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Cohn-Bendit, Sauvageot, Geismar d'un côté des barricades, De Gaulle, Pompidou, le préfet Grimaud de l'autre : portraits et destins des personnalités qui ont "fait" Mai 68.
Sommaire

Daniel Cohn-Bendit

23 ans en 1968, Etudiant à l'université de Nanterre, fondateur du "Mouvement du 22 mars".

S'il ne devait en rester qu'un, ce serait lui : Dany le Rouge ! Qui pourrait mieux symboliser Mai 68 que celui qui en a été la figure de proue contestataire... et celui par qui, sans doute, tout est arrivé ! Si les étudiants de Nanterre ont occupé leur fac, le 22 mars 1968, c'était suite à la menace d'expulsion de Cohn-Bendit, l'un des chefs de file d'un mouvement demandant l'amélioration des conditions de vie étudiantes (une des revendications principales : permettre aux garçons de se rendre dans les résidences universitaires des filles !).

Principal porte-parole et agitateur médiatique du mouvement, Cohn-Bendit est à nouveau en première ligne lorsque la révolte étudiante s'empare de la Sorbonne, le 3 mai. Le 22 mai 1968, il est expulsé (né d'un père allemand et d'une mère française, il avait choisi la nationalité allemande à la majorité pour éviter le service militaire !), mais revient en France quelques jours plus tard, ses cheveux roux teints en noir !

Après Mai 68 : Il sera interdit de territoire par les autorités françaises jusqu'en 1978. Il s'éloignera peu à peu de l'anarchisme pour commencer une nouvelle carrière politique sous la bannière des Verts allemands.

Vidéo du jour

Aujourd'hui : Il est député européen.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum''

Charles De Gaulle

77 ans en 1968. Président de la République depuis 1959.

"La chienlit". En un seul mot, passé à la postérité, De Gaulle a résumé toute son impuissance à prendre la mesure du mouvement anti-autoritariste de Mai 68. Décidé à répondre immédiatement par la force aux premiers soulèvements étudiants, il est désemparé de voir que le conflit ne fait que s'envenimer, jusqu'à la nuit des barricades, du 10 au 11 mai, qui marque le summum des affrontements. Dès lors, il laisse son Premier ministre, Georges Pompidou, résoudre une crise qu'il ne comprend pas vraiment...

Désemparé, De Gaulle le sera encore plus en voyant la contestation se poursuivre après la conclusion des accords de Grenelle, le 27 mai. Il reste invisible alors que la gauche se mobilise et demande la création d'un gouvernement provisoire pour combler la "vacance du pouvoir". Le 29 mai, le général se rend en secret à Baden-Baden où il s'entretient avec le général Massu. Le lendemain, il annonce la dissolution de l'Assemblée nationale, lançant son fameux "Je ne me retirerai pas". C'est le retour du De Gaulle de l'appel du 18 juin, qui précipite tous ses partisans dans la rue et marque la fin symbolique du mouvement...

Après Mai 68 : De Gaulle se retirera après le "non" des Français à son référendum sur la décentralisation, en 1969. Il meurt le 9 novembre 1970, à quelques jours de ses 80 ans.

''© Photo INA ''

Jacques Sauvageot

25 ans en 1968. Etudiant en droit et histoire de l'art à la Sorbonne. Vice-président du syndicat étudiant UNEF.

Avec Daniel Cohn-Bendit et Alain Geismar, il est l'un des trois leaders de la contestation de Mai 68. Le 3 mai, lorsque les compagnies de CRS débarquent dans la cour de la Sorbonne occupée par les étudiants, Sauvageot est, avec Alain Krivine, de la délégation qui va négocier leur départ dans le calme, si les policiers les laissent partir sans les arrêter. Accord conclu... Mais, hors des murs de la Sorbonne, les "paniers à salades" attendent les premiers contestataires, embarquant 571 personnes, dont Sauvageot. C'est l'étincelle qui met le feu aux poudres : les premiers pavés voleront dès le départ du second convoi, et les émeutes gagneront rapidement tout le Quartier latin...

Après Mai 68 : Jacques Sauvageot devient président d'honneur de l'UNEF en mai 1969, et adhère au PSU de Michel Rocard (il était déjà membre des étudiants du PSU).

Aujourd'hui : Il est professeur d'histoire de l'art et président de l'Ecole des Beaux-Arts de Rennes.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum''

Alain Geismar

28 ans en 1968. Maître assistant au laboratoire de physique de la rue d'Ulm. Secrétaire général du Syndicat national de l'enseignement supérieur (SNE Sup).

Après Cohn-Bendit et Sauvageot, Alain Geismar est le 3e grand leader contestataire de Mai 68. Au soir du 3 mai, après l'intervention des CRS à la Sorbonne et le début des émeutes dans le Quartier latin, le secrétaire général du SNE Sup lance un appel à la grève générale dans l'enseignement supérieur ! Tout au long des événements, il sera en première ligne, tant dans les médias que dans les manifestations.

Après 68 : Il dirige la Gauche prolétarienne (GP), une organisation maoïste que le gouvernement dissoudra (Geismar sera poursuivi et incarcéré en 1970).

Aujourd'hui : Après avoir été, notamment, inspecteur général de l'Education nationale (1990), puis membre des cabinets des ministres de l'Education Lionel Jospin et Claude Allègre, il est maître de conférences à l'IEP de Paris.

''© Photo INA ''

Georges Pompidou

57 ans en 1968. Premier ministre depuis 1962.

"L'année 1968 a eu un goût de cendre", constatait Georges Pompidou dans ''Pour rétablir une vérité'', recueil de souvenirs posthume. Le Premier ministre de l'époque peut pourtant être considéré comme le grand vainqueur politique de Mai 68 : c'est lui qui parvient à convaincre De Gaulle de ne pas faire usage de la force après les premières émeutes du Quartier latin, c'est lui qui gère la crise pendant que le président passe quatre jours en Roumanie, du 14 au 18 mai, alors que la grève ouvrière gagne tout le pays. Et c'est lui qui négocie et conclut les accords de Grenelle, le 27 mai, avant de convaincre, encore, le président de dissoudre l'Assemblée nationale plutôt que d'organiser un référendum... Résultat : un raz-de-marée pour la droite, un triomphe pour De Gaulle. Qui ne trouvera rien de mieux, pour remercier son Premier ministre, que de le remplacer par Maurice Couve de Murville après les législatives !

Après 68 : Placé en "réserve de la république" par De Gaulle, Georges Pompidou attend son heure. Qui sonne dès l'année suivante : en 1969, De Gaulle quitte l'Elysée après le "non" à son référendum sur la décentralisation. Georges Pompidou est élu président de la République le 15 juin. Malade, il n'ira pas au terme de son mandat et meurt le 2 avril 1974.

''© Photo INA''

Maurice Grimaud

55 ans en 1968. Préfet de police de Paris depuis 1966.

Son nom ne vous dit peut-être rien, et pourtant son rôle durant les événements de Mai 68 a été capital. Il est en effet "l'homme qui a évité le bain de sang". Préfet de police de Paris, il est réticent à envoyer les CRS à la Sorbonne, le 3 mai, mais De Gaulle décide de réquisitionner la force publique pour faire évacuer les contestataires étudiants. Ce sera l'étincelle qui mettra le feu aux poudres.

En première ligne des affrontements, le préfet Grimaud fait tout pour contenir la répression violente : "Frapper un manifestant tombé à terre c'est se frapper soi-même en apparaissant sous un jour qui atteint toute la fonction policière", disait-il à l'adresse des forces de police. On mesure mieux l'impact qu'a eu Maurice Grimaud si l'on songe que son prédécesseur à la préfecture de police était un certain Maurice Papon...

Après Mai 68 : Il reste préfet de police de Paris jusqu'en 1971, où il prend la direction de l'Aviation civile. En 1981, il devient directeur de cabinet de Gaston Defferre au ministère de l'Intérieur, puis conseiller de son successeur, Pierre Joxe, jusqu'en 1986. Il termine sa carrière de haut fonctionnaire auprès du Médiateur de la République jusqu'en 1992.

Aujourd'hui : Il est à la retraite.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum ''

Georges Séguy

41 ans en 1968. Secrétaire général de la CGT depuis 1967.

Lorsque les premières émeutes éclatent dans le Quartier latin, organisations syndicales et partis de gauche (notamment le PC), n'y voient pas les prémices d'un soulèvement auquel pourrait se rallier la classe ouvrière. Secrétaire général de la CGT et membre du bureau politique du PC, Georges Séguy parle alors d'un "mouvement lancé à grand renfort de publicité qui, à nos yeux, n'a pas d'autre objectif que d'entraîner la classe ouvrière dans des aventures en s'appuyant sur le mouvement des étudiants".

Mais les ouvriers se mobilisent : le 13 mai, sans que les dirigeants syndicaux n'aient lancé le moindre mot d'ordre, une manifestation rassemble un million de personnes, ouvriers et étudiants. C'est le début d'une grève sauvage qui paralyse le pays pendant près de trois semaines.

Dépassés par leur base, les syndicats suivent tant bien que mal le mouvement. Georges Séguy participe aux accords de Grenelle, conclus le 27 mai 1968 (et prévoyant notamment l'augmentation de 35 % du Smig et de 10 % des salaires en général). Mais les ouvriers rejettent les accords et, même s'ils reprennent progressivement le travail, certains grévistes poursuivront leur mouvement jusqu'au 10 juin...

Après Mai 68 : Il garde son poste de secrétaire général de la CGT jusqu'en 1982, où Henri Krasucki lui succède.

Aujourd'hui : Il est président d'honneur de l'Institut CGT d'histoire sociale.

''© Photo INA ''

Alain Krivine

27 ans en 1968. Secrétaire de rédaction chez Hachette. Dirigeant fondateur du mouvement trotskiste Jeunesse communiste révolutionnaire (JCR).

Alain Krivine est aux côtés des contestataires étudiants de la Sorbonne dès le 3 mai, aux premières heures du mouvement. Il fera partie des 574 personnes interpellées lors de l'intervention des CRS. Avec Henri Weber, co-fondateur de la JCR, il sera aux premiers rangs de la contestation politique, profitant du "retrait" du Parti communiste qui ne voit dans le mouvement étudiant qu'un soulèvement puéril et petit-bourgeois plutôt qu'une révolte de classe populaire.

Après 68 : La JCR est dissoute par le gouvernement en juin 68, Krivine arrêté et emprisonné en juillet. Libéré à l'automne, il créé la Ligue communiste en 1969.

Aujourd'hui : Il est l'un des porte-parole de la Ligue communiste révolutionnaire (LCR), avec Olivier Besancenot.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum'' 

François Mitterrand

51 ans en 1968. Député, dirigeant de la FGDS (Fédération de la gauche démocrate et socialiste).

Fort de ses résultats inespérés lors de l'élection présidentielle de 1965 (la première au suffrage universel direct), où il avait contraint De Gaulle à un second tour inattendu, François Mitterrand rêve de réaliser l'union de la gauche. Lorsque De Gaulle disparaît à Baden-Baden, il saute sur l'occasion, déclarant : "Il convient dès maintenant de constater la vacance du pouvoir et d'organiser la succession". Il propose de former un gouvernement provisoire sous la direction de Mendès-France, et se déclare candidat aux élections présidentielles anticipées qui pourraient avoir lieu. Hélas, les rêves élyséens de Mitterrand seront brutalement interrompus par le retour du général et la dissolution de l'Assemblée...

Après Mai 68 : Les élections législatives de juin 1968 voient l'effondrement de la gauche, avec 91 sièges contre 354 pour les gaullistes (du jamais vu depuis 1919 !). Mitterrand, discrédité, ne sera pas candidat socialiste à la présidentielle de 1969...

Il se rattrapera en devenant, en 1981, le premier président socialiste de la Ve République. Après deux mandats, il quitte ses fonctions en 1995. Il meurt moins d'un an plus tard, le 8 janvier 1996.

''© Photo Raymond Depardon - Agence Magnum''

Alain Peyrefitte

44 ans en 1968. Ministre de l'Education nationale depuis 1967.

Fils d'instituteurs, énarque et gaulliste convaincu, Alain Peyrefitte se retrouve en première ligne dès le début du soulèvement étudiant. Ministre de l'Education, il donne son accord au doyen de la fac de Nanterre pour fermer l'université occupée par les étudiants. L'annonce de cette fermeture, le 3 mai, sera interprétée comme un "coup de force" destiné à empêcher le mouvement étudiant de s'exprimer. La contestation se déplacera à La Sorbonne où l'intervention policière mettra le feu aux poudres... Peyrefitte sera contraint à démissionner de son poste le 28 mai, au lendemain des accords de Grenelle, avant la dissolution de l'Assemblée. Il sera remplacé par François-Xavier Ortoli, qui cédera lui-même le poste à Edgar Faure après les législatives de juin 68 et la formation du gouvernement Couve de Murville.

Après Mai 68 : Alain Peyrefitte conserve son siège de député de Seine-et-Marne, effectue plusieurs visites parlementaires en Chine (il en tirera la matière de son célèbre livre, ''Quand la Chine s'éveillera''), mais ne reviendra au gouvernement qu'en 1973, en charge des Réformes administratives. Il sera ensuite ministre de la Justice, de 1977 à 1981. Il est mort le 27 novembre 1999.

''© Photo INA ''

Jean-Paul Sartre

63 ans en 1968. Philosophe et écrivain.

Fidèle à sa réputation d'intellectuel engagé, Jean-Paul Sartre s'est investi corps et âme dans le combat de Mai 68. Dans le droit fil de son engagement pour l'indépendance de l'Algérie (en 1962, l'OAS avait fait exploser une partie de son domicile !), il milite activement pour la cause contestataire : il se rend à la Sorbonne pour parler aux étudiants et y va de sa plume pour porter leurs revendications dans les journaux (il interviewe notamment Cohn-Bendit pour le ''Nouvel Observateur'') ou pour fustiger le général De Gaulle. Une de ses expressions sera même à l'origine d'un fameux slogan soixante-huitard : ""Elections, piège à cons" !

Après Mai 68 : Sartre continue à s'investir dans les mouvements gauchistes. En 1971, il devient directeur du journal révolutionnaire ''La cause du peuple'' et va jusqu'à le distribuer dans la rue avec Simone de Beauvoir. Deux ans plus tard, en 1973, il participe activement à la création de ''Libération'', dont il devient directeur. Malade, il démissionne en 1974. Il meurt le 15 avril 1980, peu avant ses 75 ans.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum ''

Jacques Chirac

35 ans en 1968. Secrétaire d'Etat aux Affaires sociales, chargé de l'emploi.

"Mon bulldozer"... Tel était le surnom donné par Georges Pompidou à Jacques Chirac, jeune énarque ambitieux qui, lorsque les émeutes étudiantes éclatent, est en charge du dossier de l'emploi au sein du gouvernement (c'est lui qui est à l'origine de la création de l'ANPE). C'est à ce titre qu'il va jouer un rôle crucial dans la négociation et la conclusion des accords de Grenelle. C'est en effet dans les locaux du ministère du Travail, rue de Grenelle, qu'eurent lieu les discussions entre syndicats, patronat et gouvernement du 25 au 27 mai !

Après Mai 68 : Jacques Chirac sera promu secrétaire d'Etat à l'Economie et aux Finances, poste qu'il occupera dans les gouvernements successifs entre 1968 et 1971. Il sera ensuite ministre de l'Agriculture, puis de l'Intérieur jusqu'en 1974, Premier ministre de Valéry Giscard d'Estaing (de 1974 à 1976), puis de François Mitterrand lors de la première cohabitation (1986-1988). Après deux campagnes présidentielles perdues en 1981 et 1988, il est élu président de la République en 1995, et réélu en 2002.

Aujourd'hui : Il siège au Conseil constitutionnel.

''© Photo Bruno Barbey - Agence Magnum''