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"Le système universel de retraites est juste", assurait Emmanuel Macron il y a quelques mois, dans un entretien accordé à la presse quotidienne régionale. A l'époque, Edouard Philippe était encore à Matignon. Et il n'était alors pas question d'abandonner la "mère des réformes", à laquelle semble tant tenir le président de la République. Et son nouveau Premier ministre a été on ne peut plus clair ! S'il est prêt à mettre un peu d'eau dans son vin, il n'est encore une fois pas envisageable de reculer. Pour Le Figaro, qui revient sur l'obsession du chef de l'Etat sur ce dossier, la réponse est évidente "Plus que le contenu de la réforme, c'est désormais la réforme en tant que telle qui importe. Il en va du mandat d'Emmanuel Macron et de ses chances de réélection", écrivent nos confrères.
Mais s'il s'agissait de s'attarder sur le contenu plutôt que sur la seule communication politique, pourrait-t-on vraiment soutenir du projet initialement défendu par Emmanuel Macron qu'il est le plus juste ? Sans aucun doute. Certains le font, comme cela peut-être le cas d'Eric Verhaeghe, qui accordait à Planet une interview pour la question. C'est que, au fond, tout dépendra de la définition même de la justice sociale. Pour Henri Sterdyniak, économiste à l'OFCE et co-auteur du manifeste des économistes atterrés, ce serait pourtant se fourvoyer considérablement.
Réforme des retraites : le projet d'Emmanuel Macron est-il vraiment juste ?
"Le système des retraites doit tenir compte des spécificités des personnes. Certains métiers sont pénibles et il n'est pas toujours possible de prolonger leur exercice au delà d'un certain âge", rappelle d'entrée de jeu l'économiste qui ne manque pas de rappeler que "la retraite doit compenser les inégalités rencontrées au cours de la carrière professionnelle". "La façon dont se sont développés les régimes spéciaux répond à une certaine histoire et une certaine culture dont il faut tenir compte. On ne peut pas faire passer tout cela dans un même moule", estime-t-il encore.
Pourtant ce n'est pas l'unique grief qu'il a avec la réforme souhaitée par Emmanuel Macron. S'il en condamne le caractère uniforme, qui ne permet pas la solidarité, il rappelle aussi ce qu'il estime être les vraies motivations du président. "Prétendre que cette réforme est juste relève de la communication politique, dans le sens où son but essentiel est la baisse du niveau de vie des retraités, qu'il entendait ramener bien en dessous de celui des actifs, ceci pour réduire les dépenses des retraites. Cela n'a rien de juste", estime Henri Sterdyniak.
A quoi ressemblerait une réforme des retraites "solidaire" ?
Avant toute chose, assure Henri Sterdyniak, une réforme des retraites "solidaire" ne pourrait être "universelle". Et pour cause ! Elle devrait pouvoir prendre en compte les différences inhérentes de chaque corps de métier, de chaque situation.
"On doit prévoir des modalités pour les carrières pénibles, pour tous les métiers qu'il n'est plus possible d'exercer après un certain âge… Il faut aussi pouvoir compenser les femmes qui ont élevé plusieurs enfants et dont la carrière a pu souffrir de cette situation. Naturellement, le système ne sera pas uniforme et sera compliqué : comment pourrait-il s'adapter à des situations complexes dans le cas contraire ?", fait valoir l'économiste.
"Rappelons d'abord que le système français, dans son état actuel, permet d'assurer aux retraités un niveau de vie comparable à celui des actifs. En cela, il est relativement solidaire et satisfaisant", note encore l'animateur des économistes atterrés. "Pour autant, pour aller vers davantage de solidaire, il faut évidemment augmenter les retraites les plus faibles. Les taux de remplacement des salariés à faible salaires doivent être plus élevés que ceux des cadres, par exemple", poursuit-il ensuite.
Plus que simplement rémunérer la pénibilité, Henri Sterdyniak envisage une situation dans laquelle effectuer un travail pénible donne droit à des périodes - potentiellement pour une année de travaux pénibles - de cotisations supplémentaires offertes. La durée exacte serait variable et déterminée selon le degré de pénibilité de l'emploi en question. Il juge aussi essentiel de recentrer les avantages familiaux sur les femmes qui, statistiquement, sont celles qui souffrent le plus de la naissance d'un enfant sur le plan professionnel. Or, souligne-t-il, en l'état actuel des choses, ces avantages profitent aussi beaucoup aux hommes.
Quand partirait-on à la retraite ?
L'avènement d'un nouveau modèle de retraite plus solidaire impliquerait mécaniquement de penser autrement le moment de la cessation d'activité. Pour Henri Sterdyniak, le taux plein doit survenir plus tôt. "Il faut attribuer le taux plein à 65 ans, sans condition de durée de cotisation. Si le travail s'est avéré être pénible, on devrait pouvoir partir plus tôt encore, aux alentours de 60 ans", détaille-t-il. Mais le travail pénible n'est pas, selon lui, la seule piste de réflexion à explorer.
Et l'économiste de se concentrer sur la situation des seniors condamnés à la précarité en raison du chômage. "Quand il est évident qu'un travailleur à l'approche de la retraite ne pourra pas retrouver un emploi, parce qu'il est trop vieux pour qu'une entreprise l'embauche ou que son métier a disparu par exemple, il faut pouvoir lui accorder un taux plein. Ainsi, on aurait moins de gens de 58 à 62 ans sous le seuil de pauvreté", analyse-t-il.
Reste une question, et pas des moindres : comment financer cette nouvelle solidarité intergénérationnelle ? C'est d'ailleurs le sujet qui inquiète tout ou partie de la classe politique à chaque nouvelle publication du Conseil d'orientation des retraites (COR), ou presque…
En vérité, la solution est simple soutient Henri Sterdyniak. "Les retraites doivent être financées par ceux qui en bénéficient", note-t-il d'abord. Comprendre : "augmenter les cotisations retraites des personnes couvertes, si cela s'avère nécessaire".
"C'est une solution simple, logique, si l'on estime souhaitable que chacun puisse prendre sa retraite à un âge précoce avec un niveau de retraite satisfaisant. Il faut accepter, si cela s'avère utile, une hausse des cotisations salariales qui permet donc de partager la production. Il n'y a pas de recette miracle et c'est un processus auquel nous avons eu recours pendant des années", rappelle-t-il encore, jugeant qu'il n'y a pas de "question métaphysique" à se poser à ce sujet. Et lui de souligner que la droite elle-même, du temps de Valéry Giscard d'Estaing, était moins frileuse sur ce point...