt le chercheur. "Par ailleurs, ne perdons pas de vue que s’opère peu à peu un renouvellement des générations électorales. Or, celles qui s’apprêtent à remplacer les actuelles sont plus tolérantes, à en croire un récent rapport de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH). À force de courir après le Rassemblement national, le chef de l'État pourrait bien dégoûter des jeunes pourtant potentiellement touchés par son discours", poursuit le politologue. Et lui de conclure : "Au fond, le pari que fait aujourd’hui Emmanuel Macron a quelque chose de très ancien monde !"