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De nombreux Français ploient sous une augmentation des prix qui se chiffre sur un an à +4,9% selon l'Insee en septembre 2023. Une étude de l’institut publiée en juillet révèle que 9 millions de personnes sur le territoire métropolitain étaient en "privation matérielle et sociale" en 2022, "soit le plus haut niveau depuis 2013, première année où elle a été mesurée". Les Restos du cœur attestent avoir distribué entre 2022 et 2023, 170 millions de repas, soit 30 millions de plus que l’année précédente.
Comme lors de nombreuses périodes de crise, il est de bon ton de désigner un responsable pour cette situation. Alors les distributeurs pointent les industriels, l'opposition tacle le gouvernement et le gouvernement accuse les distributeurs. Emmanuel Macron a ainsi dénoncé en mars le "cynisme" de certaines grandes entreprises qui profitent des bénéfices records engrangés cette année pour racheter leurs propres actions. Planet détricote les discours, avec l'appui de Gilbert Cette, professeur d'Economie à la Neoma Business School.
Des marges pour les entreprises
Selon un décompte réalisé par l'AFP sur les six premiers mois de l’année 2023, les bénéfices nets cumulés des entreprises du CAC 40 s'élèvent à plus de 81 milliards d’euros de bénéfices nets, une hausse de l'indice de 15 %. Toutefois, note Le Monde, les multinationales du CAC 40 ont réalisé en moyenne en 2022 moins de 22% de leur chiffre d'affaires en France. A en croire les chiffres de l’Insee, le taux de marge des entreprises non financières atteint au deuxième trimestre 2023 33,2% contre 32,3% le trimestre précédent. Selon Gilbert Cette, en France "il n’y a que quelques entreprises qui ont profité de la crise, dans le secteur énergétique (...). C’est le cas de Total Energie, de Engie et, dans le transport maritime, de CMA CGM. Ces entreprises ont beaucoup gagné dans la période de crise actuelle : elles se retrouvent dans des secteurs spécifiques et en nombre restreint." Mais l'économiste insiste : "le premier choc inflationniste est un choc importé : nos importations de produits énergétiques et de matières premières coûtent plus cher. A partir du moment où l’énergie est impliquée, cela va avoir un impact sur toutes les activités, y compris agricoles, et bien sûr directement sur les ménages. Donc ceux qui s’enrichissent sont ceux qui nous vendent ces produits-là."
La chasse à l'effet d'aubaine
Ces derniers mois, certaines entreprises, notamment européennes, ont été blâmées par les observateurs économiques pour avoir augmenté leurs prix au-delà de la hausse des coûts qu’elles subissaient en amont, en prenant pour prétexte l'inflation : c'est "l'excuseflation". En mars, Emmanuel Macron a annoncé vouloir "mettre la pression sur des grands groupes de distribution quand on s’aperçoit qu’ils jouent un peu sur les marges". Alors, effet d'obaine des entreprises de certains secteurs ? "Si l’on regarde sur la durée, entre le second trimestre 2019 et le second trimestre 2023, il y a bien une hausse des marges brutes unitaires dans l’industrie (+ 7,11 %) supérieure à celle des salaires (+ 2,37 %). C’est vrai surtout dans les secteurs de l’énergie et de l’agroalimentaire, mais ce n’est pas le cas dans les services", détaille pour Le Monde Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.
Certaines entreprises évoquent une répercussion tardive des pertes enregistrées pendant le Covid-19 et la guerre en Ukraine. Parmi les distributeurs, des marques telles que Leclerc, Casino ou Carrefour ont répondu à l'appel du gouvernement et fait un effort sur leurs marges. C'est la politique du "prix coutant" dans le secteur du carburant, appliquée à la rentrée de manière ponctuelle. "Dans une période comme celle-ci, il faut que tout le monde fasse un effort", juge Gilbert Cette. "Les salariés font un effort : ils connaissent en moyenne une baisse du pouvoir d’achat. Les distributeurs sont appelés par les pouvoirs publics à faire un effort, mais il ne pourra pas être éternel. C’est histoire de passer un cap difficile."
Et quid du gouvernement ?
La hausse des prix, "mécaniquement, cela fait des recettes pour l’Etat" liées à la hausse de l’assiette de TVA, a raillé récemment Michel-Edouard Leclerc. Xavier Bertrand (LR), le président de la région des Hauts-de-France, y est allé plus franchement, reprochant à l'Etat de se faire "un pactole" grâce à la hausse des carburants. Des allégations que Bercy a vigoureusement contesté, chiffres à l’appui.
"La TVA a augmenté, mais c’est évidemment compensé par autre chose", rappelle Gilbert Cette. "L’Etat a déployé des efforts financiers considérables pour que les ménages ne pâtissent pas trop de l’augmentation des prix : c’est le bouclier tarifaire, c’est la ristourne à la pompe. L’augmentation des recettes de TVA par rapport à ça, c'est rien du tout. Si on raisonne sur l’ensemble des finances publiques de l’Etat, on voit que le déficit Français est tout simplement énorme. Le budget est très déséquilibré, donc on ne peut pas du tout parler d’enrichissement." En tout état de cause, les Français vont encore traversé de longs mois d'inflation, notamment avec la fin programmée en 2024 des boucliers mis en place en 2022. "Il se peut que dans un an on ait une inflation plus haute que celle de la zone euro", anticipe l'économiste. "En aout 2022, la France était, des 20 pays actuellement dans la zone euro, celui où l’inflation était la plus faible. Un an après, en aout 2023, 13 pays de la zone euro ont une inflation plus faible que celle de la France…"