De nouvelles règles d’indemnisation entreront en vigueur en avril 2025 et impacteront durement les plus âgés.
"Depuis le début je ne pensais qu'à une seule chose : au coronavirus. On aurait dû tout arrêter, c'était une mascarade. La dernière semaine a été un cauchemar. J'avais peur à chaque meeting. J'ai vécu cette campagne de manière dissociée", assénait Agnès Buzyn, ancienne ministre de la Santé et des Solidarités, quelques temps après son échec parisien. Arrivée troisième, derrière Anne Hidalgo et Rachida Dati, l'ancienne superstar de la Macronie a multiplié les propos piquants à l'encontre du gouvernement, rappelle Le Figaro. Certains d'entre eux pourraient considérablement embarrasser l'exécutif...
"Je rongeais mon frein", a-t-elle poursuivi, expliquant qu'elle savait "que la vague du tsunami était devant nous". "Je suis partie en sachant que les élections n'auraient pas lieu", déclarait-elle encore. Pourtant, souligne le quotidien marqué à droite, l'ancienne praticienne hospitalière se voulait rassurante fin janvier 2020. A ce moment, elle présentait le "risque de propagation du coronavirus dans la population" comme étant " très faible".
Si les propos ont de quoi choquer, c'est aussi parce qu'ils pourraient avoir d'importantes retombées juridiques, comme le rappelle le titre de presse. Un détail que n'ont pas manqué de relever certaines figures de l'opposition. "Se rend-elle compte qu'elle engage sa responsabilité pénale et celle des autres personnes qu'elle dit avoir prévenues ? La mission d'information décidée ce matin en conférence des présidents à l'Assemblée nationale doit se saisir de ces aveux", s'est par exemple offusqué Jean-Luc Mélenchon.
Depuis, Agnès Buzyn a dit regretter certains de ses mots, rapporte La Dépêche. Si elle devait s'exprimer à nouveau sur la question, elle ne parlerait plus de mascarade, a-t-elle déclaré. Pour autant, cela change-t-il drastiquement la situation ? Pour Maître Guillaume Jeanson, avocat au barreau de Paris et porte-parole de l'Institut pour la Justice, le risque est réel pour le pouvoir en place. Mais il n'en concerne pas tous les visages de la même façon.
Emmanuel Macron doit-il craindre un retour de bâton après les propos d'Agnès Buzyn ?
L'avocat, qui juge les propos d'Agnès Buzyn "particulièrement choquants", n'entend pas revenir dessus. Pour autant son avis sur la question est clair : "Peuvent-elles donner lieu à une mise en jeu de la responsabilité juridique des dirigeants ? En théorie oui. Du moins pour certains d'entre eux", explique-t-il au micro de Planet.
Le fait est que tous ne sont pas mis en danger de la même façon. "Le président de la République bénéficie de son côté d'une immunité de fond. L'article 67 de la constitution dispose en effet qu''il n'est pas responsable des actes accomplis en cette qualité'", résume le spécialiste, qui tempère ensuite : "Reste bien sûr la destitution prononcée par la Haute Cour, mais c'est évidemment très différent".
"A l'inverse, les ministres demeurent, de leur côté, pénalement responsables en vertu de l'article 68-1 de la constitution 'des actes accomplis dans leurs fonctions et qualifiés de crimes ou délits à l'heure où ils ont été commis'. Ils peuvent alors être renvoyés devant la Cour de justice de la République, une juridiction ad hoc composée de magistrats judiciaires mais aussi de parlementaires", précise-t-il ensuite.
Edouard Philippe est-il menacé ?
Si Emmanuel Macron ne risque pas grand chose sur le plan juridique, la situation de son Premier ministre pourrait s'avérer autrement plus délicate. "Sans immunité de fonction, il pourrait notamment être exposé à des poursuites tentées notamment sur le fondement de l'infraction d'homicide involontaire", résume Me Jeanson.
Et lui de nuancer, cependant : "Sa qualité de personne physique et le lien de causalité indirect qui existerait alors entre le préjudice subi par les victimes et la faute qui serait alors alléguée contre lui impliquerait toutefois la nécessité de retenir une faute particulière pour que sa responsabilité puisse être pénalement engagée".
Concrètement, cela signifie qu'une "faute simple" ne pourrait suffire à mettre Edouard Philippe en danger sur le plan juridique.
"On parle ici techniquement d'une faute 'qualifiée'. La loi exige en effet en de telles hypothèses que la faute constitue soit 'une manifestation délibérée d'une obligation particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement' soit 'une faute caractérisée qui expose autrui à un risque d'une particulière gravité (que son auteur) ne pouvait ignorer'", explique l'expert, non sans ajouter que la Cour de justice de la République, normalement compétente sur ces questions, devait être supprimée par le projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique...
Depuis, souligne l'avocat, "le texte a semble-t-il été rangé dans un tiroir pour cause d'agitation sociale par trop sensible cette dernière année".
"L'exposé des motifs de ce texte présenté justement par Edouard Philippe précisait toutefois qu'il n'était pas question de supprimer la fameuse commission des requêtes qui devrait donc continuer -si ce texte finissait par être voté -, d'opérer 'un filtrage pour écarter les requêtes manifestement non fondées'. Ce premier point permettrait peut-être d'écarter une première tentative de mise en jeu de la responsabilité du ministre. Un autre point mérite attention", alerte le porte-parole de l'IPJ. L'un des objectifs du texte, détaille-t-il, était d'empêcher la mise en cause de la responsabilité des ministres en cas d'inaction, lors que le choix de ne pas agir ne leur est pas directement et personnellement imputable.
Une situation qui n'est pas sans soulever un certain nombre de questions. "Qui des scientifiques consultés ou du personnel politique en place seront tenus finalement pour principaux responsables ?", interroge l'avocat, qui rappelle la ligne de défense d'Edouard Philippe sur le plateau de France 2, face à Anne-Sophie Lapix : les scientifiques n'étaient à l'époque pas tous d'accords.
Quid de la responsabilité d'Agnès Buzyn ou d'Olivier Véran ?
"Olivier Véran a été nommé il y a un mois seulement pour affronter en urgence des dossiers d'une difficulté qu'on ne souhaiterait à personne arrivant tout juste en responsabilité. Sans chercher à jeter en pâture d'autres noms car l'heure n'est pas encore au bilan mais plus à l'unité, il me semble que l'histoire de la Vème République peut néanmoins nous servir utilement de boussole pour tenter de discerner qui a déjà pu, par le passé, être tenu redevable devant les français en cas de fiasco sanitaire", rappelle d'entrée de jeu Me Guillaume Jeanson, qui prend pour point de comparaison l'affaire du sang contaminé.
"Bien sûr, le cœur du scandale était différent mais reconnaissons que, devant l'ampleur de la crise sanitaire que nous traversons, nous serions de toutes façons bien en peine de trouver un précédent parfaitement valable", précise-t-il avant d'entrée dans le détail : à l'époque, trois membres du gouvernement avaient été renvoyés devant la cour de justice de la république. "La ministre des affaires sociales, Georgina Dufoix, le secrétaire d'Etat à la Santé, Edmond Hervé et, comme tout le monde s'en souvient, le premier ministre Laurent Fabius", se remémore l'avocat.
"Seul Edmond Hervé avait alors été condamné. Mais il avait été dispensé de peine. Les deux ministres avaient quant à eux été relaxés. Précisons également que d'autres personnes avaient également été mises en causes : médecins et conseillers ministériels ainsi qu'un autre ancien ministre de la santé, Claude Evin. Mais ces derniers n'avaient même pas franchi le stade de la commission d'instruction", raconte le spécialiste, qui ne semble pas très inquiet pour le personnel politique actuel.
"A l'aune de ce précédent et face à la tendance généralisée qu'a eu monde occidental, depuis l'Italie jusqu'à l'Angleterre ou les Etats-Unis, à minimiser la gravité de la menace du covid 19, peut-on sérieusement imaginer que, même s'ils devaient être inquiétés pénalement, la responsabilité des responsables politiques serait un jour réellement et surtout lourdement engagée ? A l'heure où nous évoquons cette question -et à cette heure-ci seulement, car la situation évolue très rapidement- rien ne nous paraît moins sûr", conclut-il.