Qui profite de la suppression de l'ENA, voulue par Emmanuel Macron ?AFP
Le président s'était engagé à supprimer l'ENA. Il n'a visiblement pas oublié sa promesse. Mais pourquoi démanteler ainsi l'une des écoles représentative de l'excellence à la française ? A qui profite le crime ? Éléments de réponse.
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"Il faut supprimer, entre d’autres, l’ENA", assurait Emmanuel Macron en avril 2019. Le président de la République faisait alors face à la colère de milliers - sinon de dizaines de milliers - de Françaises et de Français tous rassemblés sous la désormais célèbre chasuble jaune. De toute évidence, le chef de l’Etat estimait alors que l’Ecole nationale d'administration a fait son temps. "Je ne crois pas au ‘rafistolage’, à la réforme ‘un peu’", poursuivait-il alors, jugeant qu’il s’agissait de créer un univers plus propice à la diversité, rappelle France Info.

Pourtant, Emmanuel Macron semblait jusqu’à peu avoir oublié sa promesse. Peu de temps après son engagement, le chef de l’Etat a commandé un rapport sur la question à Frédéric Thiriez, juriste et haut fonctionnaire. Ce dernier est arrivé sur la table du président en février dernier… et comportait pas moins de 42 pistes pour réformer la haute fonction publique. L’idée de la suppression fait donc un retour en force assez soudain. Mais qui profiterait d’une telle situation ?

Suppression de l’ENA : à qui profite le crime ?

Toute la presse l’a annoncé : le chef de l’Etat travaille désormais à la réforme de la haute fonction publique, laquelle s’appuierait alors sur une "mesure phare et symbolique", insistent nos confrères d’Europe 1. Une suppression qui, convenons-en tout de suite, n’a rien d’apolitique.

"C’est Emmanuel Macron qui profitera le plus de la suppression de l’ENA. Ne perdons pas de vue qu’il ne s’agit ni plus ni moins que d’un affichage populiste. Il s’agit, pour le président de la République de se trouver des boucs-émissaires. Force est de constater que la gestion de la crise sanitaire laisse à désirer. Le quinquennat d’Emmanuel Macron lui-même peine à imprimer positivement. Pointer du doigt l’ENA, c’est se décharger de la faute sur l’administration", commente le politologue Christophe Bouillaud pour qui le discours est d’autant plus hypocrite qu’il est tenu par quelqu’un qui doit ce qu’il est… à l’Ecole nationale d’administration.

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Suppression de l’ENA : outre les manœuvres politiques, est-ce une bonne idée ?

"Il n’y a rien d’anodin à ce qu’Emmanuel Macron évoque de nouveau la suppression de l’ENA en ce moment. C’est une mesure idéale pour donner des gens à haïr à la population ; leur jeter une certaine élite en pâture. Il en avait déjà parlé pendant la crise des Gilets Jaunes parce que c’est un sujet simple à invoquer dans ce genre de situation. C’est un paratonnerre qui permet de détourner l’attention de la nullité de nos élites politiques", poursuit le politologue, qui enseigne à l’Institut d’Etudes Politiques de Grenoble.

Ce qui ne signifie pas qu’il s’agisse là d’une bonne idée sur le plan politique. "L’ENA, il faut le rappeler a été très bénéfique à la France pendant des années. C’est à elle que nous devons la fonction publique de très haute qualité que nous avons pu avoir et son sens de l’intérêt général.Le drame, car l’histoire n’est évidemment pas parfaite, est survenu il y a trente environ. C’est à ce moment-là que l’Ecole nationale d’administration a été repérée par un certain nombre de candidats qui ne l’ont vue que comme un multiplicateur de carrière public-privé. Les pantoufleurs et rétro-pantoufleurs existent, ils remplissent les cabinets ministériels de la macronie", assène encore l’enseignant-chercheur.

Et lui de conclure : "Le problème ne vient pas de l’ENA en tant que tel et j’en tiens pour preuve que ce genre de problème ne s’observe pas dans les autres écoles du pouvoir, telles que l’Ecole nationale de la magistrature. C’est l’utilisation qui est faite de l’ENA qui interroge."

Suppression de l’ENA : et si la situation était pire après coup ?

Le chef de l’Etat, informe le Huffington Post, entend donc se débarrasser de l’ENA au profit de "l’Institut du service public". Cette "révolution", expliquent nos confrères, visera avant tout à "mettre fin à la rente à vie et au parcours automatique en vigueur". Elle devrait aboutir à "des cadres de carrière moins cloisonnés".

Pour Christophe Bouillaud, de telles évolutions ne signifient pas nécessairement une amélioration. Au contraire. 

"Il était probable que le président de la République opte pour la création d’une école au nom différent mais fonctionnant de façon relativement similaire. Ce que je crains, cependant, c’est que cet Institut du service public vienne accentuer les défauts actuels de l’ENA en poussant les hauts fonctionnaires et futurs hauts fonctionnaires à se rapprocher davantage encore des entreprises privées. L’esprit du service public s’en trouverait encore plus abîmé… De même que l’intérêt général", explique le politologue qui s’inquiète de voir prévaloir les intérêts privés sur l’intérêt collectif.