Culture "woke" : de quoi parle-t-on, au juste ?AFP
Êtes-vous "woke" ? Ce mot anglais, qui traduit théoriquement le caractère éveillé d'une ou d'un individu, est utilisé par certain(e)s militant(e)s marqué(e)s à gauche. Il désigne un courant politique qui, peu à peu, s'immisce dans le débat.
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Anne Hidalgo ne fera pas campagne sur le "wokisme". La maire de Paris, qui a finalement décidé de concourir devant les Françaises et les Français pour l’accès à l’Elysée, n’a pas véritablement prononcé cette phrase, rapporte Libération. C’est pourtant ainsi que Le Point a décidé de titrer l’interview que la socialiste a accordé à ses journalistes… Sans réaction notable de l’élue ou de ses équipes. Et pour cause ! Si ce n’est pas stricto sensu ce qu’a dit l’ancienne conseillère régionale d’Île-de-France, il n’y a pas pour autant détournement de son propos.

Mais de quoi parle-t-on, au juste ? Que signifie "être woke", ou "éveillé" en français ? Fondamentalement, résume le titre de presse belge RTBF (Radio-télévision belge de la communauté Française) sur son site, il s’agit d’une idéologie politique en provenance des campus américain. Sa philosophie est identifiée : il s’agit de "lutter contre les injustices et les inégalités", écrivent nos confrères. Être éveillé(e), en l'occurrence, signifie donc être conscient ou consciente de l’ensemble des discriminations et des oppressions qui structurent la société. En France, Anne Hidalgo n’est pas la seule figure politique à s’être saisie du sujet. Sandrine Rousseau, candidate malheureuse à la dernière primaire des écologistes, s’est déjà revendiquée "woke", rapporte Marianne. "Bien sûr que je suis woke", aurait affirmé l’ancienne porte-parole d’EELV, qui s’est volontiers présentée comme "écoféministe".

Élection présidentielle 2022 : c’est quoi le "wokisme" ?

Le mouvement de pensée "woke" semble s’être démocratisé dans le courant des années 2010, aux Etats-Unis. Cependant, d’après Mireille-Tsheusi Robert, présidente de l’association féministe et antiraciste Bamko-CRAN, il s’agit d’une philosophie politique plus ancienne. "Cela remonte à plus de deux siècles sous Abraham Lincoln, c’était un mouvement créé par les anti-esclavagistes qui se revendiquaient déjà éveillés. Cela fait partie de l’histoire du militantisme, c’est à prendre au sérieux", déclare-t-elle devant les micros de la RTBF.

Depuis, poursuivent nos confrères d’outre-Quiévrain, le mot est employé par les militant(e)s pour désigner quelqu’un prêt(e)s à lutter contre le sexisme, le racisme, l’homophobie, la grossophobie, le validisme… et d’une façon générale un attachement à des politiques "progressistes" répondant à ce qui leur apparaît être des "problématiques structurelles". Bien souvent, cela passe par le fait de rendre la parole aux concernés (les femmes, dans le cadre du sexisme par exemple, les personnes LGBTQI+ dans le cadre de l’homophobie, les personnes "racisées" dans celui du racisme, etc) et d’apprendre à ne plus les infantiliser.

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D’autres, cependant, pourraient donner une autre définition de la culture "woke"... Souvent moins bienveillante. Force est de constater que le mouvement attire les critiques — et inquiète.

Qui critique la culture "woke" et pourquoi ?

Pourquoi critiquer un courant politique dont la première aspiration est l’égalité de traitement, la lutte contre les injustices et les oppressions ? Quand la culture "woke" est évoquée, elle l’est souvent en termes très durs. Ses détracteurs, que l’on retrouve généralement à la droite de l’échiquier politique - mais pas seulement -, comme l’explique Le Monde, n’hésitent pas à évoquer une forme de "totalitarisme". D’autres craignent "l’importation d’un débat sur la race made in USA au sein d’une société française portée par l’universalisme républicain", écrivent les journalistes du quotidien du soir. C’est, semble-t-il, le cas du chef de l’Etat lui-même.

Nombreux, par ailleurs, sont ceux qui dénoncent la "cancel culture" — c’est-à-dire la volonté supposée de certains militants de censurer les œuvres - voire l’histoire elle-même, ainsi qu’en témoigne le déboulonnement de certaines statues ! - qui ne correspondraient pas aux valeurs qu’ils défendent ; de faire taire celles et ceux qui seraient soupçonnés de racisme, de sexisme ou d’une façon générale de perpétrer des oppressions. La "menace", ont estimé certains sociologues - parmi lesquels Michel Wieviorka - dont parle le titre de référence, est "exagérée".

"Ce sont des mouvements complexes qui ont plusieurs courants, on n’est pas obligé d’effacer l’histoire et de censurer ou bloquer toute liberté d’expression, mais il y a un devoir d’analyse pour essayer de comprendre la trajectoire du racisme. Comment la culture sert de support pour la transmission du racisme ? Ce n’est pas parce que l’on analyse ces questions que l’on censure mais certaines personnes n’ont pas envie qu’on fasse cette analyse", répond Mireille-Tsheusi Robert auprès de nos confrères d’outre-Quiévrain. Selon elle, toutes ces critiques traduisent la crainte de certains, jugés "privilégiés" (parce que blancs, par exemple) qui ne souhaitent pas perdre les avantages dont ils seraient aujourd’hui les détenteurs.

La culture "woke", une affaire de générations ?

La France est-elle soudainement devenue "woke" ? Pas à en croire un récent sondage de l’IFOP, qui jetait un autre éclairage sur la question : seuls 14% des répondants ont affirmé avoir entendu parler de ce mouvement politique. Parmi eux, seuls 6% ont déclaré savoir de quoi il s’agissait. La réponse ne fait d’ailleurs pas l’ombre d’un doute pour le sociologue Michel Wieviorka : "Non, la France n'est pas envahie par le 'wokisme' !", déclare-t-il dans les colonnes de L’Express.

Cependant, il apparaît évident que la rupture avec la culture "woke" est - pour partie, au moins - générationnelle. Pour ses opposants, le "wokisme" est le fruit d’une "génération fragile", trop protégée par l’éducation qu’elle aurait reçu et dépendante de l’intervention des autres pour régler ses problèmes, à en croire Pierre Valentin, étudiant et auteur de plusieurs notes sur le sujet pour le think tank Fondapol à qui Marianne a décidé de donner la parole.

Jacinthe Mazzocchetti, anthropologue (LAAP-UCLouvain) et autrice, y lit aussi une question générationnelle… parce que liée aux réseaux sociaux. Ces derniers, affirme-t-elle, permettent d’autres formes de militantisme. 

"Les réseaux sociaux sont des nouveaux lieux d’expression, de contestation et de visibilisation des luttes, c’est une autre manière de se faire entendre. Il y a la mise en place de militantismes avec la question de l’égalité des droits. Le racisme structurel ou le patriarcat sont des combats dont le nœud est similaire", déclare-t-elle.