Un homme très riche parcourt le monde à la recherche de la vérité.

Il est fatigué de la vie. Il a épuisé tous les plaisirs terrestres au-delà du raisonnable : alcool, drogue, sexe, vitesse, pouvoir… Il a tout consommé jusqu’à l’indigestion et cherche désespérément un sens à sa vie.

Il dépense des fortunes en thérapies, se paie les plus grands gourous de la planète, va voir le pape et le dalaï-lama… rien n’y fait, il a toujours le sentiment que la vérité lui échappe.

Un jour, alors qu’il discute avec un vieux moine chinois qui lui semble un peu plus sage que les autres, il s’entend dire :

— Va sur le mont Kailash, au Tibet. Le sage parmi les sages y vit en ermite, au sommet. Lui saura te dire ce que tu veux entendre.

Impatient, notre homme monte immédiatement une expédition avec une trentaine de porteurs, quatre guides et du matériel dernier cri pour affronter les conditions terribles de l’ascension. Tout le monde essaie de le dissuader : la saison n’est pas favorable, les risques sont énormes. Mais il persiste et part aussitôt. L’ascension est en effet terrible. Les porteurs meurent les uns après les autres. Ceux qui restent en vie finissent pas s’enfuir.

Les guides renoncent également, et notre homme se retrouve seul dans le vent glacé. Ses doigts et ses pieds gèlent, son matériel se dérègle et se brise, mais il continue à monter, encore et encore, convaincu que ce voyage lui apportera enfin ce qu’il a cherché toute sa vie. Alors qu’il atteint l’extrême limite de ses ressources et de sa résistance, il arrive enfin au sommet et connaît un moment de grâce. Passé le dernier pic rocheux, il arrive dans une clairière paisible. Une étrange végétation pousse là où nul ne croirait la chose possible. Le vent s’est calmé. L’air est inexplicablement doux.

Assis en zazen au milieu de la clairière, un homme magnifique semble l’attendre, profondément serein, immergé dans une méditation à la fois intense et parfaitement légère. Notre héros est impressionné. Sa fatigue s’envole. Il s’approche lentement et s’assoit lui aussi en zazen, face au moine, dans une attitude de profond respect.

Les heures passent. Le soleil décline lentement, puis une douce fraîcheur vient avec le soir. Le moine émerge doucement de sa méditation et pose un regard de paix sur celui qu’il accueille et murmure :

— Bonjour étranger, libère-toi de ta question.

Notre homme prend une profonde inspiration et se libère, en effet, de cette question qui l’obsède depuis si longtemps :

— Dis-moi, grand sage parmi les sages, qu’est-ce que la vérité ?

Le visage du sage reste impassible. Pendant un instant, on pourrait croire qu’il n’a pas entendu la question, mais ses lèvres bougent imperceptiblement et il dit lentement, avec une assurance admirable :

— La vérité, c’est une perle de rosée sur un pétale de lys.

Puis il retourne au silence d’un air satisfait. Notre héros reçoit cette parole comme un choc terrible. Son souffle est coupé, son visage s’empourpre, ses yeux deviennent deux billes d’acier et, tandis qu’il sent une immense colère le submerger, il grommelle en serrant les dents :

— Quoi ? Sans blague ? Une perle de rosée sur un pétale de lys ?

Puis, il explose littéralement de rage et vocifère :

— C’est pour entendre une connerie pareille que j’ai risqué ma vie et fait tout ce chemin ?

Le moine sursaute alors et perd d’un seul coup toute sa tranquillité.

Il ouvre grand les yeux et balbutie d’un air penaud :

— Pourquoi ? C’est pas ça ?

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